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Iran : Le rapport Amano bouleverse les données
20.02.2010

Le nouveau directeur de l’AIEA, Yukiya Amano, a laissé entendre dans le style très particulier des rapports de l’AIEA que Téhéran poursuivait des activités nucléaires militaires en cherchant à mettre au point une ogive nucléaire. Téhéran n’est pas content. Il vient de parler d’un 1er rapport aligné sur les accusations de la CIA. C’est doublement faux car l’accusation concernant cette ogive est présente dans les précédents rapports de l’AIEA et par ailleurs depuis novembre 2007, la CIA affirme au contraire que Téhéran a arrêté ses activités liées aux ogives. Malgré cela, Téhéran a fichtrement raison. | Décodages |



Il est du devoir de l’AIEA, agence mandatée par le Conseil de Sécurité pour veiller à la bonne application du Traité de Non Prolifération, d’écrire régulièrement des rapports sur les pays signataires. C’est ce qu’a fait hier le nouveau directeur de l’AIEA, le japonais Yukiya Amano, dont le pays (le Japon) ne fait pas partie du cercle restreint des 5 membres permanents du Conseil de Sécurité, les seuls autorisés à posséder un arsenal nucléaire. Cela semble une tradition que le directeur ne soit pas issu de l’un de ces puissants pays pour éviter que ses rapports ne deviennent les instruments cachés de ces patrons invisibles du monde.

Mais cette mesure de prudence est une fantaisie car les directeurs sont de par les alliances de leur pays d’origine proches de l’un de ces 5 grands. Il en résulte que les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité ne suivent pas les recommandations de ces directeurs réputés neutres. Ainsi Washington ne suivait jamais les recommandations de Mohammed El Baradai. Il serait même plus exact de dire que c’est El Baradai qui rejetait en permanence toutes les expertises américaines sur la menace nucléaire iranienne. Etant donné que l’expertise de la menace est déterminante pour l’issue de la crise (sanctions ou abandon), la question était de savoir duquel des 5 membres du Conseil de Sécurité était proche ce diplomate égyptien. Quel Etat avait intérêt à voir échouer les Etats-Unis ? La réponse à cette question cruciale pour l’issue de la crise est venue en avril 2008 quand après avoir rejeté toutes les accusations américaines pendant des années, El Baradai a changé son expertise à 180° sur la base d’un document britannique au moment où les Américains affirmaient que Téhéran avait arrêté ses activités nucléaires militaires en avril 2003.

il était une fois une ogive | La mise à jour de l’affiliation britannique d’El Baradai a conféré une nouvelle couleur à la crise car la Grande-Bretagne est la première puissance pétrolière au monde depuis 1906, les Etats-Unis occupent la seconde place et l’Iran est un pays qui pourrait bouleverser ce classement s’il basculait dans le camp américain sous le poids des sanctions américaines. En fait, Londres n’avait que faire de l’expertise du nucléaire iranien, il ne faisait qu’empêcher Washington de s’imposer comme le patron des pressions contre Téhéran. De 2003 à 2007, quand Washington enchaînait les accusations et les menaces pour transférer le dossier au Conseil de Sécurité afin d’y légitimer ses sanctions à venir, Londres plaidait (via El Baradai) l’innocence des mollahs et recommandait que le dossier ne soit pas transféré au Conseil de Sécurité. Mais quand Washington a passé ce cap, adopté ses sanctions et enfin au comble du cynisme, a produit le rapport de synthèse NIE 2007 pour rendre politiquement correcte l’ouverture du dialogue avec sa victime, Londres a changé de position pour accuser les mollahs afin de rendre le dialogue politiquement incorrect. L’opération lui permettait aussi d’espérer une humiliation des services secrets américains à l’origine de la crise suivie d’une éviction des Américains. Le dossier serait alors passé entre les mains des autres membres permanents du Conseil de Sécurité qui auraient récolté le fruit des efforts américains en menant les mollahs par le bout du nez.

Les mollahs n’ont pas aimé, mais ils ne pouvaient guère protester contre El Baradai car ils avaient toujours apprécié ses rapports amicaux et anti-américains, profitant même de cette inexplicable opportunité pour jouer la carte de l’escalade afin de faire capituler Washington. Le constat était d’autant plus dur que leur seul moyen de voir Washington reculer reste l’escalade. Dès lors, il s’est engagé un étourdissant tango à 3 :
1 | Les mollahs multipliaient les annonces sur leurs progrès nucléaires ou balistiques pour provoquer une escalade avec les Américains.
2 | El Baradai s’est lancé dans une guerre des rapports pour faire annuler le rapport NIE 2007 sans pour autant évoquer les activités récentes revendiquées par Téhéran afin de ne pas plébisciter de nouvelles sanctions susceptibles d’affaiblir les mollahs au grand bonheur des Américains.
3 | Washington se trouvait entre deux feux, contraint d’esquiver les provocations de Téhéran et les rapports d’El Baradei, ce qui ne lui laissait pas la liberté d’évoquer avec persistance une remise en cause de son rapport pour faire pression sur Téhéran.

