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Iran : Asghar Farhadi et le cinéma iranien
22.02.2011 Iran-Berlinale : Ours d’Or contre otages ?

Ce samedi à 19 heures, le Festival de Berlin a primé le film du cinéaste iranien Farhadi qui se dit apolitique et ne prend aucune position sur aucune violation des droits de l’homme par les mollahs. Quelques minutes plus tard, le régime des mollahs a changé en amende la peine des deux journalistes allemands détenus en Iran, la montant a été acquitté par le ministre allemand des affaires étrangères, Guido Westerwelle, qui venait d’atterrir à Téhéran. Westerwelle est reparti en compagnie des deux journalistes après une conférence de presse commune avec son homologue iranien où chacun a mis l’accent sur les bonnes relations entre les deux pays. Il y a eu clairement un deal. Mais lequel ? Voici des réponses.



De tout temps, le régime des mollahs a utilisé les cinéastes comme support médiatique pour atténuer sa mauvaise image internationale. On a ainsi eu droit à des films d’auteurs qui ne montraient pas le rejet du système islamique ultra violent, la pauvreté, le chômage et leurs effets sociaux comme la toxicomanie, la prostitution et la flambée du taux de suicide, mais un monde iranien apaisé ressemblant à l’Occident avec des femmes urbaines, séduisantes et épanouies. Ces auteurs se disant de gauche étaient officiellement malmenés et censurés en Iran afin qu’ils ne soient pas soupçonnés de coopération avec le régime.

Cette propagande élaborée et subtile a immédiatement séduit les partenaires économiques du régime comme l’Allemagne, l’Italie et la France qui étaient importunées par les récits de violations des droits de l’homme en Iran. Les Festivals européens n’ont cessé de primer ce cinéma de propagande et ses auteurs comme Kiarostami qui cachaient la misère et la révolte des Iraniens. Washington qui a besoin d’un allié islamiste pour contrôler la région et sanctionne les mollahs pour les forcer à céder le pouvoir à ses pions a également primé cette propagande pour donner une image politiquement correcte à ce régime et ainsi faire accepter l’entente à ses citoyens.

Ce travail d’apaisement des esprits occidentaux dans un intérêt commercial ou géopolitique a été complété par des écrivains ou chercheurs iraniens qui affirmaient que « le peuple était pleinement satisfait de la révolution islamique, que tout le monde se débrouille très bien avec le système D et que personne ne cherchait à renverser le régime islamique ». Un exemple de cette seconde propagande subtile est Persépolis écrit par Marjane Satrapi qui a sillonné le monde occidental sous l’étiquette rassurante d’opposante avec un passeport délivré par les mollahs !

Cette propagande globale a permis au régime et ses partenaires d’être à l’abri de toute mobilisation internationale en faveur d’un changement du régime. On peut dire que le régime a réussi, mais les problèmes étaient là.

En 2007, ces problèmes enfouis sont remontés en surface quand le régime a commencé à couper les subventions et les aides alimentaires pour ménager ses revenus sous les sanctions imposées par Washington. Ce sont les Iraniens les plus démunis engagés dans la milice qui ont pris leurs distances en cessant de participer aux manifestations officielles.

Fragilisé par cette rupture, le régime a immédiatement adapté le discours de ses cinéastes ou auteurs pour insister davantage sur l’attachement du peuple à la révolution et son aversion pour un changement de régime. Les Occidentaux ont suivi le régime en couronnant Persépolis à Cannes en 2007 pour transformer Satrapi, cette avocate du rejet d’un changement de régime en porte-parole du peuple iranien !

Satrapi a profité de l’occasion pour défendre le port du voile et même réhabiliter les mollahs, « très différents des Talibans » selon elle. En 2008, les problèmes économiques du régime se sont aggravés. En février 2009, les Allemands ont primé Asghar Farhadi d’un Ours d’argent pour son film sur une histoire d’amour très loin de la réalité vécue par le peuple.

En juin 2009, les problèmes du régime se sont encore aggravés. Lâché par un nombre croissant de miliciens, il risquait de chuter et disparaître. Il fallait mettre fin aux sanctions américaines qui l’empêchaient d’augmenter les salaires pour récupérer ses miliciens. Puisque ces sanctions étaient instaurées au prétexte des activités nucléaires du régime, ses stratèges ont imaginé un scénario de révolution de couleur démocratique animée par Moussavi et Karroubi, hauts membres du régime et parrains de ce programme nucléaire, pour donner une légitimité démocratique à ces activités et ainsi mettre Obama en situation d’opposition au peuple et non au régime afin qu’il ne puisse plus continuer ses sanctions.

Des études américaines que nous avons trouvées par la suite laissent penser que l’idée de cette fausse révolution de couleur que l’on appelle « le Mouvement Vert » a été soufflée au régime par ses Amis en Amérique : une ruse pour piéger les mollahs dans un processus qui les obligerait à organiser des élections plus libres par lesquelles Washington pourrait placer ses pions afin de prendre le pouvoir de l’intérieur.

