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Iran : Le double-piège de Lady Ashton
12.05.2010

Depuis un an, la diplomatie européenne a été éclipsée par les initiatives d’Obama. Cette semaine, alors que Washington peine à réussir, l’Europe a tenté un come-back avec une remarquable initiative de Catherine Ashton, la Haute Représentante de l’UE aux Affaires étrangères.



La crise nucléaire iranienne est depuis le début la scène d’un affrontement entre Washington et les Européens, partenaires commerciaux des mollahs. Cette crise nucléaire a débuté suite à des révélations américaines sur l’existence de sites nucléaires destinés à la production d’armes atomiques en Iran. D’emblée Washington a parlé d’un renforcement de ses sanctions économiques contre les mollahs. N’ayant pas de relations économiques avec les mollahs, cela signifiait qu’il allait sanctionner leurs partenaires économiques au moyen de menaces d’exclusion du marché américain. Les Européens n’ont pas apprécié car on parlait d’eux. Leur mécontentement résultait aussi du fait qu’en 1996, en évoquant des activités terroristes iraniennes, Washington avait adopté une première série de ce genre de sanction contre les compagnies pétrolières européennes actives en Iran et qu’il profitait de l’affaiblissement des mollahs pour leur proposer une entente pour devenir le principal partenaire de l’Iran. Cela concernait le pétrole et le gaz iranien, mais aussi les réserves de l’Asie Centrale, région accessible depuis l’Iran, soit globalement 1/3 des réserves gazières mondiales.

Les trois principaux partenaires européens des mollahs, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, se sont réunis au sein d’un groupe de médiation nommé Troïka pour encourager Téhéran à cesser ses activités nucléaires pour éviter les sanctions américaines destinées à terme de les priver de ces ressources. Dans ce groupe, la Grande-Bretagne, n°1 du marché pétrolier mondial depuis 1908, était la plus motivée car par son alliance avec les mollahs, Washington pouvait lui reprendre la zone chiite irakienne et in fine son leadership du marché.

Cette intervention européenne n’a pas plu aux mollahs car pour se maintenir au pouvoir, ces derniers se présentent comme les champions du refus de tout apaisement avec l’Occident qui protège Israël. Plus les trois Européens faisaient preuve d’apaisement et plus Téhéran se montrait intransigeant. Par la nécessité de refuser tout apaisement, Téhéran s’est même engagé à revendiquer des capacités nucléaires anxiogènes alors qu’il n’arrivait même pas à démarrer sans l’aide des Russes la centrale civile de Bouchehr dont les travaux étaient presque finis depuis des années. Sans aucune capacité nucléaire, Téhéran a tablé sur une amplification de la crise pour faire reculer l’Occident avec la peur d’une guerre nuisible à l’approvisionnement pétrolier. Les Européens ont eux-mêmes parfois participé à cette guerre médiatique pour faire reculer les Américains en négligeant le fait que Washington cherchait depuis toujours une entente avec les mollahs, meneurs du monde musulman, et non la guerre.

L’amplification de la crise et la propagande sur les risques de guerre ont joué en faveur de Washington qui a obtenu le transfert du dossier nucléaire iranien au Conseil de Sécurité pour éviter une guerre ! Il a ainsi engagé ces Etats partenaires de Téhéran dans sa guerre économique contre les mollahs. Après avoir mis en place ses sanctions, en novembre 2007, Washington a publié un rapport faisant état de retards iraniens en matière nucléaire pour décréter la possibilité d’un dialogue avec Téhéran, mais le dialogue était impossible car Bush ne pouvait pas incarner les sanctions, mais aussi le dialogue. Au cours de l’été 2008, Bush a constaté que les mollahs étaient trop affaiblis et risquaient de chuter, il a alors marqué une pause dans les sanctions. Il a transmis le dossier à Obama qui au nom de son slogan en faveur du changement a annoncé qu’il privilégiait désormais le dialogue et non les sanctions qui sont devenues contre-productives. Tout au long de l’année 2009, Obama a multiplié les initiatives de réconciliation et a récolté les mêmes réponses inamicales de Téhéran qui ne peut accepter aucun apaisement. Mais il continue dans la même voie car ses initiatives de dialogue sont accompagnées d’une guerre d’usure économique qui épuise doucement les mollahs, le temps travaille pour lui.

