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Iran : Les échos incroyables de l’achat de Deawoo Electronics
16.11.2010

Ce lundi, l’AFP a annoncé l’achat de l’entreprise coréenne Deawoo Electronics par l’Iranienne Entekhab. L’AFP a mis en avant la capacité des mollahs à défier les sanctions américaines. Le magazine « Les Echos » a repris la dépêche de l’AFP. Le Financial Times a présenté Deawoo Electronics comme un produit attractif. Or, Daewoo Electronics est une entreprise criblée de dettes et déficitaire qui ne trouvait pas de repreneurs depuis 11 ans. Téhéran a acheté une épave pour donner l’illusion de puissance économique, trois grands médias occidentaux ont participé à la propagande et aucun média ou responsable américain n’a remis en cause cette propagande. L’affaire ne se résume pas à un achat.



un mystère médiatique | L’achat de Daewoo Electronics par Téhéran est une affaire emblématique de la crise iranienne. Washington sanctionne les mollahs tout en leur proposant la fin de ces pressions s’ils acceptaient de s’asseoir à la table des négociations pour résoudre les conflits qui les opposaient car il a besoin d’une entente. L’objectif de cette entente avec un Etat islamiste est de l’utiliser pour embrigader les musulmans de l’Asie Centrale contre la Chine et la Russie. Mais Téhéran ne peut pas accepter car l’entente passe nécessairement par un rapprochement qui l’obligerait à autoriser le retour en Iran de pions islamistes de Washington, personnages qui entendent prendre le pouvoir de l’intérieur lors des élections organisées par le régime lui-même. Le processus d’apaisement est un piège mortel pour Téhéran. Il refuse tout apaisement ou dialogue constructif alors que les sanctions l’ont ruiné ! En manque de devises, il s’apprête à augmenter les prix pour brider la consommation afin d’habituer les Iraniens à l’heure de la pénurie. C’est une situation explosive car ce plan de survie très impopulaire lui a valu la rupture d’avec ses miliciens. Il annonce régulièrement des achats ou des ventes pétrolières extraordinaires ou encore ses réserves en devises pour mettre en avant sa capacité à contourner les sanctions afin de ne pas perdre le soutien des derniers éléments fidèles.

Cette situation explosive n’embarrasse pas seulement les mollahs. Washington est également embarrassé et même bien plus que les mollahs car il ne peut cautionner la disparition du régime islamique. Il lui faut alléger les sanctions, mais l’opinion américaine demande des sanctions. Depuis des années, il a trouvé une parade à ce dilemme : il met en avant l’opposition de ses plus proches partenaires économiques aux sanctions ! Ces derniers sont même autorisés à signer discrètement des contrats avec les mollahs pour renflouer ponctuellement leurs caisses. Nous avons signalé plusieurs de ces cas en 2009 et 2010 présentés comme des succès économiques pour les mollahs ! Le dernier avatar de cette désinformation à l’usage de l’Américain moyen est d’annoncer l’achat sans intérêt de Daewoo Electronics comme un succès de Téhéran [1] à contourner les sanctions à un moment où ce dernier refuse tout dialogue et que l’opinion américaine serait demandeuse de fermeté. Ainsi on laisse dire que les sanctions ne seront pas efficaces et qu’il faut donc chercher autre chose !

la fabrication de la propagande | Il est intéressant de préciser que cet achat sans intérêt a en fait eu lieu avant le 8 novembre à un moment où Téhéran proposait le dialogue. Téhéran, le vendeur sud-Coréen et des sites spécialisés en avaient parlé, mais personne ne l’a évoqué dans les médias généralistes. Mais dès que ce dimanche (14 novembre), Téhéran a refusé l’offre formulée par les Six, l’AFP a annoncé l’achat en le présentant comme un exemple de l’inefficacité des sanctions ! Le même jour, les Echos a repris « l’info » sans évoquer l’état épouvantable de l’entreprise sud-coréenne. La France qui est un allié très coopératif des Etats-Unis et par ailleurs un Etat hostile à toutes sanctions semble avoir été chargée de la diffusion de la désinformation à l’usage de l’opinion américaine.

Ce dimanche, il n’y a pas eu d’articles britanniques sur le sujet, car la Grande-Bretagne, qui est en lutte avec les Etats-Unis pour le contrôle de l’Asie Centrale, ne fait pas de facto partie de ses alliés dans la crise iranienne. Exclue du jeu, la Grande-Bretagne s’est invitée dans cette affaire avec un article de Financial Times, finalisé hier à 20h25, où l’on parle de possibles difficultés de l’entreprise iranienne Entekhab à réunir les fonds nécessaires en raison des sanctions américaines !

