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Iran : WikiLeaks et la vilaine Amérique
01.12.2010

Le site WikiLeaks vient de publier de nombreux documents officiels volés par un simple soldat (qui avait accès à tous les codes secrets du Pentagone et du Département d’Etat), documents faisant état d’une intense activité diplomatique secrète des Etats-Unis en rapport avec l’Iran ainsi que des projets d’intervention militaire contre ce pays. Cette fuite invraisemblable intervient alors que l’administration Obama n’a pas réussi à parvenir à une entente dont l’Etat américain a besoin pour dominer la région et a, par conséquent, besoin de plus de temps sans être taxé par le peuple américain d’inaction et de laisser-aller ! D’ailleurs, 24 heures après la soi-disant fuite, Hillary Clinton est intervenue pour dire que ces documents étaient des preuves de l’implication de l’administration Obama ! Washington a organisé cette fuite pour rassurer son opinion publique ; au passage, il a diffusé des idées fort intéressantes présentées comme des analyses objectives qui ne le sont pas, mais dévoilent les contours de ses futurs projets géopolitiques.



Les documents de WikiLeaks sont axés sur la république islamique d’Iran, mais on y parle aussi d’autres pays comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Irak, Israël et la Turquie.

1 | Les documents WikiLeaks attribuent des pensées guerrières à l’Arabie Saoudite.

2 | Ils attribuent à Moubarak la prophétie selon laquelle il avait prédit que les mollahs seraient les maîtres de l’Irak si Washington commençait une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Ce qui est faux car les supposés politiciens inféodés à Téhéran ont donné le contrôle du pétrole aux Américains et non aux mollahs. Ils refusent même de partager avec les mollahs des puits confisqués par Saddam !

3 | Les documents accusent la Turquie laïque de financer du terrorisme islamique alors que les mollahs reconnaissent financer le Hamas et le Hezbollah ainsi que des dizaines de groupes islamistes de tout bord comme les Talibans et Al Qaeda (faits d’ailleurs signalés par les avant-dernières révélations de WikiLeaks) !

4 | Et enfin les documents parlent aussi d’Israël en évoquant sa volonté d’une intervention militaire, mais on attribue aussi au Chef du Mossad la réflexion que Téhéran n’a pas la volonté de créer une bombe nucléaire, mais d’en avoir seulement la capacité !

En gros, les documents mettent en garde contre une nouvelle guerre, attribuent la responsabilité de cette guerre à d’autres que les mollahs [1], et en parallèle, ils les blanchissent de toute accusation de terrorisme et aussi de la mauvaise intention de se doter d’une arme nucléaire. Avouez que c’est bien trouvé pour justifier des réprimandes vis-à-vis des partisans de guerre (comme Israël) et aussi fort bien agencé pour justifier la poursuite du dialogue avec les mollahs notamment avec le patron du régime, Rafsandjani, recherché par Interpol pour crime contre l’humanité, qu’une "analyse objective" de WikiLeaks présente comme un doux démocrate ! Le reste des sous-entendus de la fuite sont aussi à double sens comme nous le verrons plus loin.

Cet attachement au dialogue avec des pires islamistes est dû au fait que Washington a des liens particuliers avec eux : Les Etats-Unis ont même été le premier Etat à reconnaître ce régime à son avènement en 1979. Il faut cependant préciser qu’ils n’ont pas salué les mollahs, mais le gouvernement provisoire révolutionnaire et islamiste formé par le parti islamiste de
Nehzat Azadi qu’ils finançaient depuis 1961
pour punir le Chah d’avoir créé l’OPEP. La promotion des islamistes en Iran était en fait au centre d’un projet plus vaste appelé la Ceinture Verte qui devait promouvoir l’accession au pouvoir des formations ultra-islamistes dans tous les pays voisins de la Russie soviétique et la Chine communiste pour provoquer une vague de soulèvement des musulmans dans le Caucase et l’Asie Centrale pour détacher ces régions gorgées de pétrole et de gaz. Washington aurait alors détruit ses adversaires pour créer une multitude de pays faibles qui auraient eu besoin de sa protection militaire et son aide technologique pour extraire leur pétrole : il aurait hérité d’un vaste empire pour devenir la première puissance économique au monde.

La Ceinture Verte comprenait la Turquie, capable de soulever les Azéris, l’Iran qui avait la plus grande frontière avec l’Asie Centrale soviétique, l’Afghanistan qui offre un accès à l’Asie Centrale et au Cachemire voisin des territoires musulmans de la Chine et enfin le Pakistan qui réclame le Cachemire.

