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Iran : La longue marche de l’Europe vers la Chine
01.05.2010

Très récemment, après de longues années à refuser toutes sanctions contre les mollahs, la Chine a donné son accord à des sanctions modérées en parallèle avec le dialogue avec Téhéran. Au même moment, la Britannique Catherine Ashton, le remplaçant britannique de Solana aux Affaires étrangères européennes, éloignait la possibilité de sanctions européennes en se disant en faveur d’une décision commune à l’unanimité, impossible à réaliser, au point qu’elle est entrée en conflit avec le président Sarkozy qui prône des sanctions sans ce processus invalidant. Il y a deux jours, Ashton, en route pour Tokyo pour participer au sommet UE-Japon, s’est arrêtée à Pékin où se trouve le président Sarkozy pour parler des sanctions avec le président chinois Hu Jintao. Selon une source britannique, les deux parties se sont mises d’accord sur la nécessité de sanctions modérées en parallèle avec le dialogue. Autrement dit, Catherine Ashton a aligné les positions européennes sur celles de la Chine. C’est une évolution très importante.



Depuis le début de la crise nucléaire iranienne initiée par des accusations américaines, Pékin s’est toujours opposé aux sanctions car l’initiative de ces sanctions était américaine. Washington souhaitait le soutien de Pékin dans sa guerre d’usure économique contre les mollahs où l’alternative pour ces derniers était d’accepter de négocier et s’entendre avec lui. Pour Pékin, les Américains cherchaient à épuiser ses alliés, les mollahs, afin de les forcer à passer dans le camp américain. La Chine ne voyait aucun intérêt à aider les Américains à lui voler des alliés, mais se voyait plutôt obligée à préserver les mollahs car ces derniers bloquent l’accès des Occidentaux à l’Asie Centrale et refusent aussi toute aide aux islamistes russes et chinois aidés par Washington pour déstabiliser leurs pays respectifs. En cas d’un changement d’alliance, Pékin se retrouverait privée d’un gaz bon marché et exposée à de graves dangers car les mollahs sont des spécialistes d’agitation islamiste.

A la même époque, la Russie et l’Union Européenne qui sont les autres grands partenaires économiques des mollahs étaient dans la même disposition mentale que la Chine car un changement de bord s’accompagne toujours d’un changement de partenaire économique dans les domaines clefs, le pétrole et le gaz dans le cas de l’Iran. Leur hostilité était également motivée par le fait que grâce à une entente avec les mollahs, Washington allait non seulement mettre la main sur les réserves pétrolières et gazières de l’Iran, mais aussi sur celles de l’Asie Centrale pour devenir la première puissance pétrolière et gazière au monde.

L’opposition aux sanctions était alors homogène, mais elle était dispersée puisque Moscou et Pékin qui ne souhaitent pas partager l’Asie Centrale ne prenaient aucune initiative diplomatique alors que les Européens avaient formé la troïka pour parvenir à une entente sous leur propre égide où Washington aurait sa part sans avoir une entente exclusive avec Téhéran.

Au sein de cette troïka, on retrouvait : l’Allemagne, le 1er partenaire commercial des mollahs à l’époque, la France, le 1er partenaire pétrolier d’Iran (ex æquo avec l’Italie) et aussi la Grande-Bretagne, la 1ère puissance pétrolière mondiale menacée par le projet de mainmise américaine sur les réserves iraniennes et celles de l’Asie Centrale.

L’opposition à la mainmise américaine sur les principales réserves énergétiques du monde était alors à ses débuts et personne n’imaginait que la Chine puisse un jour s’approcher de la position européenne car leurs intérêts divergeaient vraiment. Ce rapprochement a été pourtant annoncé ce jeudi par Ashton, la représentante de la diplomatie européenne. Il résulte d’une longue série d’échecs et d’erreurs tactiques des deux groupes d’opposants pour contrer les Américains qui ont été très créatifs.

Le premier échec était inévitable car Washington a affirmé qu’il pouvait attaquer l’Iran comme il avait attaqué l’Irak. La faiblesse des forces armées iraniennes a incité ces Etats à exiger le transfert du dossier nucléaire au Conseil de Sécurité pour une action commune basée sur la diplomatie et le cas échéant des sanctions. En fait avec ce transfert en 2006 et les premières résolutions qu’ils ont adoptées à l’unanimité, ces Etats ont validé les accusations américaines et ont légitimé le principe des sanctions. C’est pourquoi après leur erreur de jugement, aucun d’eux n’a suivi Washington dans ses appels à l’adoption de sanctions complémentaires contre l’Iran et tous ont continué à plaider pour le dialogue.

Le second échec était également inévitable car après avoir adopter ses sanctions tout au long de l’année 2007. En novembre de cette année, Washington a publié le rapport de synthèse NIE 200 pour décréter que son premier jugement sur le programme nucléaire iranien était erroné et que Téhéran était loin de la bombe pour s’autoriser à négocier avec les mollahs qu’il sanctionnait. Dès lors, Washington est devenu le patron de la crise excluant tout rôle aux adversaires de sa politique.

