Iran : La semaine en images n°157 20.02.2011 Il y a une dizaine de jours, le régime annulait discrètement les manifestations militaires pour la célébration de la révolution islamique. Cela voulait dire qu’il n’avait plus aucun partisan dans l’armée ou chez les Pasdaran. Cela voulait dire qu’il pouvait tomber et disparaître en cas de soulèvement. Avant la célébration qui, le 11 février, allait confirmer l’isolement et la fragilité du régime, Moussavi et Karroubi, opposants officiels qui souhaitent le maintien du régime, ont lancé un appel à manifester pour le lundi 14 février afin de prendre la direction de la contestation et transformer par leur présence tout soulèvement anti-régime en une manifestation en faveur de réformes. Des dizaines de blogs et de sites ont aidé Moussavi et Karroubi en insistant sur des slogans ambigus laissant croire que ces deux hommes pourraient être du côté du peuple, mais cette propagande n’a pas marché : les Iraniens n’étaient pas au rendez-vous. Ce boycott a affaibli le régime et renforcé ses adversaires. Il est devenu encore plus urgent de réussir. Le régime a employé la semaine à chercher des moyens pour émouvoir ou exciter les Iraniens afin de les inciter à manifester pour qu’ils se retrouvent dans le sillage de Moussavi et Karroubi et propulsent de facto ces deux serviteurs dans le processus d’une contestation désormais possible donc inévitable. Voici les images d’une semaine de mystifications stériles. Il y a une semaine, nous finissions notre revue hebdomadaire en images par des photos montrant l’absence de toute mobilisation le vendredi 11 février pour le 32ème anniversaire de la révolution islamique. L’absence de mobilisation et le recours aux images d’archives ont été assez unanimement signalés. Cela a été un second choc qui a mis le régime KO. La preuve est l’absence de toute activité ou déclaration politique notoire alors que le samedi est le premier jour de la semaine en Iran. En ce début de semaine, le régime s’est retrouvé avec un KO mental difficile à gérer et capable d’accentuer l’effondrement des troupes fidèles. Il fallait y remédier au plus haut point. Il fallait que la direction politique du régime se ressaisisse et envoie des signaux de force et d’unité. Etant donné que la direction politique du régime est assurée par le Conseil de Discernement de l’Intérêt du régime, il fallait que son patron, actuellement Larijani, s’exprime. Ce personnage est aussi le président du Parlement islamique. C’est en ce lieu, qu’il est intervenu dimanche. Deux jours après l’échec de la mobilisation en faveur de la révolution islamique, dimanche, Larijani a tenté de relancer la vie politique et le moral des troupes par une manifestation en hommage aux révolutions islamiques en Egypte et en Tunisie ! On arrive à douter de son intelligence. Mais non seulement le prétexte est discutable, mais encore, cela n’a pas marché : cette manifestation a mobilisé moins de 50 personnes, soit à peine 1/6 des députés ! Il y a eu d’abord deux tours de la salle avec les poings mollement levés, puis une promenade et une petite prière dans les jardins du Parlement par un temps exceptionnellement doux.
En attendant, ce même dimanche, Larijani s’est alors mis en scène avec Asgar-Owladi, un autre membre du Conseil qui ne fait partie de ses amis politiques que pour faire valoir le message de l’unité. A cette occasion, Asgar-Owladi a rempli sa part en souriant, ce qui ne lui arrive pas souvent…
Lundi, le régime s’attendait donc à des difficultés. Il a tenté de chauffer les esprits par la diffusion de témoignages faisant état de violents affrontements notamment au carrefour Ghasr à la suite de l’escalade d’une grue par un jeune, vers 9h du matin, pour déployer une affiche évoquant la mémoire des « martyrs du Mouvement Vert ». L’annonce était invraisemblable car ce site abrite la forteresse ultra sécurisée qu’est le Tribunal de la Révolution islamique, instance chargée de juger les ennemis de l’Etat. Il n’y avait évidemment pas de preuve visuelle. Sur ce site surveillé, personne ne peut grimper comme il le veut sur une grue. Mais très rapidement, on a eu droit à cette vidéo amateur intitulée : « 25 Bahman (14 février) 9h00 du matin, Téhéran Vert ».
Lundi, à partir de cette heure matinale jusqu’à 16 heures, le régime a bassiné les Iraniens avec des rumeurs de rassemblements et de brèves vidéos muettes avec un son trafiqué, mais il n’a finalement obtenu aucun mouvement en faveur de ces deux champions de sauvetage du régime, Moussavi et Karroubi. Lundi, à la tombée du jour, vers 18 heures, le régime a changé son fusil d’épaule : il a diffusé une vidéo du soulèvement anti-régime l’été 2009 (mais avec des slogans réactualisés) afin d’affirmer que le peuple avait finalement répondu positivement à l’appel de Moussavi et Karroubi. Il y avait de quoi rire car les gens étaient en chemisette alors qu’à cette heure du soir, la température ressentie avec le vent était alors proche de 0°C.