L’Iran en tant que république islamique était la pièce maîtresse du projet essentiellement axé sur l’Asie Centrale. Mais huit mois après l’établissement du régime islamique, les mollahs qui n’avaient pas eu de part dans le nouveau régime ont pris d’assaut l’ambassade américaine pour en extraire les documents liant Washington au gouvernement au pouvoir : une sorte de WikiLeakiade discréditant les pions de Washington, les forçant à la démission pour prendre leur place.

Washington a alors commencé à sanctionner les mollahs en les privant d’accès à la technologie pendant la guerre pour générer du mécontentement intérieur afin que le risque d’une déstabilisation interne les pousse à restituer le pouvoir via des élections libres (c’est-à-dire ouverte aux islamistes liés à Washington).

Les mollahs ont été importunés par ces sanctions, mais en se disant que Washington ne pourrait jamais les déstabiliser alors que le peuple attend cela pour mettre fin au pouvoir de l’islam, ils n’ont jamais cédé à la panique. Le régime avait cependant un point faible : son économie étatique essentiellement axée sur la vente de contrats pétroliers pour récolter des devises dont une partie était consacrée à l’approvisionnement du marché intérieur. En 1996, au prétexte du financement du terrorisme islamique par les mollahs (le contraire des analyses bidons publiés par WikiLeaks), Washington a interdit à ses partenaires d’acheter des contrats pétroliers en Iran pour restreindre l’arrivée de devises afin de mettre le régime en situation de pénurie et générer ainsi des mécontentements plus sérieux. Conscient de la force de cette frappe, il a cependant autorisé de gros contrats avant l’entrée en vigueur de cette mesure en 1997. Par la suite, il a sans cesse adopté de nouvelles sanctions économiques sans jamais les appliquer à 100%. Malgré l’irrégularité des pressions, le régime des mollahs a été vite épuisé. Il a été bien mal quand au prétexte d’activités nucléaires insignifiantes, en 2007, Washington a ajouté des sanctions bancaires à sa gamme de pression.

Le premier réflexe du régime a été de geler les salaires et augmenter régulièrement les prix pour réduire la consommation du peuple alors qu’il manque de devises pour approvisionner le marché. Il a alors perdu le soutien des très pauvres et le taux de fréquentation de ses manifestations officielles a baissé. Washington a alors augmenté la pression. Pris à la gorge, Téhéran s’est mis à dépouiller ses alliés les Bazaris en visant leurs comptes en devises. Les Bazaris qui sont les alliés historiques du clergé ont pris leurs distances, le régime était en danger. Washington a eu peur qu’ils se retournent contre le régime et s’est alors mis à contourner ses propres sanctions via des alliés comme l’Inde, le Brésil, l’Argentine ou la Turquie pour alimenter un peu les comptes en devises des mollahs afin d’éviter la chute sans pour autant les laisser reconstituer leurs forces car il ne perd pas de vue qu’il a toujours besoin de l’Asie Centrale pour anéantir ses ennemis, mais aussi devenir la première puissance économique au monde.

De plus en plus affaibli par cette guerre d’usure, le régime a continué à baisser le pouvoir d’achat des Iraniens et a perdu le soutien des Bassidjis, ses miliciens chargés de la sécurité des villes et des lieux du pouvoir. Ces derniers ont refusé de réprimer le soulèvement populaire de l’été 2009. Cette année, ils ont boycotté tous les évènements officiels du régime. Cette rupture a libéré le peuple qui a commencé à boycotter les évènements religieux, le Bazar a entamé deux longues grèves qui ont paralysé l’économie iranienne pendant plusieurs semaines. Une nouvelle grève a d’ailleurs commencé la semaine dernière : elle est suivie par 45% des commerçants.

L’éloignement de la milice qui laisse le régime sans défense a contraint Washington à pourvoir en cachette aux besoins en carburant du régime via l’Irak et la Turquie au moment même où il parlait d’un embargo pour rassurer le peuple américain convaincu de la menace nucléaire iranienne.

Cette semaine, le jeudi 25 novembre, le régime devait organiser la fête de la création de la milice Bassidj qui compte officiellement de 1 à 9 millions de membres. Mais il a réussi à réunir uniquement 4000 personnes dont une majorité de vieux figurants. Dans le même temps, le peuple, mais aussi ses partisans ont déserté les mosquées alors que l’Iran officiellement chiite devait célébrer la plus grande fête chiite qualifiée de Norouz Chiite. Sanctionner les mollahs dans ces conditions pour générer un mécontentement populaire équivaudrait à la mort du régime islamique nécessaire aux Etats-Unis.