3e échec | La Chine la Russie, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont alors organisé la résistance, mais toujours en rangs dispersés et avec des stratégies différentes. Les Britanniques, qui ont plus à perdre que les autres, ont remis en cause au sein de l’AIEA les conclusions du rapport de synthèse américain NIE 2007 en accusant Téhéran d’avoir des activités nucléaires militaires afin que l’opinion américaine s’alarme et ne cautionne pas une entente avec les mollahs. Mais dans le même temps, les Chinois et les Russes sont restés dans la négation de telles accusations en condamnant les sanctions et en plaidant pour la diplomatie.

4e et 5e échecs ou erreurs| Cette opposition dispersée n’a pas empêché Washington à mener sa barque. Les Américains ont continué à sanctionner et affaiblir les mollahs. Puis quand les mollahs ont été trop affaiblis et qu’il fallait éviter des sanctions plus fortes, Washington s’est mis à évoquer l’hostilité de la Chine et la Russie à des sanctions plus fortes ou encore le manque de coopération des Britanniques, principaux fournisseurs de l’essence à Téhéran.

Washington a alors écrit un nouveau scénario où il se disait en faveur des sanctions, où il avait le soutien actif de la France, mais il n’arrivait pas former une vaste coalition en faveur des sanctions notamment en raison de l’opposition de ses plus importants partenaires commerciaux comme la Turquie et le Brésil. Ces deux alliés de Washington se disaient prêts à se rendre en Iran pour négocier un arrangement. Washington a ainsi maintenu une guerre d’usure lente contre les mollahs pour les affaiblir sans risque et pouvoir leur proposer via la Turquie ou le Brésil des arrangements à chaque baisse de leurs indices économiques.

La Chine et la Grande-Bretagne ont réalisé qu’ils étaient devenus les complices de leur propre malheur en laissant la direction de la crise aux Américains : il est devenu évident qu’ils devaient changer leur politique, mais leur premier choix n’a pas été de jouer collectivement.

Dernières erreurs | Les premiers à réagir étaient les Britanniques qui se sont opposés au scénario sur deux axes : d’abord, Catherine Ashton s’est dite opposée à l’alignement de l’Europe sur Washington comme le prônait Sarkozy, ce qui a provoqué un mini clash entre les deux. Puis, les Britanniques ont cessé leur livraison d’essence à l’Iran pour priver Washington de tout prétexte pour éviter l’embargo énergétique fatal aux mollahs. Ils espéraient engager Washington dans une approche plus rude qui aurait mis fin à leur dialogue avec les mollahs, ou mis en danger les mollahs afin de renverser ces alliés potentiels à Washington ou encore les pousser à solliciter un arrangement multilatéral selon le modèle de la Troïka.

Au lieu de se lancer dans un embargo de carburant, Washington a esquivé en faisant un embargo sur l’info britannique en y consacrant un entrefilet suivi d’un article affirmant que les sanctions étaient impossibles.

C’est alors que la Chine a annoncé qu’elle avait réduit ses achats de pétrole en Iran, ce qui démontre qu’elle avait conscience de la nécessité d’une coalition internationale contre Washington. Ce dernier a encore censuré.

Les Britanniques ont alors porté secours à la Chine en rediffusant la nouvelle avec leurs moyens médiatiques qui sont plus importants. En agissant ainsi, Londres espérait l’émergence d’un front commun, mais Pékin a choisi Moscou, son partenaire pour bloquer l’arrivée de l’Union Européenne en Asie Centrale. Ensembles, il y a un mois, ils ont annoncé la nécessité d’un monde multipolaire. A la suite de cette annonce, Moscou avait aussi baissé le niveau de ses échanges avec Téhéran avant d’annoncer son adhésion aux sanctions. La Chine a aussi donné publiquement son accord à des sanctions pour engager Washington dans la confrontation avec Téhéran et aussi pour redéfinir son rôle de négociateurs dans la crise.

Washington a alors évoqué l’opposition brésilienne à toutes sanctions pour repousser les Chinois dehors avant d’envoyer le Brésil ou encore l’Inde à la rencontre des mollahs avec les bras chargés de cadeaux.

C’est dans ce contexte que Catherine Ashton s’est rendue à Pékin pour afficher une position commune avec la Chine. Un doute subsiste cependant : on ne peut cependant savoir s’il s’agit d’un rapprochement entre l’Europe et la Chine ou la Grande-Bretagne et la Chine car l’annonce n’a pas été suivie de déclarations de félicitations de la part des Européens en particulier les Français, partenaires de scénario des sanctions contrariées de Washington.

© WWW.IRAN-RESIST.ORG
Un rapprochement entre l’Europe et la Chine ou à défaut un rapprochement entre la Grande-Bretagne et la Chine seraient de bonnes choses car dans les deux cas, c’est un pari risqué qui passe par de nouvelles sanctions pour engager Washington dans une escalade qui est également susceptible de déstabiliser le régime des mollahs.


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article complémentaire :
- Iran : Les mollahs ont peur des Chinois
- (15 avril 2010)

La même évolution chez les Russes :
- Iran-Russie : Sanctions à contre-coeur
- (29 avril 2010)

| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |
| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : Chine |
| Mots Clefs | Enjeux : Sanctions (du Conseil de Sécurité) |

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |