Accueil > Articles > Iran : Lula chez les mollahs pour un compromis symbolique



Iran : Lula chez les mollahs pour un compromis symbolique
14.05.2010

Hier, les Etats-Unis ont laissé entendre que la visite à Téhéran du président brésilien Lula serait l’ultime chance de dialogue sur le nucléaire, trahissant leur rôle derrière la tentative brésilienne. Pour prendre la mesure de cette tentative, il suffit de préciser que le président Lula arrive en Iran à la tête d’une délégation de 300 personnes dont 6 ministres et 260 hommes d’affaires. C’est une occasion pour revenir sur la définition de cette notion de dialogue selon Washington, mais aussi sur les diverses tentatives détournées des Etats-Unis pour dialoguer avec Téhéran.



Depuis l’élection d’Obama, Washington met en avant le dialogue avec les mollahs et parle même d’une entente « dans le respect des intérêts des deux pays ». Les intérêts iraniens sont pétroliers, comme les intérêts américains. Mais il y a un autre enjeu : l’Iran est le seul couloir d’accès direct entre les eaux internationales et l’Asie Centrale, une des plus grandes réserves mondiales de Gaz. Une alliance avec les mollahs permettrait aux Américains de s’approprier les ressources énergétiques de l’Iran, de l’Asie Centrale et même de la zone chiite irakienne, la plus riche de ce pays. Les Etats-Unis pourraient contrôler le baril et par conséquent l’avenir de tous leurs adversaires. Washington peut compléter cette mainmise en utilisant l’aura islamiste des mollahs pour embrigader le monde musulman derrière les musulmans séparatistes chinois et russes pour créer de nouveaux pays et ainsi abolir les contrats pétroliers européens, chinois ou russes passés avec les actuels Etats de l’Asie Centrale ou du Caucase. Bref, Washington a besoin d’une alliance avec les mollahs pour être le roi du monde.

obstacles pour engager le dialogue | Mais Washington a un problème, les mollahs l’évitent comme la peste car tout dialogue ou apaisement avec un Etat qui protège Israël leur ferait perdre le soutien de la rue arabe, soutien sans lequel ils perdront leur pouvoir régional. Ils enchaînent les provocations pour se montrer très hostiles aux Etats-Unis ou à Israël. Cette fuite en avant qui trahit une grande crainte d’être taxés de complaisance avec Washington a convaincu ce dernier que la solution était d’engager les mollahs de force dans un dialogue qui par un effet de domino les priverait du soutien de la rue arabe. Isolés, ils devraient capituler. C’est pourquoi depuis des années, Washington mène une politique combinant des pressions et des offres confidentielles de dialogue.

mécanismes pour engager le dialogue | Sous Bush, la priorité a été donnée aux exigences et des sanctions pour priver les mollahs de tout investissement étranger de la part de ses principaux partenaires (l’Europe, la Chine et la Russie), ce qui a épuisé l’économie iranienne. Mais les mollahs n’ont pas cédé et Washington s’est vite retrouvé avec un problème inattendu. Il ne pouvait plus augmenter les sanctions sans renverser ces futurs alliés indispensables pour l’expansion de sa puissance économique. L’objectif n’étant pas une escalade des sanctions, mais d’attirer Téhéran à la table des négociations, Washington a décidé de donner la priorité à l’invitation au dialogue en parallèle avec le maintien en état de sanctions privant Téhéran de devises.

Washington a inauguré la tendance en évoquant la nécessité d’une participation des mollahs aux discussions sur la sécurité de l’Irak ou aux discussions de Charm-el-cheikh sur la paix au Moyen-Orient. Washington tablait sur le désir de reconnaissance régionale des mollahs. Le but n’étant pas cependant de reconnaître le rôle régional des mollahs, les invitations étaient lancées par les Etats irakien et Egyptien. Téhéran a évité le piège du dialogue-domino en se montrant peu assidu. Pour les agacer, Bush a alors introduit les missions de médiations diplomatico-économiques où l’on agitait sous le nez des mollahs des promesses d’investissements de pays partenaires des Etats-Unis comme la Turquie, les Emirats ou l’Inde, mais il n’a pas réussi à conclure car la condition était la levée des sanctions américaines, fait lié à une capitulation des mollahs. Bush a fini son mandat sur un échec et le dossier a été repris par Obama. Son premier geste a été de rompre avec les offres confidentielles en proposant ouvertement un dialogue sans aucune condition préalable, pour atténuer l’aspect capitulation d’un dialogue. Logiquement Téhéran ne pouvait pas refuser et devait s’engager dans le dialogue censé le priver du soutien de la rue arabe. Mais les mollahs n’ont pas cédé et ont justifié ce refus par le fait qu’Obama avait mis de côté les conditions préalables sans désactiver ses sanctions.