Cependant étant hostile au dispositif américain de pressions sur les mollahs, la Grande-Bretagne doit aussi mettre en avant la puissance économique des mollahs pour plaider l’inefficacité du dispositif afin de demander son retrait. C’est ainsi que le très respecté Financial Times a qualifié cet achat d’acquisition intéressante en attribuant à Daewoo Electronics des qualités dont lui-même s’était moqué quand l’affaire avait été conclue vers le 8 novembre. La réalité est plutôt de ce côté : Daewoo Electronics ne vaut rien.

les réalités de la vente et ses conséquences | En effet, le Holding Daewoo a fait faillite en 1999 lors de la crise financière asiatique en laissant une dette abyssale de 80 milliards de dollars, soit presque le double de l’aide apportée par le FMI à la Corée du Sud à la même époque. Daewoo est alors passé entre les mains de ses créanciers, les banques sud-coréennes, pour être découpé et vendu en pièces détachées (la section automobile a ainsi été vendue à GM motors). Mais ces banques étaient elles-mêmes touchées par la crise : au même moment, elles ont dû fusionner pour former le Hanvit Bank et solliciter l’aide publique. Ainsi en 1999, l’Etat Sud Coréen est devenu entre autre propriétaire de Daewoo Electronics. Il a tenté de le vendre immédiatement à un fond d’investissement californien pour 3,2 milliards de dollars. En 2002, Hanvit Bank a changé de nom pour devenir Woori Bank dont le principal actionnaire était toujours l’Etat Sud Coréen. A partir de cette date, c’est Woori Bank qui s’est mise à la recherche d’un repreneur pour se débarrasser de Daewoo Electronics qui était de plus en plus en difficulté malgré plusieurs plans de restructuration. Elle a failli réussir en 2006 quand le groupe indien Videocon a proposé de l’acheter pour 700 millions de dollars en association avec le fonds américain Ripplewood. Mais l’affaire a échoué suite à un désaccord entre les deux acheteurs à propos du prix. Dernièrement, avant la crise, ces deux-là avaient proposé de le racheter pour un montant situé entre 265 à 450 millions de dollars pour deux raisons : d’une part, Woori qui s’apprêtait à se privatiser à nouveau avait besoin de se débarrasser du très déficitaire Daewoo Electronics et d’autre part, Daewoo Electronics a perdu des marchés et ne vend plus ses produits qu’aux mollahs qui sont eux-mêmes dans une situation précaire. Après cette offre très basse, les mollahs qui cherchent à montrer leur puissance, mais ne trouvent pas d’entreprise à acheter ont proposé 750 millions de dollars puis 518 millions de dollars pour 50,1% des parts, autrement dit plus du double de l’offre américano-indienne pour acheter une entreprise qui fournit leur propre marché et risque de plonger quand ils augmenteront les prix pour résister aux sanctions. Ce sont donc les Sud Coréens qui doivent se féliciter car ils gagnent beaucoup d’argent en se débarrassant d’un poids mort et non les mollahs qui le récupèrent en perdant de précieux dollars utiles pour résister aux sanctions !

Les félicitations sont également de mise pour Washington qui a trouvé une excuse en or pour ne pas adopter les sanctions qu’il veut éviter : essayer de convaincre la Corée du Sud ! En revanche, l’achat en soi ne peut le ravir car en cherchant à se donner l’illusion de la puissance, les mollahs malmènent leurs finances, Washington sera obligé d’intervenir en poussant l’un de ses alliés à signer un juteux contrat avec les mollahs pour combler le manque. C’est pourquoi il se pourrait que Washington intervienne théâtralement pour bloquer l’achat, ce qui lui permettrait de satisfaire son opinion publique, retarder la faillite des mollahs, mais aussi les humilier pour les sanctionner moralement.

Certains déploreront la mauvaise gestion des mollahs qui continue de ruiner le pays, mais en les voyant acheter cette épave, on peut aussi dire que cette mauvaise gestion qui agace nos compatriotes et vide les caisses du régime, les forçant à prendre des mesures d’urgences très impopulaires, est sans doute notre seule chance pour les voir chuter malgré les efforts de Washington pour les préserver.

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| Mots Clefs | Auteurs & Textes : Selon l’AFP |

| Mots Clefs | Enjeux : Sanctions Ciblées en cours d’application |

| Mots Clefs | Institutions : Désinformation et fausses rumeurs |
| Mots Clefs | Instituions : Politique Economique des mollahs |

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[1PS. Dans ce registre d’affirmation de la puissance Téhéran, au cours des derniers jours, l’AFP a également mis en avant la puissance des mollahs en Irak alors que c’est Washington qui veut bloquer les laïques et garder des islamistes au pouvoir dans ce pays. Le rôle des mollahs se résume à soutenir un Moqtada Sadr qui vit en exil caché en Iran et cautionne l’usage de la terreur par les mollahs pour faire pression sur Washington. En maximisant le rôle des mollahs en Irak, on insinue qu’il faut les accepter et négocier autrement, c’est-à-dire sans les sanctions que Washington doit éviter pour s’épargner la chute des islamistes en Iran. Cette maximisation irréelle est également diffusée par les alliés des Etats-Unis comme l’AFP et les Américains eux-mêmes ne disent rien pour laisser la mayonnaise prendre. En revanche, les mêmes médias nient le rôle des mollahs au Liban alors que ce rôle est réel car là, avec la menace contre Israël, ils ne pourraient pas insinuer la nécessité d’une entente, mais ils devraient au contraire parler d’un changement de régime. Téhéran qui désespère de voir son rôle au Liban être reconnu se contente du rôle qu’on lui prête en Irak et demande à ses lobbyistes comme Armin Arefi de reprendre sur leur site les affirmations de l’AFP et même de les développer.