Cette fois, on peut parler d’un revers prémédité car Washington n’a pas seulement parlé en faveur du Mouvement Vert dans le but de démoraliser le peuple, ce même lundi, il avait aussi expédié en Iran une délégation turque autorisée à faire des bonnes affaires avec les mollahs pendant qu’ils organisaient leur show autour de cette fausse opposition.
Espérant faire bouger les gens, Unity for Iran et Freedom Messenger, les deux principaux comptes Youtube de la fausse opposition pro-régime, ont diffusé des vidéos d’archives où l’on pouvait entendre l’hymne patriotique très populaire en Iran ou encore le slogan « nous ne voulons plus un régime islamique ! » Mais la même vidéo contenait cependant des cris d’Allah Akbar pour banaliser ce slogan afin que le peuple fasse le choix de le scander aussi.
En résumé ce lundi 14 février, les Iraniens ne se sont pas laissés abuser. Ils ont tenu en échec un plan très élaboré pour sauver le régime ou du moins permettre l’incrustation des éléments du régime dans la tempête à venir pour diminuer la persécution contre les dirigeants déchus. Il n’y a pas eu de manchette, mais les Iraniens ont réussi à déstabiliser les derniers partisans du régime et peut être ont-ils réussi à encourager certains à fuir le navire en perdition. Lundi soir, cette victoire dont l’importance échappe sans doute à ses artisans a incité le régime à déployer dès le lendemain de nouvelles ruses pour convaincre les Iraniens qu’ils avaient tort afin de les faire descendre dans la rue sous la bannière de leur adversaire vaincu, la fausse opposition pro-régime. Mardi fut le début d’un festival de mystifications. Mardi matin, la première mystification a été l’annonce que 235 des 290 députés du Parlement avaient demandé la pendaison pour Moussavi et Karroubi. L’idée était de laisser supposer un déchirement interne qui serait un moment opportun pour agir ! L’annonce n’a provoqué aucune manifestation. Le régime a diffusé les images de la demande qui ont dû faire rire plus d’un Iranien car on ne voit pas un Parlement survolté, mais une quarantaine de députés agitant mollement les poings en l’air…
Cette fois, les étudiants ont envoyé paître le régime et son opposition partisane encore plus islamiste ! L’absence d’agitation dans les universités a été un coup dur. Pas de panique, mardi après-midi, le régime a trouvé une double solution très créative. Il a affirmé que Saneh Jaleh n’était pas un pro-Moussavi, mais « un milicien tué par les pro-Moussavi et qu’il allait avoir droit à des funérailles gigantesques » en présence de tous ses miliciens. Les « universités pro Moussavi » ont alors protesté contre le vol de leur héros en se mettant en grève ! Pour décoder, le régime a éliminé le problème de l’absence de mobilisation dans les universités par la grève qui ne demande pas une présence massive d’étudiants, mais des locaux vides. En parallèle, en annonçant des funérailles gigantesques, il a tenté d’intimider la rue tout en rassurant les éléments gagnés par le doute. A cette occasion, le régime a aussi annoncé des « marches de la haine avec ses partisans contre les comploteurs ». Puisqu’il qu’il a perdu le soutien de ses miliciens depuis des mois, nous étions alors certains qu’il allait ruser le moment venu. Mercredi vers 9 heures du matin, le régime a annoncé que les fameuses funérailles gigantesques avaient déjà eu lieu plus tôt dans la matinée ! Il a diffusé des images intitulées présences massives, mais on voit en fait environ 600 personnes : la partie musclée de la petite troupe des derniers partisans du régime à Téhéran (réunis en catimini à l’abri de l’épreuve des témoins oculaires).
Il ne lui restait alors que ses fameuses marches de la haine pour intimider le peuple qui lui tient tête et rassurer ses bases locales. Mais c’est là une manœuvre nécessaire pour apaiser les pressions qui pèsent sur lui et ses partisans, mais en aucun cas une solution pour lui et ses derniers serviteurs. La solution consiste à incruster Moussavi et Karroubi dans la contestation pour sauver le régime ou du moins ses plus importants dirigeants. C’est pourquoi avant la journée de haine, il a relancé la machine de mystification avec une idée plus polémique : « une manifestation nationale pour samedi en mémoire de toutes les victimes depuis juin 2009 ». Vendredi, en attendant la manifestation de samedi, le régime a fait état de plusieurs manifestations de haine dans plusieurs grandes villes du pays. Mais la vérification de bulletins météorologiques permet d’affirmer que dans plusieurs cas, les photos présentées ne sont pas de la journée et que de fait, il n’y a rien eu dans ces villes. En fait, il y a eu seulement un rassemblement à Téhéran. Il a réuni 1800 personnes, un nombre inférieur à celui que le régime avait réuni le 11 février à l’occasion de l’anniversaire de la révolution islamique.
Le régime a déjà joué ce jeu horrible et il avait échoué. Mais cette fois, le régime peut réussir car ce type est sans visage, cela peut être n’importe qui, le fils de chacun. On n’entend guère Moussavi et Karroubi à propos de ce genre de sujet car le but n’est pas d’être du côté du peuple, mais de le torturer. Cette fois ou une prochaine fois, le régime pourrait enfin réussir. Mais il risque de le regretter. Il n’en sera pas de même pour ce garçon sans visage car il sera enfin libre.
|