C’est pourquoi Washington est resté très discret quand le régime a lancé le processus. Il attendait que la mayonnaise prenne. Les Européens qui n’avaient pas été dans la confidence ont exprimé des doutes quand le régime a lancé ce processus. Mais il y a eu un imprévu : le peuple a boudé cette opération et pire encore, il a profité de l’occasion pour se soulever et scander des slogans hostiles au régime islamique.

Les Européens n’ont pas aimé ça : ils ont censuré les infos. Les mollahs ont encore moins aimé. C’est alors que l’on a de nouveau eu affaire à Marjane Satrapi et d’autres cinéastes iraniens comme le très islamiste Mohsen Makhmalbaf dans le rôle des partisans de la révolution interne du Mouvement Vert, c’est-à-dire sans aucun changement de régime.

Le soulèvement imprévu des Iraniens avait aussi désorganisé les plans de Washington : BHL est entré en scène pour soutenir le Mouvement Vert et l’islamiste Moussavi !

C’est ainsi que le régime s’est retrouvé dans une situation impossible. Il a tenté de s’en sortir en cessant sa propre propagande via ses cinéastes : tout d’abord, l’élément le plus médiatique c’est-à-dire Satrapi a cessé ses interventions, puis ce fut le tour de Mohsen Makhmalbaf. Le régime est alors reparti pour la conquête de la direction médiatique de sa fausse révolution de couleur animée par ses propres dirigeants en faisant appel à d’autres cinéastes : d’abord Bahman Ghobadi, un ancien assistant de Kiarostami puis dernièrement Jafar Panahi.

A chaque fois, les Américains ont pris le train en créant des groupes de soutien à ces lobbyistes subtiles du régime dans le but de parler de la nécessité d’élections libres afin de piéger les mollahs comme ils le souhaitent.

Le régime s’est retrouvé avec un projet ingérable. Il devait éliminer cette intrusion intempestive perturbant sa propagande surtout à un moment où après une baisse importante du nombre de ses partisans, il ne voit plus le Mouvement Vert comme un moyen de se légitimer, mais comme le seul moyen pour retarder ou amortir sa chute.

Le régime vient de frôler la réussite parfaite avec l’aide de Berlin qui a couronné Asghar Farhadi (déjà primé en 2009), un cinéaste officiellement apolitique qui vient d’être primé également pour le même film à Téhéran et souhaite régler le cas de Panahi via sa « relation apaisée avec le régime » (donc sans l’intrusion intempestive des Américains) !

Cette semaine, Berlin a aussi mis en valeur le « cinéaste iranien censuré » Rafi Pitts qui a également insisté sur « le dialogue avec le mal-aimé Ahmadinejad » à propos de Panahi ; tout en rappelant « son propre engagement en faveur de Khomeiny en 1979 ! »

Avec l’aide de Berlin, le régime a donc pris en main le dossier Panahi tout en dédramatisant la polémique.

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Ours d’Or contre otages ? | On peut dire que Berlin s’est surpassé en termes de cynisme pour passer de la défense effrénée de Panahi au cours des dernières semaines dans le sens de ses intérêts et des intérêts américains à la promotion de cinéastes du style Kiarostami qui sont à la fois dépolitisés et implicitement pro-régime. Mais il ne faut pas y voir un geste sous contrainte pour sauver ses otages car il a commencé une grande campagne de promotion en faveur de Farhadi après la libération de deux prisonniers allemands.

En fait, l’Allemagne a agi dans le sens de la défense de ses gigantesques intérêts en Iran qui passent par le maintien du régime donc par le soutien à son seul joker, le Mouvement Vert.

L’Allemagne a fait un geste exceptionnel en plaçant ses intérêts au-dessus de son alliance avec Washington. En échange, Téhéran a libéré les deux journalistes, d’une part, en guise de remerciements, mais aussi pour éliminer les obstacles à un élargissement de ce soutien allemand à d’autres domaines…

Ce deal ne pouvait pas être dénoncé par Washington qui veut utiliser le Mouvement Vert pour piéger les mollahs. La France, mais aussi d’autres Etats européens ont aussi gardé le silence, ce qui annonce des arrangements du même genre de leur part. Dans ce contexte, la libération des journalistes est en fait un épiphénomène : nous sommes face à la poursuite et même l’intensification de la coopération occidentale avec la propagande du régime au moment précis où ce dernier va très mal. C’est bien décevant. [1]


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| Mots Clefs | Resistance : Lobby Cinématographique des mollahs |

| Mots Clefs | Réformateurs & faux dissidents : Le Mouvement Vert |
| Mots Clefs | Resistance : FAUSSE(s) OPPOSITION(s) |

| Mots Clefs | Pays : Allemagne |

[1Cet arrangement global qui se moque des malheurs du peuple iranien n’aurait pas été possible sans l’aide des organisateurs du Festival de Berlin en particulier la Présidente du jury, Isabella Rossellini : cette femme sans aucun avenir cinématographique vient de tourner dans le dernier film de Marjane Satrapi (autre cinéaste non hostile aux mollahs). Ça aide à se montrer tolérant vis-à-vis de la propagande des mollahs. Chacun voit son intérêt et tous parlent des droits de l’homme (les leurs).