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Iran-Russie : à surveiller de près !
18.02.2010

Pour échapper aux sanctions qui les épuisent à petit feu, les mollahs ont choisi une stratégie d’amplification de la crise pour provoquer un état de guerre susceptible de faire reculer Washington. Face à cette logique jusqu’au-boutiste, Washington a opté pour un faux apaisement afin d’éviter une escalade, maintenir ses sanctions et les affaiblir à petit feu. Il espère de la sorte les contraindre à devenir ses alliés pour agiter ensemble les musulmans de l’Asie centrale et soustraire cette région à l’influence de la Chine. Alors que l’on parle beaucoup de cette dernière, la Russie, l’autre victime désignée de la même politique américaine, vient de donner la parole à Ahmadinejad dans VIP-PREMIER, le magazine économique destiné aux patrons russes pour évoquer longuement les projets inavouables de Washington pour cette région. L’affaire est peu banale car Moscou s’affiche comme un allié de Washington. Serions-nous à l’aube d’un renversement des alliances ?



Depuis les années 70, sous l’influence du grand théoricien de la diplomatie américaine Brzezinski, Washington redoute l’éveil de la Chine désignée sous le nom de l’EST . Pour miner cet éveil, Washington a adopté la doctrine Arc de la Crise de Brzezinski qui consistait à faire mouvement vers l’Est avec des révolutions islamiques en Asie Centrale pour exploser la Russie Soviétique et provoquer un soulèvement séparatiste chez les musulmans chinois de la région pétrolière de Xinjiang. Selon Brzezinski, la Chine alors privée de ses ressources pétrolières du Xinjiang et de l’Asie Centrale n’aurait d’autres solutions que d’attaquer les gisements sibériens… Washington aurait alors détruit ses deux adversaires dans une même opération. C’est cette théorie grotesque et très aléatoire qui a conduit les Etats-Unis à renverser le progressiste et laïque Bhutto au Pakistan au profit d’un général islamiste pour faire de ce pays une base pour les Moudjahiddines afghans, avant de donner le feu vert à une révolution islamique en Iran contre le Chah coupable par ailleurs d’avoir créé l’OPEP.

La révolution islamique en Iran devait être la pièce maîtresse du projet pour trois raisons : elle devait donner naissance à une armée d’exportation de la révolution islamique (les Gardiens de la révolution) dont la tâche était facilitée par le fait que le persan est l’une des langues dominantes de l’Asie Centrale, parlé en Afghanistan, partiellement au Pakistan et dans toute l’Asie Centrale même par les turcophones. Les maîtres d’œuvres iraniens de ce projet n’étaient pas les mollahs car ils sont depuis 130 ans les alliés locaux des Britanniques, adversaires des Américains dans le domaine pétrolier depuis 1930. Pour réaliser son projet de révolution islamique et la création d’une milice de Gardiens de la révolution, Washington comptait sur le parti islamo-fédéraliste Nehzat Azadi créé par Mehdi Bazargan et l’Ayatollah Taleghani avec des financements américains au lendemain de la création de l’OPEP et la branche armée de ce parti, les Moudjahiddines du Peuple. Le projet avait un seul défaut. Lancées dans les années 60 et 70 pour recruter des partisans, les deux formations avaient joué la carte de sympathie pro soviétique au point que l’on surnommait « Taléghani, le mollah rouge » ! De fait, les deux formations inspiraient des craintes et manquaient de bases dans le peuple et surtout au bazar, domaines décisifs pour le succès du projet, domaines où prévalait le pouvoir du clergé. Il a fallu intégrer les mollahs et le choix a été porté sur Khomeiny, le chef de file des mollahs agitateurs proches des Frères Musulmans (confrérie créée avec le soutien des Britanniques sur le modèle franc-maçon pour miner tout progressisme dans les pays arabes nouvellement créés). En fait Washington a passé une alliance avec le modèle inspirateur de son projet de balkanisation par une agitation islamique sans se douter de la force de son adversaire. Washington était sans doute rassuré par le fait qu’il avait placé Khomeiny à la tête de la révolution dans un groupe uniquement composé de membres de Nehzat Azadi, un groupe qui a soutiré au vieux mollah son accord pour une constitution dans laquelle le clergé aurait un rôle de superviseur spirituel et rien d’autre. Cet accord a d’ailleurs conduit Khomeiny à nommer Taleghani à la tête du Conseil de Révolution et Mehdi Bazargan à la tête du 1er gouvernement provisoire de la révolution dans un cabinet formé uniquement des membres de ce parti. Le 11 février 1979, sa mission était finie comme sa carrière ! Mais aujourd’hui on ne connaît que lui car il a changé le cours de l’histoire en faisant éliminer les deux chefs de la principale formation au pouvoir avec d’une part la prise de l’ambassade américaine et la révélation des financements accordés à Bazargan, mais aussi avec l’élimination de son 1er rival, Taléghani, mort d’un arrêt cardiaque suite à la visite chez lui de l’ambassadeur d’Union soviétique !