difficultés pour engager le dialogue | Après cet échec, Washington est revenu au modèle de base appliqué sous Bush en évoquant la nécessité d’une présence des mollahs à La Haye pour des discussions sur la sécurité de l’Afghanistan. Selon le schéma initial, Washington n’a pas invité Téhéran directement, il a confié la tâche à des pays tiers. Les mollahs ont alors exigé une invitation américaine officielle pour transformer le piège en une reconnaissance américaine de leur puissance régionale. Washington a alors fait appel aux Etats musulmans de la région notamment la Turquie pour exiger la présence de l’Iran insinuant qu’une absence de Téhéran serait une forme de caution des mollahs à l’instabilité d’un pays frère. Téhéran a été contraint de dire oui et de se rendre à La Haye, mais sur place, il avait tenu des propos très anti-américains.

Après ce second échec, Washington a réalisé que les offres publiques étaient une erreur car les refus répétés des mollahs le mettaient en demeure d’adopter des nouvelles sanctions qu’il doit éviter. Il est alors revenu à une diplomatie discrète en proposant aux mollahs l’offre confidentielle d’un échange de 95% de leur stock d’uranium enrichi contre du combustible franco-russe.

Téhéran a refusé. Washington a évoqué un possible recours à l’embargo maritime sur l’essence. Il est ainsi revenu à l’époque de Bush. Téhéran n’a pas cédé car il pouvait compter sur des fournitures d’essence par la Russie. En août 2009, Washington a passé un deal avec la Russie en échangeant son soutien contre la renonciation à l’ABM avant de proposer à nouveau son offre en septembre 2009. Téhéran a alors accepté avant de se désister. Pour forcer les mollahs à accepter, Washington a alors rendu l’offre publique en octobre 2009. Il a aussi donné aux mollahs jusqu’à fin 2009 pour répondre. Obama est dans ce cas revenu à ses premières solutions. Mais par la suite, il a tenté deux médiations diplomatico-économiques via la Turquie et l’Inde, un nouvel emprunt à la politique de Bush. En fait, il ne faut pas raisonner en termes d’indécision : Washington cherchait à compléter son offre en utilisant des schémas expérimentés par le passé pour trouver la bonne combinaison.

Cette expérimentation n’a pas été heureuse car Washington s’est retrouvé avec une offre publique suivie d’un refus qui le mettait en demeure d’adopter de nouvelles sanctions plus fortes exigées par la société américaine. Washington a alors tenté une nouveauté en imaginant un scénario où il se prétend favorable aux sanctions, mais soi-disant contraint d’y renoncer en raison du refus de certains membres permanents du conseil de Sécurité comme ses alliés, la Turquie et le Brésil. Puis, imperceptiblement, ces deux pays ont été reconnus par les Etats-Unis comme des négociateurs nucléaires avec les mollahs. Washington a ainsi consolidé sa mainmise sur la gestion des pressions sur Téhéran au détriment des membres permanents du Conseil de Sécurité, la Chine, la Russie, la France et la Grande-Bretagne, partenaires actuels des mollahs et aussi au détriment de l’UE qui était chargée des négociations.

dernière chance pour engager le dialogue | Sur les 4 membres permanents du Conseil de Sécurité mis de côté par Washington, la France a choisi le camp américain avec l’arrivé du président Sarkozy. Mais les trois autres ont décidé de contrer Washington : la Chine, la Russie, et la Grande-Bretagne ont rompu avec leur politique d’hostilité aux sanctions. Sans agir de manières coordonnées, elles ont réduit presque simultanément leurs relations commerciales avec les mollahs pour peser dans la crise. Washington a alors intensifié le rôle confié au Brésil et à la Turquie, espérant que Téhéran, qui est de plus en plus affaibli, accepterait de signer un petit compromis avec ces deux pays notamment parce qu’ils sont critiques vis-à-vis d’Israël. Le petit compromis confirmerait ces deux pays dans leur rôle d’intermédiaire et confirmerait la justesse de l’approche américaine. Téhéran serait toujours sous la pression de la guerre d’usure économique des Etats-Unis, privé du soutien de ses grands partenaires actuels et exposé aux harcèlements diplomatico-commerciaux des pions de Washington (la Turquie et le Brésil) : Isolé, prêt à tomber comme un fruit mûr dans la bouche du géant américain.