Le Jeudi 25 novembre, les Bassidjis ont confirmé leur rejet du régime, le vendredi 26 novembre, Philippe Crowley, le porte-parole du département d’État a annoncé que WikiLeaks était sur le point de divulguer des messages secrets de ce ministère. Washington a ainsi confirmé par avance l’authenticité des documents fantaisistes sur la douceur d’un mollah recherché par Interpol et des doutes du chef du Mossad sur les intentions des mollahs (propos dilatoires jadis attribués au chef de la CIA) afin d’atténuer la gravité de la menace et ainsi justifier la poursuite du dialogue au lieu des sanctions plus dures. La vilaine Amérique qui ment à ses citoyens et cherche à éviter la chute d’un régime rejeté par 70 millions d’Iraniens.

Cette fuite de WikiLeaks est le résultat de l’échec logique d’une guerre d’usure économique bancale conçue pour affaiblir sans jamais inquiéter les mollahs. WikiLeaks fera partie de nos vies car Washington veut continuer malgré tout cette guerre d’usure pour prendre le contrôle du régime islamiste afin de déclencher la Vague verte islamique de sa Ceinture Verte, unique moyen pour lui de devenir le patron économique du monde. Tous les documents publiés dans ce coup sont liés à ce projet.

Ainsi la fuite parle d’achat de missiles R-27 (une vieille rumeur américaine) pour ne pas supprimer les sanctions alors que la fin de l’accusation de terrorisme doit nécessairement conduire à la levée des sanctions pétrolières de 1996 ! Téhéran reste ainsi sous le régime de la guerre d’usure économique.

WikiLeaks est un puzzle où l’on peut ajouter des pièces au gré de tous les besoins. Les fuites de WikiLeaks sont un véritable outil de correction des erreurs de tir [2]. Voici quelques exemples. [3]

1 | Ainsi l’attribution du financement du terrorisme islamique à la Turquie n’est pas un hasard. On aurait pu s’attendre à une accusation contre l’Arabie Saoudite. Non, c’est la Turquie. C’est là une tentative pour faire de l’allié islamiste Turc, un membre mineur du projet Ceinture Verte, le leader spirituel de l’islamisme alors que 70 millions d’Iraniens ont exclu l’Iran de ce projet. Nous avions d’ailleurs signalé ce projet de transformation de la Turquie en leader des mouvements islamistes armés quand le gouvernement turc a mis en scène l’affaire de la Flottille pour exprimer son soutien au Hamas sans pour cela s’attirer les foudres de Washington.

Cette métamorphose médiatique de la Turquie en champion de l’islamisme va se poursuivre bientôt avec la sortie du film turco-américain appelé « Five Minarets in New York » qui met en scène un Ben Laden turc dont le nom de code est « Dajjal », une insulte en arabe puisque le mot signifie l’antéchrist dans le vocabulaire musulman, de quoi provoquer n’importe quel intégriste et donner aux islamistes turcs l’occasion de prendre la tête des courants intégristes.

2 | Les autres documents ont aussi leur utilité. Ainsi alors que le peuple vomit la révolution islamique et ses héros, WikiLeaks a divulgué dans ses papiers le projet de l’élimination d’un opposant iranien qui s’avère par le plus grand des hasards être Ali-Reza Nourizadeh, un islamiste pro-régime qui a rejoint le camp des pions islamistes de Washington, ceux que ce dernier aimerait replacer aux commandes en Iran. Le document le concernant est une tentative pour le présenter comme opposant les serviteurs de l’islamisme afin que les futurs dirigeants laïques iraniens ne puissent pas refuser le retour en Iran de ces agents américains ou les poursuivre pour leurs crimes. La vilaine Amérique.

3 | On parle de Merkel : la brillante physicienne est qualifiée de débile : elle manquerait d’imagination pour adopter des sanctions contre Téhéran. Washington se décharge sur un partenaire des mollahs qui a justement adopté une conduite très imaginative semblable à la politique américaine, mais contraire aux intérêts de Washington.

4 | On parle aussi du Président Sarkozy dans ces documents rédigés par Washington. Un de ses conseillers aurait traité les mollahs de Fascistes. En fait, c’est bien le contraire, depuis l’affaire Clotilde Reiss qui a été marquée par un manque de solidarité américaine, la France se dit qu’elle peut bien s’entendre avec les mollahs sans attendre l’entente américaine. De fait, alors que Washington pourrait être exclu pour longtemps d’Iran, il cherche à rendre impossible à d’autres d’y arriver. En France, des médias liés à Washington présentent le torchon WikiLeaks comme un document inestimable pour encourager l’opinion française à s’y fier [4]. Sans doute de nombreux Français diffuseront les ragots diffusés par WikiLeaks par snobisme anti-Sarkoziste, rendant d’inestimables services aux compagnies pétrolières américaines [5] [6].

