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Iran : L’ayatollah Montazéri, le martyr du Mouvement Vert
21.12.2009

L’ayatollah Montazéri, un des plus grands artisans de la révolution islamique et récente figure du Mouvement Vert, est décédé samedi dernier à une heure non précisée à son domicile de Qom. En se référant à des experts iraniens proches du régime, les médias occidentaux ont aussitôt parlé de l’ayatollah dissident, extrêmement populaire et capable de mobiliser les Iraniens le jour de son enterrement qui aura lieu ce lundi.

Ceci mérite un triple décodage.



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mythe de dissidence | Il est répandu de dire de Montazéri, mort hier à 87 ans (ci-dessus en 1998), qu’il était un ayatollah dissident parce qu’il s’était opposé en août 1988 à l’exécution de milliers de prisonniers des Moudjahiddines du peuple, ce qui lui avait valu de tomber en disgrâce auprès de Khomeiny, ce dernier lui retirant le soutien nécessaire pour lui succéder puis l’assignant à résidence.

On se demande si les journalistes occidentaux lisent parfois la presse iranienne car ces affirmations n’ont ni réalité factuelle ni réalité chronologique. On confond deux ou trois affaires arrivées à des dates très éloignées les unes des autres.

La vérité repose en partie dans les correspondances entre Khomeiny et Montazéri, archivées sur le site de ce dernier : Montazéri qui avait approuvé toutes les exécutions auparavant et avait même recommandé que l’on vide les prisonniers de leur sang avant de les exécuter affirme qu’il est totalement d’accord sur la nécessité des exécutions des Moudjahiddines, mais en désaccord sur la méthode employée et aussi sur le nombre... Pour comprendre, il faut faire un petit retour en arrière.

La décision prise par Khomeiny de tuer tous les prisonniers du groupe des Moudjahiddines remonte au 26 juillet 1988. A cette date, à 24 jours de la fin de la guerre Iran-Irak, les Moudjahiddines du Peuple, ex-compagnons de Khomeiny chassés par ce dernier du pouvoir, ont lancé une offensive de reconquête sur l’Iran depuis l’Irak où ils habitaient sous la protection de Saddam Hussein. On a tous en tête l’appel hystérique de Maryam Radjavi pour le coup du départ de l’opération Lumière Eternelle comptant 5,000 combattants de deux sexes équipés d’armes américaines.

Simultanément, les Moudjahiddines détenus ont provoqué des agitations dans les prisons. Tout le monde était très confiant car le régime était très affaibli à l’époque. Massoud Radjavi (l’Imam caché de Moudjahiddines qui serait aujourd’hui en Jordanie) avait même affirmé qu’il donnerait sa première interview à Téhéran, Place Azadi après une victoire éclair.. Il s’est, malheureusement pour lui, retrouvé face à Ali Sayad-Shirazi, un brillant officier impérial qui avait rejoint les révolutionnaires. Selon un plan d’action appelé Mersad (embuscade en arabe), en trois jours, Sayad-Shirazi a décimé l’offensive Lumière éternelle faisant 2506 tués et 566 prisonniers.

