Accueil > Articles > Iran : Le désamour entre le Bassidj et le pouvoir



Iran : Le désamour entre le Bassidj et le pouvoir
01.12.2009

Il y a un mois, nous avons signalé une absence des cadets de la milice Bassidj, jeunes chargés de la sécurité intérieure, dans les manifestations officielles du régime. Au fil des jours, des indices se sont amassés faisant état d’un malaise entre le pouvoir et ces jeunes, non seulement dans le Bassidj, mais aussi dans d’autres armes. Le régime a confirmé notre hypothèse en relevant de leurs fonctions les bataillons de jeunes chargés de la sécurité urbaine.



Cet été, dans le but de mener le dialogue avec l’Occident à une impasse afin de ne faire aucun compromis, le régime des mollahs a eu l’idée d’une contestation démocratique de la légitimité électorale de la personne chargée du dialogue, le président fraîchement réélu, le très antipathique Ahmadinejad. Des jeunes gens manifestaient en tenue verte (couleur de l’Islam) et se battaient mollement avec des bassidjis en grand nombre et scandaient des slogans dont nous savons aujourd’hui qu’ils font partie du bagage culturel des miliciens du régime : devises écrites sur les drapeaux du bassidj ou encore des mots célèbres de Khomeiny.

C’est à ce moment que beaucoup d’Européens ont redécouvert l’Iran et par la même occasion le mot bassidji. Ce succès était aussi dû au fait que le régime des mollahs d’habitude si sévère avec les journalistes ou les documentalistes avait autorisé tous les médias étrangers à couvrir ces manifestations et interroger les participants, qui répétaient « nous ne sommes pas contre le régime ou la charia seulement contre Ahmadinejad ! »

Manon Loizeau de France2 vient d’ailleurs de recevoir un prix journalistique pour un reportage tourné pendant les deux journées de spectacle de rue destinées à lancer le Mouvement Vert.

Ces efforts médiatiques étaient en fait destinés non pas au public de France2, mais au président américain Barak Obama qui avait, quelques jours plus tôt, fait un discours de soutien aux jeunes démocrates musulmans du Moyen-Orient. Téhéran espérait qu’il apporte son soutien au Mouvement Vert pour priver Ahmadinejad de toute légitimité et de facto rendre invalide toute négociation par son biais. Aujourd’hui de source sûre, nous savons que Téhéran avait envoyé via de soi-disant dissidents ou experts iraniens basés aux Etats-Unis des messages à la présidence américaine pour le convaincre que les contestataires seraient favorables aux Etats-Unis. Mais le jour J, Obama et ses conseillers ont hésité, mais ils n’ont finalement pas été dupes.

En l’absence de ce soutien sans lequel le scénario n’aurait eu aucune validité, Téhéran a décidé d’autoriser une grande manifestation pour avoir l’air plus convaincant. Les Iraniens ont été alertés par des médias étrangers en qui ils ont confiance et ils sont descendus dans les rues des plus grandes villes du pays, mais ils ne se sont pas comportés comme l’entendait le régime et ses sponsors étrangers. Les Iraniens n’ont pas suivi la consigne verte, ils ont pris à partie des gens du régime qui marchaient dans le cortège et surtout ils ont appelé à la poursuite des manifs et aussi à ce dont il a la hantise ; une grève générale nationale. De source sûre, ce jour-là on a aussi crié « Mort à la république Islamique », un slogan qui a d’ailleurs été à deux reprises enregistré dans les vidéos qui nous parvenaient de l’Iran.

On a alors assisté à 10 jours de soulèvement contre le régime dans sa totalité. Alors que sur le joli film de Manon Loizeau on voyait des bassidjis en grand nombre, quand les jeunes et les moins jeunes iraniens se sont révoltés contre le régime, il n’y en avait plus. On a par la suite su que des centaines d’appelés (qui sont généralement incorporés dans le Bassidj) avaient désertés, alors que d’autres avaient déposé les armes et refusé de combattre leurs compatriotes. La raison est qu’aujourd’hui, tout iranien communément révolté par le train de vie des mollahs, l’est encore plus car ces derniers ont supprimé des allocations destinées aux pauvres (fonctionnaires) et fermé des usines sans payer les ouvriers - pour préserver ce train vie malgré les sanctions. Les tensions sont plus fortes au niveau des jeunes du Bassidji car ces derniers issus de milieux en difficulté peuvent dans le cadre de leur mission de protection voir ce train de vie très très élévé (le salaire d’un député est proche de 20,000 dollars alors que les revenus d’ouvriers sont moins de 200 dollars).