le contexte actuel | 9 mois après la victoire de la révolution islamique américaine, Khomeiny a pris le pouvoir grâce aux Soviétiques ! Ces derniers ont ainsi viré les Américains et leurs pions de leur projet pour mettre à feu et à sang l’Asie Centrale. Depuis cette date, Washington cherche à reprendre le contrôle de son bien en sanctionnant le régime déviant pour l’affaiblir et le forcer à accepter une normalisation des relations et le respect des droits de l’homme, prétextes à un retour sécurisé de ses pions en Iran pour une prise du pouvoir dans des élections organisées par les mollahs eux-mêmes, c’est-à-dire une transition incontestable. Les mollahs et les pasdaran passeront alors sous la direction de Washington, ce qu’ils refusent car ils perdront leur mainmise totale sur les richesses inépuisables de l’Iran.

la stratégie des mollahs | Face à ce rouleau compresseur, les mollahs ont toujours été la carte d’une stratégie de nuisance contre les intérêts économiques et géopolitiques des Etats-Unis. Cette stratégie s’est traduite par des attaques contre les alliés stratégiques des Etats-Unis comme l’Egypte, Israël, l’Arabie Saoudite, le Maroc, un rapprochement avec les ennemis des Etats-Unis comme la Chine, la Russie, le Venezuela et certaines coopérations comme la fourniture d’armes chinoises aux Talibans pour priver Washington d’un accès à Asie Centrale. Cette nuisance anti-américaine est devenue un élément important de la diplomatie russe, au point que Poutine avait déclaré : « la Russie ne rentrera dans aucune alliance sacrée contre l’Iran » ou encore « attaquer l’Iran équivaut attaquer la Russie »… Mais force est de constater que dans sa stratégie de nuisance, tout a toujours été entrepris par Téhéran avec l’arrière-pensée de parvenir à un arrangement avec les Américains. Or, le seul arrangement que Téhéran pourrait offrir aux Américains serait l’octroi d’un droit de passage de tubes américains vers l’Asie Centrale, une connexion qui désenclaverait cette région l’émancipant de l’influence chinoise et russe. C’est pourquoi malgré leur hostilité à faire partie d’une coalition anti-mollahs, la Chine et la Russie ont toujours eu l’impression d’être utilisées par les mollahs comme des protections jetables après l’éventuelle signature d’un accord avec Washington et ne leur ont jamais accordé leur confiance, évitant surtout de l’intégrer dans l’Organisation de Coopération de Shanghai, un club où ils auraient pu bénéficier d’une protection plus forte susceptible de les rendre incontrôlables. Pour la même raison, Moscou a toujours refusé la livraison des S-300 à cet impossible allié et Pékin qui produit des répliques n’a pas soufflé le marché à son allié, mais éternel rival régional.

Les mollahs sont pour beaucoup dans leur isolement. Ils ont gâché des opportunités en or en termes d’alliances constructives avec la Chine et la Russie. Ils ont mal joué, mais il faut préciser que les mollahs sont à l’origine des bazaris, des commerçants sans vision politique à long terme : ces alliances avec des partenaires économiquement à la traîne ne les intéressaient pas, ils préféraient des alliances avec les Britanniques et cela continue à être le cas, une réalité qui n’échappe pas aux deux pays, pourtant de grands exportateurs de produits bas de gamme vers l’Iran.