Khomeiny, et son entourage et son demi-frère Rafsandjani (chef du Conseil de guerre) ont décidé d’exécuter tous les prisonniers des Moudjahiddines, même ceux qui avaient déjà presque purgé leur peine. C’est à ce moment-là que Montazéri, ami, homme de confidence et beau-frère de Khomeiny, lui a écrit une lettre amicale en 6 points où il précise qu’ils ont légitimement le droit d’exécuter les 566 prisonniers de guerre ainsi que les auteurs et participants aux agitations dans les prisons, mais qu’en tuant les autres, le régime risquerait de perdre le capital de sympathie internationale provoquée par cette attaque. Il évoquait aussi le fait que le timing était mal choisi car ils étaient alors pendant le mois de Moharram, des deuils chiites, sous-entendu qu’ils étaient sur le point de créer des martyrs difficilement gérables.
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Ce fidèle compagnon de Khomeiny n’est pas alors tombé en disgrâce comme on peut le lire ça et là et il n’a pas été destitué. Khomeiny lui a écrit une simple lettre d’explication de sa décision. Il lui a expliqué qu’il considérait les Moudjahiddines comme des abjurés, donc de facto condamnés à mort selon la charia, mais aussi des agents et espions étrangers, et de ce fait condamnables une seconde fois à mort. Il le priait par conséquent d’agir sans pitié et armé de la haine révolutionnaire. Rappelons que sur ordre de Khomeiny ce même Montazéri que l’on veut passer pour un héros avait incendié un cinéma fréquenté par les ouvriers de pétrole très proches du Chah. Armé de sa haine révolutionnaire, cet homme avait brûlé vif 400 hommes, femmes et enfants pour accuser le Chah afin de provoquer les grèves générales qui tardaient à démarrer malgré les efforts et l’argent dépensé par les bazaris. Les deux hommes se sont compris.

Suite à cet échange épistolaire, durant 2 mois, un groupe de 13 mollahs nommés par Khomeiny ont, selon les archives de Montazéri, jugé et ordonné l’exécution de 2800 à 3800 prisonniers sans que ce dernier ne proteste à nouveau ou ne claque la porte, ce qui aurait à ce moment fait de lui un dissident. Il est resté sagement au côté de Khomeiny en attendant de lui succéder en récompense de ses services à la révolution comme l’incendie du cinéma Rex. La disgrâce dont parlent les médias français est arrivée 8 mois plus tard en mars 89.

mythe de disgrâce | Les médias français se trompent car cette disgrâce différée a été officiellement liée à la soi-disant lettre d’opposition à l’exécution des prisonniers Moudjahiddines, mais ces médias négligent les détails essentiels de cette liaison annoncée. Montazéri a été destitué, accusé d’avoir communiqué à la BBC sa lettre à Khomeiny pour une lecture à l’antenne. Cela n’a pas de sens car il avait envoyé cette lettre à Khomeiny, c’est ce dernier qui avait la lettre. Il aurait donc été impossible à Montazéri de livrer à la BBC cette lettre qu’il n’avait plus depuis 8 mois et pourquoi faire ?

En fait, il a été assez rapidement établi que la lettre de destitution n’avait pas pu être écrite par Khomeiny alors gravement malade, mais par son fils aîné Ahmad qui était son scribe particulier depuis des mois. La comparaison des lettres écrites par l’un ou l’autre le confirme. Par ailleurs, en tant que secrétaire particulier de Khomeiny, Ahmad était le seul à avoir accès à sa correspondance, donc le seul à pouvoir envoyer la lettre à BBC pour discréditer Montazéri.

En fait, Ahmad n’avait rien contre le mari de sa tante, il était en train d’éliminer le candidat du clergé chiite iranien, organe qui avait été écarté du pouvoir par les amis ou les membres de la famille Khomeiny qui étaient alors à tous les postes clefs et n’allaient pouvoir y rester après le décès de Khomeiny.

Après avoir éliminé Montazéri, Ahmad a révélé l’existence d’un testament inconnu de Khomeiny (encore un faux) qui désignait Khamenei à sa succession alors que ce dernier n’avait pas les qualités professionnelles requises pour accéder à la magistrature suprême. Le premier geste de Khamenei en tant que Guide suprême a été d’organiser un référendum pour remanier la constitution afin de donner l’ensemble de ses pouvoirs au Conseil de Discernement de l’Intérêt du régime, organe créé 1 an plus tôt par un certain Rafsandjani (demi-frère de Khomeiny). Ce dernier s’est alors transformé en patron politique du régime pour une durée indéterminée, puisque les membres du Conseil de Discernement sont nommés à vie. Il est à ce moment devenu clair que Rafsandjani était derrière les fausses lettres.