OPA sur l’AIEA | Pour sortir de cette guerre sur deux fronts et avoir la liberté de menacer ou d’assouplir sa position au gré de leurs besoins, les Américains ont bataillé ferme pour prendre la direction de l’AIEA, ce qu’ils ont réussi avec la nomination de l’ex-ambassadeur du Japon aux États-Unis, Yukiya Amano. Son arrivée en juillet 2009 a été marquée par un changement de ton en faveur de l’apaisement et du dialogue. Dans sa première déclaration officielle, Amano a fait état de l’« absence de preuves solides dans les documents officiels de l’AIEA pour accuser le programme nucléaire iranien », à un moment où la politique d’apaisement d’Obama était alors très critiquée. Amano a été d’un précieux secours également en septembre 2009 quand les mollahs enchaînaient les provocations pour faire capoter la rencontre qui devait leur forcer la main à propos de l’échange de leur stock d’uranium contre du combustible russe. Sous sa direction, l’AIEA est restée de glace. Quand Téhéran a parlé d’un second centre d’enrichissement à Fordou pour une escalade express, l’AIEA a fait dégonfler la tentative en parlant d’un « trou dans la montagne » en référence au fait que le centre en était au stade des travaux de gros œuvres. Et finalement, quand Téhéran a insisté en évoquant la mise en œuvre des centrifugeuses plus performantes, l’AIEA a publié un rapport niant les progrès nucléaires de Téhéran et rejetant la possibilité d’un progrès avant 2012, une date précédemment évoquée dans le rapport de synthèse des services secrets américains (NIE 2007). C’est alors que l’AIEA a cessé d’exister pour devenir une succursale de la CIA. Tout cela n’a rien donné, Téhéran n’a pas cédé, ce qui nous vaut le retour de l’ogive oubliée !

le retour de l’ogive mal aimée | ELLE revient. Mais, attention ! Cette ogive n’est pas celle qui avait été évoquée par les Britanniques en 2008 ! El Baradai parlait de travaux sur une ogive après avril 2003 pour remettre en cause la fiabilité de l’expertise américaine, mais il n’évoquait jamais l’existence d’éventuelles recherches militaires en cours ! Il y a deux jours, Amano a évoqué « l’existence potentielle d’activités secrètes passées ou présentes de l’Iran liées au développement d’une ogive », un avis également émis par certains services secrets américains en complément au rapport NIE 2007. Nuances donc, on n’est pas dans le registre d’une remise en cause d’un rapport, mais dans le registre d’une possible « mise à jour » du rapport NIE 2007, ce qui a fait réagir les mollahs contre ce dernier rapport de l’AIEA.

conclusions | Les mollahs ne sont pas les seuls à dénoncer un rapport conforme aux attentes de Washington, Moscou aussi a fait part de « sa divergence de vue avec Washington », mais sans donner d’explications sur ses raisons (trop inavouables). On rentre dans une nouvelle phase de la crise où l’Amérique est juge, shérif et partie, ce qui fait un peu beaucoup et peut entraîner des réactions fortes de la part de la Chine et la Russie. Le seul frein à ces réactions est que Washington et son seul allié au sein du Conseil de Sécurité, la France -qui assume actuellement la présidence tournante de cette institution- n’ont, selon les Russes, « pas demandé l’ouverture de négociations pour l’adoption d’une nouvelle résolution ».

Washington, qui avait rêvé d’avoir les pleins pouvoirs dans la crise, pensait qu’il pouvait secouer sérieusement les mollahs, mais il se retrouve à couteaux tirés avec tous ceux qui n’ont pas intérêt à voir l’Iran passer sous son giron. Il est désormais dans une nouvelle crise plus globale.


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Il n’est visiblement pas bienvenu d’avoir les pleins pouvoirs dans quelque domaine que ce soit. Comme il serait bon que Washington renonce à ses projets aventureux liés aux mollahs.

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Pour en savoir + :
- Iran : L’AIEA défend l’intégrité des mollahs - Décodages
- (23 février 2009)

| Mots Clefs | Nucléaire : Crise & Escalade |

| Mots Clefs | Nucléaire 2 : AIEA : inspections, actions et rapports |
| Mots Clefs | Nucléaire 2 : AIEA : Yukiya Amano |
| Mots Clefs | Nucléaire 2 : AIEA : El Baradei |

| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement (américain) |
| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |
| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : RUSSIE |
| Mots Clefs | Décideurs : P5+1 (les Six) |