Dès le début de cette nouvelle approche, les Européens ont été piégés car ils avaient toujours proposé le dialogue. Ils se sont retrouvés embarqués à aider Washington. La France et l’Allemagne ont fait le choix d’accepter cette fatalité, mais la Grande-Bretagne qui avait trop à perdre a fait le choix de contrer ce drôle dialogue accompagné de sanctions. Elle a d’abord cherché à rendre le dialogue impossible en remettant en cause via El Baradai le rapport américain sur les retards iraniens en matière nucléaire. Washington est parvenu à remplacer El Baradai par le japonais Amano, de réputation pro-américaine. Mais au hasard des élections, la Britannique Ashton a succédé au très pro-américain Solana chargé des négociations nucléaires avec l’Iran. La première déclaration d’Ashton était de prendre le contre-pied de Washington.

Les Etats-Unis se sont retrouvés en danger. La Grande-Bretagne pouvait plaider en faveur des sanctions pour empêcher ses efforts pour parvenir à une entente avec Téhéran. Dans un premier temps, Washington a proposé le « rétablissement de Solana dans le rôle exclusif de négociateur avec l’Iran pour aider Catherine Ashton qui pouvait à son avis manquer d’expérience pour manier les mollahs ». N’ayant pas obtenu gain de cause, il a érigé ses alliés, la Turquie et le Brésil, qui siègent actuellement au Conseil de Sécurité comme des puissances émergeantes opposées à toutes sanctions et favorables au dialogue pour les introduire comme médiateurs dans la crise à la place de Lady Ashton.

Depuis décembre dernier, les ministres de ces deux pays vont et viennent en Iran en faisant des propositions commerciales qui échappent complètement à Mme Ashton. Cela a rendu la Grande-Bretagne furieuse : pour engager Washington dans une escalade des sanctions, elle a demandé aux compagnies britanniques qui étaient les principaux fournisseurs de carburant à l’Iran de cesser leurs ventes. La Chine qui est un des principaux alliés des mollahs et ne peut accepter de perdre cet allié a suivi la tendance en réduisant ses relations pétrolières avec Téhéran et enfin la Russie a imité la Chine. Les trois Etats ont ainsi cherché individuellement à s’opposer à Washington, mais faute d’une alliance, ils n’ont pas réussi à l’arrêter.

Dernièrement, Ashton a profité de son statut pour aller à Pékin pour afficher le soutien de l’UE à l’arrivée de la Chine dans le groupe des auteurs de sanctions. Washington et ses deux alliés européens, la France et l’Allemagne, n’ont pas félicité Ashton. Les deux Européens n’ont pas soutenu leur camp et Washington a relancé les médiations incongrues via le Brésil. C’est dans ce contexte que Lady Ashton a profité lundi dernier de la réunion annuelle des ministres des affaires étrangères pour affirmer que dans le cadre de la politique européenne de dialogue et sanctions avec l’Iran, elle était favorable à l’adoption de sanctions dans 4 à 6 semaines, mais qu’elle était également disposée à se rendre en Iran ou en Turquie pour négocier directement avec les dirigeants iraniens sur leurs armes nucléaires pour le compte des Six. A condition que les dirigeants iraniens l’appelent pour lui proposer de vraies discussions.

Presque tout est étudié dans cette déclaration puisque l’on y fait référence à une rapide adoption de sanctions, au dialogue direct via les Six, aux armes nucléaires – genre de sujets tabous à Washington –, et enfin à la Turquie uniquement comme un terrain neutre et non comme un médiateur. On atteint même l’apothéose avec la dernière phrase qui laisse aux mollahs l’initiative de faire le premier pas sous la menace des sanctions. C’est une imitation de l’offre faite par Obama, offre qui a toujours produit un refus catégorique des mollahs parce qu’ils ont une réputation de caïds régionaux à défendre. Londres espérait une réponse négative de Téhéran pour montrer qu’il était inutile de dialoguer avec les mollahs. Ces derniers ont réagi comme l’espérait Londres : dans une optique de refuser le premier pas ou tout apaisement, ils ont affirmé qu’ils acceptaient les discussions demandées par Ashton, mais attendaient la liste des sujets en précisant que le dialogue nucléaire était exclu car le dossier est entre les mains de l’AIEA.

Non seulement Ashton a restauré son rôle de médiateur, mais en plus, en piégeant Téhéran dans un non catégorique, il a mis en exergue l’inutilité de toute discussion avec Téhéran, réactualisant la nécessité des sanctions. Ashton a doublement piégé Washington.


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| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |
| Mots Clefs | Décideurs : P5+1 (les Six) |
| Mots Clefs | Enjeux : Intérêts Européens en Iran |

| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement (américain) |

| Mots Clefs | Décideurs : Brésil (Lula ou Amorim) |