En fait, Montazéri destiné à un avenir brillant au sein de ce régime a été la victime d’un coup monté par des mollahs de second ordre de l’entourage de Khomeiny. Cela n’avait pas de lien avec sa molle opposition à 1000 exécutions en plus.

Après avoir été mis à l’écart, il a évidemment compris qu’il ne faisait pas le poids et il s’est tenu à carreau. Il a néanmoins pété un câble en 1997 dans un discours où il traitait Khamenei et aussi les jeunes mollahs qui l’admiraient d’incultes. Les jeunes mollahs qui l’écoutaient avaient alors pris d’assaut sa maison et tout détruit. Le Guide Khamenei l’avait aussi condamné à 5 ans d’assignation à résidence jusqu’en 2002. Ce qui n’a encore rien à voir avec la lettre anodine qu’il avait une fois écrite à propos de l’inopportunité de certaines exécutions, lettre d’ailleurs titrée : les exécutions hors méthodes.

insinuation de popularité | Si Montazéri n’avait pas été éliminé de la course au pouvoir par la clique de Rafsandjani, il aurait succédé à Khomeiny en raison de son engagement islamiste et son passé révolutionnaire pour continuer dans la voie tracée par ce dernier (Hezbollah, Charia…). Cet amoureux des méthodes n’a pas eu cette chance. Il serait plus juste de dire qu’il a manqué de clairvoyance politique, de discernement.

Le dernier exemple de ce manque de clairvoyance a été son adhésion tardive au Mouvement Vert, une adhésion forte qui pourrait être à l’origine de sa mort.

Montazéri a adhéré au Mouvement Vert quand ce mouvement a commencé à attaquer Khamenei en le présentant comme un chef doté des pleins pouvoirs. Montazéri a cédé à sa haine pour l’homme qui l’avait privé du pouvoir sans deviner que ce Mouvement Vert était en train d’abattre un homme sans aucun pouvoir depuis 1989 pour présenter ses propres leaders, Moussavi et Karroubi, deux membres du Conseil de Discernement, 2 vrais patrons du régime, comme des victimes du régime, deux hommes que l’on devrait reconnaître au niveau international comme les vrais porte-parole du peuple iranien.

Montazéri s’est engagé dans ce Mouvement Vert conçu pour permettre aux patrons du régime de présenter leurs choix notamment le refus de tout compromis sur le nucléaire comme étant les choix du peuple. On peut parler d’une erreur indirecte car ce Mouvement n’a aucun soutien populaire et n’arrive pas à mobiliser. En s’engageant à fond à ses côtés, Montazéri est devenu une haute figure externe du Mouvement Vert notamment grâce à un prix de défenseur des droits des Verts qui lui a été décerné par Shirin Ebadi. Il s’est ainsi offert au régime comme un chef supplémentaire du Mouvement Vert, mais non issu du cercle fermé du Conseil de Discernement. Il s’est proposé sans le savoir comme le chef à abattre pour donner une certaine aura internationale au Mouvement Vert qui est en difficulté.

Mais comme toujours, le régime espère plus. C’est pourquoi il n’a rien laissé au hasard. En effet, selon le rite musulman, on doit se réunir le 7ème jour après la mort de quelqu’un pour lui rendre hommage. Dans le cas de Hossein-Ali Montazéri, ce 7ème jour coïncidera avec Achoura, date de la célébration du martyr de Hossein, mais aussi date choisie par le Mouvement Vert pour son prochain rassemblement. Le régime espère comptabiliser les croyants célébrant Achoura dans le nombre des partisans de Montazéri, son chef supplémentaire du Mouvement Vert.

Dans 7 jours, on saura si cela valait le coup, mais on sait déjà que le Mouvement Vert et ses animateurs sont impitoyables.


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Problèmes de mobilisation pour le Mouvement Vert :
- Iran : La semaine en images n°95
- (13 DÉCEMBRE 2009)

| Mots Clefs | Mollahs & co : Montazéri |

| Mots Clefs | Réformateurs & faux dissidents : Le Mouvement Vert |