Mais nous laissons la France à ses problèmes car d’une part, nous n’approuvons pas cette politique cynique qui imite la politique américaine au détriment de la sécurité de nos compatriotes et d’autre part, nous avons nos propres problèmes. D’un côté, nous souffrons de cette vilaine Amérique cynique qui efface la vérité ou les vrais opposants pour retarder la chute des mollahs ou pour caser ses pions et de l’autre côté, nous souffrons à cause du régime des mollahs qui efface chaque jour des jeunes capables de lui résister.

Nous sommes dans l’ère des effaceurs. Nous sommes pourtant loin d’être fichus car les mollahs qui restent sous le régime ingrat de la guerre d’usure économique américaine viennent de dénoncer les ragots de WikiLeaks en les qualifiant de pièges pour entraîner les musulmans à se haïr. Ils ont appelé à la création d’un front uni des islamistes, ce qui va mettre bien mal-à-l’aise les Turcs (attirés par l’Europe) qui ne sont pas taillés pour endosser l’habit terrible de Ben Laden. Par ailleurs, face à la guerre d’usure économique américaine, Téhéran a toujours cherché à provoquer une escalade militaire afin que le risque d’une nouvelle guerre fasse capituler les Américains. Il se lancera dans des provocations les plus inattendues que nul document de WikiLeaks ne pourra effacer.

Tout ceci est vain. Washington devra un jour renoncer à ses impossibles objectifs de la Ceinture Verte. Nous lui proposons de faire endosser ce projet inavouable uniquement à ces théoriciens comme Brzezinski et sa bande dans une ultime fuite de WikiLeaks.


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Washington et la diplomatie subliminale | 1 :
- Iran : Rumeurs d’une panne atomique déjà évoquée en 2009
- (25 NOVEMBRE 2010)

Washington et la diplomatie subliminale | 2 :
- Iran : Petraeus, roue de secours d’Obama !
- (12 JANVIER 2010)

article complémentaire :
- Iran : Lettre au futur ministre des Affaires Etrangères de Nicolas Sarkozy
- (15 MAI 2007)

article complémentaire :
- Etats-Unis : La naissance d’un géant
- (29 OCTOBRE 2008)

| Mots Clefs | Institutions : Intox, rumeurs & hoax buster |

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |

| Mots Clefs | Enjeux : Option militaire |
| Mots Clefs | Enjeux : Sanctions Ciblées en cours d’application |

| Mots Clefs | Enjeux : Pétrole & Gaz |
| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : Asie Centrale |

[1Les propos anti-mollahs attribués aux Arabes modérés vont les désavouer auprès de leur peuple souvent fans des mollahs. Washington tente ainsi de déstabiliser des modérés (ou les tièdes) qui n’ont pas de place dans ses projets régionaux.

[2En fait, les 260,000 documents annoncés sont introuvables dans leur globalité sur le site : ils apparaissent au compte-goutte pour corriger le tir.

[3Un puzzle infini (1) : A la suite de la publication de cet article, dans la journée du mercredi 1er décembre, WikiLeaks a diffusé des documents affirmant que les Iraniens étaient extrêmement religieux et très respectueux des avis de leurs dirigeants chiites et prêts à se battre et à mourir sur leur ordre !

[4Tout a été mis en œuvre pour tromper le public sur le site WikiLeaks. Au cours des derniers jours, quand vous entriez l’adresse du site, vous arriviez sur le message "site introuvable". Il fallait le retaper pour que la page apparaisse. La mise en scène avait été programmée pour chaque page pour donner l’illusion d’un site en sursis afin que l’on se presse de tout lire et surtout diffuser à tout vent ce bon grain ! A présent, quand on tape l’adresse, par intermittence, le message annonce une impossibilité d’accès : un teasing qui ne manquera pas d’aiguiser les appétits.

[5Un puzzle infini (2) : A la suite de la publication de cet article, dans la journée du mercredi 1er décembre, WikiLeaks a diffusé des documents faisant état du pro-américanisme du Président Sarkozy pour couler définitivement sa réélection. D’autres documents le ridiculisent...

[6Un puzzle infini (3) : Initialement, il a été précisé que les documents de WikiLeaks concernaient des événements survenus entre le 28 Décembre 1966 et le 28 Février 2010. A présent, on assiste régulièrement à des fuites concernant des événements ou des affaires survenus après le 28 février 2010 !