Ce serait le début de la fin pour beaucoup, mais d’abord pour la Grande-Bretagne, n°1 du marché pétrolier depuis 1908. Celle-ci a répliqué à la menace pour sa place leader via la Britannique Catherine Ashton, la Haute représentante Européenne aux Affaires étrangères, qui s’est rendue en Chine pour évoquer la possibilité de sanctions sino-européennes avant de mettre l’accent sur la nécessité de restaurer l’autorité de l’Europe sur les négociations, juste avant la dernière tentative du Brésilien Lula pour arracher un petit compromis (n’importe lequel) aux mollahs.

La réaction d’Ashton a été d’autant plus justifiée que Lula arrive chez les mollahs, pour le sommet des G15, à la tête d’une délégation de 300 personnes avec les bras chargés de cadeaux extraordinaires pour obtenir un compromis symbolique. Du côté brésilien, on parle de doubler le volume des échanges en passant de 4,6 milliards de dollars à 10 milliards de dollars, sans pour autant donner des détails, mais selon Téhéran, il y aurait 22 grands contrats à l’étude dans tous les domaines. L’agence de presse iranienne IRNA a évoqué des investissements lourds dans les secteurs pétroliers et gaziers sanctionnés par Washington – notamment les secteurs promis aux Français -, le financement de 4 usines d’Ethanol, la création de banques, la construction d’infrastructures lourdes et aussi un investissement dans la téléphonie mobile et le secteur pharmaceutique. C’est plausible, mais Téhéran a également fait état de sa satisfaction d’un dialogue réjouissant avec une puissance émergeante hostile à Washington, ce qui laisse supposer que cette liste des investissements est une liste de cadeaux exigés en échange d’un oui symbolique au dialogue.

Quel que soit le contenu de la hotte de Lula, les discussions seront âpres et rien n’est acquis. Supposant un échec, les mollahs qui sont des spécialistes des ruptures théâtrales ont d’ores et déjà invité sur place la Syrie (qui n’est pas membre du G15) pour prêter main-forte au Venezuela qui sera présent en qualité de membre du G15 [1].

La réponse iranienne qui doit préoccuper la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne, mais aussi la France (qui s’est fait avoir) sera connue lundi pendant le sommet des G15 [2].

© WWW.IRAN-RESIST.ORG

Article complémentaire :
- Iran-Brésil : Le régime s’apprête à accueillir Lula
- (6 Mai 2010)

Article complémentaire :
- Iran : La feuille de route des mollahs
- (8 OCTOBRE 2009)

| Mots Clefs | Nucléaire : Politique Nucléaire des mollahs |
| Mots Clefs | Institutions : Diplomatie (selon les mollahs) |

| Mots Clefs | Décideurs : Brésil (Lula ou Amorim) |

| Mots Clefs | Enjeux : Rétablir les rel. avec les USA & Négociations directes |
| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |


| Mots Clefs | Pays : Syrie |
| Mots Clefs | Décideurs : Chavez |

[1Le G15 a été créé par 15 pays lors du IXe congrès du Mouvement des non-alignés (NAM) à Belgrade en 1989 pour faire concurrence à l’OMC ou au G8 ! Il compte à présent 18 pays : Algérie, Argentine, Brésil, Chili, Égypte, Inde, Indonésie, Iran, Jamaïque, Kenya, Malaisie, Mexique, Nigeria, Pérou, Sénégal, Sri Lanka, Venezuela et Zimbabwe.

[2Supposant une réponse bizarre et inacceptable, Washington a demandé à Erdogan de ne pas se rendre à Téhéran. Il le garde ainsi en réserve pour une nouvelle tentative qui sera aussi qualifiée de la « dernière chance » !