la stratégie complémentaire des Américains et ses conséquences | Mais pendant que les mollahs jouaient la carte des nuisances à géométries variables, leurs adversaires américains ont joué très subtilement en poussant la Russie à bout avec le projet ABM qui allait forcer cette dernière à se lancer dans un épuisant effort de mise à niveau militaire. En échange de son retrait partiel et un droit de présence militaire russe en Ossétie et en Abkhazie pour une durée de 49 ans, en août dernier les Américains ont obtenu l’adhésion forcée des Russes à l’ensemble de leur politique vis-à-vis des mollahs y compris les sanctions douces destinées à les épuiser afin qu’ils restituent la direction de leur régime à son concepteur pour renouer avec le projet d’embraser l’Asie Centrale pour la soustraire aux influences russe et chinoise. C’est alors que l’on aurait dû assister à une réaction parasitaire de la presse russe dénonçant les intentions cachées de Washington aux patrons de l’industrie pour créer une psychose, mais il n’y a rien eu. A posteriori, on peut estimer que Moscou avait parié sur la capacité de Téhéran à amplifier la crise pour faire capituler Washington et dans ce cas, elle aurait cédé à Washington sur l’Iran et obtenu pour rien des avantages régionaux et même un très important contrat pétrolier en Irak. Mais le 7 février, Téhéran a dépassé la limite suprême de provocations en annonçant un enrichissement à un taux destiné à un usage militaire sans déclencher la moindre crise. Il a alors redoublé d’efforts en annonçant un enrichissement à des taux plus élevés ou en refusant l’offre américaine de vente d’isotopes, preuve de son refus de compromis, sans aucun succès : il a même récolté du mépris et des ricanements. En enfin, Washington a dévoilé des trésors d’artifices pour éviter tous risques d’escalade. La cause était perdue. Téhéran qui est lessivé ne peut déclencher la crise salvatrice. Le lundi 15 février Moscou a publié une interview d’Ahmadinejad axée sur les dangers encourus par la Russie, si elle perdait un jour le verrou anti-américain en Iran.

l’interview parue dans VIP-PREMIER MAGAZINE | Ahmadinejad a attaqué le sujet sous l’angle de leurs « intérêts en commun » dont un des résultats serait « la révolution islamique qui a chassé l’ennemi commun américain de la région » (en référence au rôle de la Russie dans l’élimination du rival de Khomeiny). Puis il est allé au cœur du sujet en déclarant : « ceux qui avaient aidé la Russie pendant la seconde guerre mondiale via le Sud (les Américains via l’Iran) projettent actuellement de la frapper par le Sud avec d’une déstabilisation intégriste qui touchera jusqu’au nord de la Russie (la Sibérie pétrolière et majoritairement musulmane) avant d’ébranler la Chine et l’Inde ». « L’Iran bloque tel un mur ce mouvement américain vers l’Est (référence à Brzezinski), mais il faudrait que la Russie se défende aussi si elle tient à sa sécurité », a précisé Ahmadinejad. « C’est un danger commun. Dans l’intérêt commun, il faudrait empêcher les forces de l’Otan et leurs alliés intégristes de s’installer derrières nos frontières (en Asie Centrale qui se trouve entre l’Iran et la Russie) », a constaté l’homme des mollahs.

Le reste de l’interview menée par des journalistes russes et chinois a découlé de ce constat du « Mouvement américain vers l’Est ». On l’a retrouvé à toutes les sauces pour suggérer la nécessité d’une défense commune avant d’entendre Ahmadinejad préciser que la solution serait d’intégrer en urgence l’Iran dans l’Organisation de Coopération de Shanghai « avant que les forces de l’Otan n’arrivent aux portes de Moscou ou Pékin ».

Pour finir, Ahmadinejad à rappelé que « Téhéran avait toujours vécu au cours de ces 30 ans sans cette alliance et pourrait continuer dans la même voie, mais son adhésion serait bénéfique à tous » Et enfin, il a précisé que « Téhéran n’avait jamais cherché à utiliser la Russie dans des marchandages avec l’Ouest (Washington), mais à avoir des relations saines ».

conclusions | On est face à une solide argumentation pour plaider la priorité d’une adhésion et aussi une repentance. On ne peut pas y rester indifférent car ces propos qui évoquent une urgence n’ont pas été publiés en Iran, mais en Russie -pays jusque-là hostile à l’adhésion des mollahs au prétexte qu’elle n’était pas prioritaire. C’est à surveiller de près car les deux ont vraiment besoin l’un de l’autre dans les plus brefs délais, à moins que Téhéran ne réussisse à provoquer une crise salvatrice.


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| Mots Clefs | Pays : Alliance IRAN-RUSSIE |
| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : O.C.S |

| Mots Clefs | Histoire : Brzezinski et Carter |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |

| Mots Clefs | Institutions : Les Racines de la Révolution Islamique |