Après 5 jours de dépassement, le régime a repris le contrôle de la rue par la terreur des snipers basés sur les toits en faisant intervenir des gens des services secrets, que l’on voit en tenue civile (pantalon gris & chemise blanche).

Depuis cet été, il y a une fracture entre le pouvoir et les cadets de la milice Bassidj, fracture qu’il a été difficile de voire car le régime a focalisé les efforts des animateurs du Mouvement Vert pour taper sur les bassidjis et encourager la haine de ce groupe afin d’empêcher une fraternisation avec les jeunes des quartiers pauvres.

Nous avons aussi crié au loup avec les autres, mais par chance nous avons sur ce site une rubrique nommée la Semaine en Images qui nous force à regarder avec attention les images officielles produites par le régime. Il y a environ un mois, nous avons été intrigués par ces images : nous avons signalé une absence des cadets de la milice Bassidj dans une manifestation officielle du régime où ils défilaient chaque année armés de la tête au pied.

La seconde alerte a été la suppression de manœuvres militaires avec leur présence, puis leur absence dans une audience qui leur est officiellement réservée chaque année auprès du guide suprême. A ce rendez-vous annuel, le régime les a remplacés par de très jeunes enfants miliciens et des fillettes de la milice, deux groupes qui ne portent pas des armes.

La semaine dernière, Téhéran devait organiser comme chaque année la semaine de la célébration du Bassidj et des Bassidjis. A la cérémonie de la remise des déclarations, les jeunes étaient présents en très petit nombre et au lieu d’arborer des mitraillettes comme d’autres miliciens dans ce genre de cérémonies, ils portaient des bouquets de fleurs.

En milieu de la semaine, ils n’ont été que 30 non armés dans le grand rassemblement où devaient être présents des personnalités du régime. Un peu plus tard, au lieu d’être les invités d’honneur du prêche annuel du Guide à l’attention des bassidjis, on a retrouvé ces cadets (qui font peur) noyés dans une masse de vieux. Les jeunes bassidjis ont également été absents des dernières manœuvres anti-aériennes bien que leur présence avait été signalée par la chaîne Press-TV.

A posteriori quand on remonte dans le temps pour regarder les images réunies dans notre rubrique hebdomadaire de la Semaine en Images, on peut voir qu’ils ont été manquants à l’appel pour peupler les diverses manifestations du régime ou encore celles à l’honneur du Guide Suprême.

Les images ne nous avaient pas trompés. Le verdict contre cette révolte muette est tombé dimanche soir. Au prétexte incompréhensible que « 12 personnes avaient volé des uniformes de bassidji pour tuer des manifestants pendant les affrontements de cet été », Hamédani, le nouveau Commandant des forces de Bassidj du Grand Téhéran a relevé de leur fonction tous les bataillons d’Al Zahra (pour les filles) et d’Achoura (pour les garçons), les deux principaux corps de Bassidj chargés de la défense et de la sécurité des villes. Selon le communiqué très succinct du Commandement Hamédani cité par l’agence Mehr, les jeunes « des bataillons Al Zahra et Achoura n’auront plus d’activités armées ou militaires et seront affectés à des activités culturelles ou des missions de renseignement ».

Les choses prennent une tournure excitante car le nombre de miliciens concernés est énorme. Un bataillon iranien a entre 300 et 1000 membres et le Bassidj compte 120 bataillons d’Al Zahara et 120 bataillons d’Achoura à Téhéran ! La décision de les mettre loin des armes d’un seul coup laisse penser que le régime avait peur d’une action concertée de leur part. Il a pris le parti d’éliminer un risque immédiat. Tant mieux, il a poussé un réseau organisé de jeunes révoltés dans les bras du peuple.


© WWW.IRAN-RESIST.ORG
| Mots Clefs | Institutions : Bassidjis (BCU) |

| Mots Clefs | Résistance : Menace contre le régime |