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Iran : Dans les coulisses des 2 Mouvements Verts
19.03.2010

Il y a deux jours, il s’est passé quelque chose d’énorme en Iran : des milliers de gens sont descendus dans la rue pour célébrer un rituel interdit par le régime. Ils ont dansé et chanté ensemble ce qui est interdit et surtout ils ont refusé de se laisser instrumentaliser par le Mouvement Vert de Moussavi, la fausse opposition interne dont les leaders siègent dans la plus haute instance décisionnaire du pays. Le désaveu a été si puissant que le régime a dû modifier la balance des couleurs des vidéos de la soirée pour les verdir. Mais il n’y a pas que les mollahs pour tout peindre en vert : les Européens et les Américains viennent de consacrer des pages entières de leur presse au Mouvement Vert au travers des longues interviews accordées à Shirin Ebadi et Sazgara qui se posent en chefs en exil de l’opposition verte. | Décodages |



On oublie souvent des vérités simples : les mollahs ne sont pas arrivés seuls au pouvoir. Khomeiny et son équipe étaient installés en France ! Ce pays accordait alors régulièrement des visas à de nouveaux membres de l’équipe qui arrivaient des Etats-Unis. La France fermait aussi les yeux sur leurs activités politiques contre un de ses alliés. Ses médias (Nouvel Obs, le Monde, Express, TF1…) étaient aussi de la partie et donnaient un coup de main : tout le monde voulait abattre la monarchie iranienne, même si les Français s’en défendent régulièrement aujourd’hui en faisant valoir que le Chah leur avait demandé de veiller à la sécurité de l’ayatollah. Les Français que l’on retrouve aujourd’hui à promouvoir le Mouvement Vert oublient de préciser que le Chah n’avait plus été considéré comme un allié à partir de 1973, quand il avait annoncé sa décision de ne plus reconduire le contrat pétrolier infâme qui avait été imposé à son pays en 1954 par le Consortium dont ils faisaient partie. Les Français ont donné un coup de main à la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, actionnaires majoritaires du consortium pour renverser la monarchie iranienne pour être sûr d’avoir leur part de 6% du gâteau, c’est-à-dire 360,000 barils par jour.

Mais dans cette entreprise de démolition, les Américains poursuivaient un autre but : ils voulaient mener au pouvoir des islamistes iraniens qu’ils finançaient depuis 1961, l’année de la création de l’OPEP par le Chah. Leurs chouchous devaient avec l’aide des mollahs instaurer une république islamique révolutionnaire qui se donnait la mission d’exporter la révolution islamique dans le monde musulman, d’une part chez les fondateurs de l’OPEP et d’autre part dans les républiques soviétiques de l’Asie Centrale. Le maître mot de l’opération était : changement de régimes, changement de frontières : en morcelant les pays visés, Washington annulait les contrats et les accords pour ramasser la mise dans les pays divisés en petites entités impuissantes. Les Français croyaient qu’en renversant le Chah, ils allaient garder leurs 6% de la production iranienne et ne se doutaient pas qu’ils allaient de facto perdre tout : les 6% pétrolier, mais aussi tous leurs autres contrats avec l’Iran, mais aussi avec l’Irak qui était visé. Ils se sont sentis moins malheureux quand les mollahs plus nombreux et mieux structurés que les islamistes chouchous de Washington ont chassé ces derniers du pouvoir pour devenir les maîtres absolus de l’Iran. Washington a été dépossédé du régime qu’il venait de créer et des contrats qu’il espérait. Les Français ont rempli le vide aux côtés d’autres Européens pour enlever les meilleurs contrats. Ils se sont retrouvés engagés contre Washington, hostiles à ses pressions contre Téhéran, car tout changement de régime aurait signifié la fin de tous leurs contrats. A la longue, ils ont pu obtenir des contrats de plus en plus avantageux en faisant payer leur manque de soutien à Washington. On n’était plus dans la configuration de 1979.

Sans le soutien des Européens pour l’épauler (comme contre le Chah) pour revenir de force dans ce pays et donner le pouvoir à ses chouchous, Washington a mis au point un concept simple : revenir grâce à une réconciliation. C’est le principe du Cheval de Troie. Washington a commencé à sanctionner Téhéran au motif de son soutien avéré au terrorisme, mais en lui proposant régulièrement la fin des sanctions. Washington voulait forcer les mollahs à rentrer dans le rang pour organiser des élections libres à tout candidat, une occasion pour ses pions de reprendre le pouvoir. Face à cette stratégie, les mollahs, qui ne se sentaient pas assez puissants pour résister à des sanctions, ont inventé « les modérés » pour simuler leurs propres élections libres. Washington était piégé : il a joué le jeu. Les Européens ont alors soutenu pleinement ces faux-modérés pour ruiner les projets de changement de régime de Washington au motif de la défense des modérés (un discours qui revient avec les Verts), mais en fait il s’agissait de ne pas se retrouver dans une situation de contrats annulés.

Ce statu quo ronronnant a été bouleversé en 2003 quand Washington a accusé Téhéran de production d’armes de destruction massive afin d’augmenter ses pressions économiques pour parvenir à ouvrir les portes de la citadelle iranienne. Les intérêts européens ont alors été menacés : ces derniers se sont réunis en Troïka pour entrer en action à mi-chemin entre leurs obligations envers Washington et leur obligation d’empêcher ce dernier de soumettre leurs vaches à lait barbues.

Grâce au prétexte gravissime de nuire à l’équilibre de la dissuasion, Washington est allé loin dans les sanctions, mais les mollahs qui ont tout à perdre n’ont pas ouvert les portes de leur citadelle. Comme la fois précédente, ne se voyant pas en mesure de résister encore avant qu’ils ne soient obligés d’ouvrir les portes de la citadelle pour laisser les chouchous de Washington revenir, ils ont eu l’idée saugrenue de réaliser leur propre révolution de couleur sous l’égide du Mouvement Vert, selon le schéma des révolutions de couleur organisées par Washington au prétexte d’une fraude électorale. Ce nouveau scénario était similaire au scénario des modérés de Khatami. Les Européens l’ont soutenu immédiatement en diffusant des reportages favorables à ces Verts.

Mais les choses ont vite mal tourné car les Iraniens ont boudé cette fausse révolution animée par 2 à 3000 de figurants verts et ont profité de l’entrebâillement des portes de la citadelle pour descendre massivement dans la rue avec des slogans hostiles au régime. A cette occasion, on a enregistré une défaillance au sein de la milice : les plus jeunes bassidjis n’ont pas accepté de participer à la répression, le régime s’est retrouvé bien isolé. On entrait alors dans un scénario de changement de régime synonyme d’annulation des contrats. Pour que l’opinion ne soutienne pas ce soulèvement, les Européens ont cessé d’évoquer les manifestations en Iran alors qu’elles réunissaient quotidiennement près d’un million de personnes dans plusieurs villes. Les médias français ont reparlé des manifestations en Iran qu’après la fin du soulèvement contre le régime dans d’élogieux articles consacrés aux chefs de ce Mouvement Vert, pour les légitimer afin d’écarter toute possibilité d’un changement de régime susceptible d’annuler leurs contrats.

Bizarrement, on a observé une attitude proche chez les Américains : c’est-à-dire rien pendant le soulèvement, puis beaucoup de bruits en faveur du Mouvement Vert, mais pas ses chefs. Dans un premier article, nous avions vu dans cette demi-légitimation la preuve de la vigilance de l’administration Obama à ne pas se laisser piéger tout en s’imiscant dans le jeu pour accuser les mollahs de fraude afin de les forcer à organiser des élections sous une surveillance internationale, occasion pour ses pions de prendre le pouvoir. Mais sur la base de la découverte d’articles américains évoquant ce thème de fraude électorale en début de l’année 2010 et la découverte de l’existence d’un projet de révolution verte (américaine) dans le Caucase en 2005, nous estimons que l’idée du Mouvement Vert a sans doute été un projet américain que Washington a fait parvenir aux mollahs pour les engager dans un processus qui leur échapperait. Selon notre analyse, l’ami qui a donné ce bon conseil à Téhéran serait Sazgara, ex-chouchou de Washington en 1979, qui a lâché les siens en 1980 pour servir les mollahs et qui reviendrait à son premier engagement initial de servir les intérêts américains. C’est pour cela qu’Obama est resté silencieux : il était au courant. Il n’a rien dit pour déclencher le processus irréversible : il voulait se faire désirer pour pousser les mollahs à aller toujours plus loin. Les deux parties sont alors entrées dans un jeu stérile à qui veut piéger l’autre. L’on s’est ainsi retrouvé avec des encouragements américains au Mouvement Vert que l’on ne doit pas confondre avec les encouragements Européens à ce même mouvement : l’un veut une sorte de changement de régime, l’autre le maintien du régime.

Cette semaine, on retrouve ces deux tendances opposées réunies au lendemain la fête du feu car les Iraniens sont, à nouveau, descendus dans la rue contre l’avis du pouvoir, mais sans arborer les signes de ralliement au Mouvement Vert, c’est-à-dire dans une logique de changement de régime. De plus selon des informations reçues hier, les bassidjis n’auraient pas suivi les ordres pour disperser les fêtards et auraient pris part aux festivités prohibées, ce qui renforce l’hypothèse de la fragilité du régime et pose le problème d’un risque de soulèvement fatal.

Dans un réflexe pavlovien, les Européens et les Américains ont immédiatement inondé leurs médias de reportages sur la popularité du Mouvement Vert afin que leurs citoyens ne puissent pas imaginer que les Iraniens veulent surtout un changement de régime. C’est plutôt déprimant pour les Iraniens.

Cependant si les Européens et les Américains ont bougé simultanément, nous rappelons que les premiers ont réagi pour sauvegarder leurs contrats et les seconds pour imposer la transition du pouvoir vers leurs propres pions islamistes. C’est pourquoi les Européens ont donné la priorité à Ebadi qui roule pour Téhéran et les Américains ont mis en avant leur chouchou Sazgara.

Nous voilà donc avec deux personnages qui se prennent au sérieux et revendiquent le leadership d’un Mouvement islamiste factice né à Washington adopté par les mollahs qui n’a que des partisans rémunérés. On leur donne 5 minutes de survie dans une foule iranienne hostile à tout régime islamiste. Vu sous cet angle, ce n’est pas déprimant, c’est fou : Européens et Américains nient les évidences. On va aux devants d’une explosion qui ne sera pas verte, mais rouge sang.


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Additional article :
- The Anglo-American Oil Controversy in Iran 1919-1924
- (source | Fravahr | Babak Khandani)

| Mots Clefs | Réformateurs & faux dissidents : Le Mouvement Vert |
| Mots Clefs | Réformateurs & dissidents : Shirin Ebadi |
| Mots Clefs | Resistance : FAUSSE(s) OPPOSITION(s) |

| Mots Clefs | Histoire : Révolution Islamique |

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Pays : France |
| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |