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Iran : Décodages de l’intervention de Bernard Kouchner
13.04.2009

Le jeudi 9 avril, Téhéran devait annoncer des progrès nucléaires irréversibles avec l’arrière-pensée de créer une crise majeure avec les Etats-Unis afin de les pousser au compromis. Après les annonces, les Six ont gardé le silence laissant le leadership de la crise aux Américains, sans se douter des conséquences de ce choix sur leur rôle futur dans la crise avec l’Iran. La France a réagi pour stopper le cavalier seul des Américains.



La semaine dernière, Téhéran a fait savoir qu’il annoncerait le jeudi 9 avril d’importants progrès nucléaires. Il montrait ainsi qu’il refusait d’aller sans le sens de l’apaisement prôné par Obama. Conscients du risque de l’escalade, pour calmer le jeu, à la veille des annonces, les Six ont fait état d’une invitation commune au dialogue sans la condition préalable d’une suspension des activités nucléaires iraniennes.

Téhéran qui ne veut pas d’une solution avec les Six, mais uniquement d’une solution avec les Américains, a décidé de recentrer le débat sur ce terrain : il a parlé de 7000 centrifugeuses en activité, sur un fond de discours fustigeant le manque de souplesse d’Obama. Téhéran avait l’intention de récupérer le coup en poussant Washington à la rupture pour lui arracher un compromis, mais en insinuant une accélération de son programme nucléaire, il a au passage contredit le dernier rapport de l’AIEA qui insistait sur une volonté iranienne de ralentissement de ce programme…

Normalement, l’AIEA, l’organe chargé par le Conseil de Sécurité (ou les Six) de vérifier l’authenticité des déclarations nucléaires iraniennes, aurait dû réagir pour se défendre, mais cela aurait été une déclaration de guerre aux mollahs et la fin des espoirs d’un dialogue pour un compromis multilatéral. L’AIEA n’a rien dit, pas plus que les ténors du groupe des Six comme la Russie. Ce vide de malaise a été comblé par les Etats-Unis, véritables interlocuteurs de la provocation iranienne du 9 avril.

La réponse des Etats-Unis a été de se dire prêts à continuer le dialogue, mais aussi de nier purement et simplement l’authenticité des déclarations iraniennes : ils ont ainsi évité d’aller vers l’escalade souhaitée par Téhéran et être pris dans le piège tendu par les mollahs. Mais en agissant ainsi, ils ont répondu sans avoir consulté les Six (émanation du Conseil de Sécurité), et ils se sont aussi substitués aux inspecteurs de l’AIEA ! Il s’agissait d’une volonté (et non d’un hasard) car ils ont saisi l’occasion pour émettre publiquement et à très haut niveau (Hillary Clinton) des doutes sur la fiabilité des chiffres de l’AIEA.

Il n’y a rien de surprenant à ces attitudes. L’AIEA n’a jamais cessé de produire des rapports contredisant les estimations de la CIA sur le nucléaire iranien pour recommander aux Etats-Unis une attitude plus conciliante vis-à-vis de Téhéran. Washington a en fait profité de la torpeur des Six pour affaiblir le rôle du Conseil de Sécurité et l’AIEA qui l’empêchent d’avoir une emprise totale sur la crise et l’issue de son bras de fer avec les mollahs.

Comme nous l’avons rappelé précédemment, la gestion de la crise est essentielle dans cette affaire. Dans un premier temps, contrairement à l’Irak, depuis 2003, Washington a demandé le transfert du dossier nucléaire au Conseil de Sécurité  : tout le monde a alors salué son respect de multilatéralisme, mais il était en train d’internationaliser son bras de fer avec les mollahs. A l’époque, l’AIEA s’y opposait en contredisant les hypothèses de recherches nucléaires militaires en Iran.

La seconde étape du plan américain a été de mettre en place des sanctions, ce qui a été obtenu par l’adoption des résolutions à l’unanimité contre le programme nucléaire des mollahs. Washington a toujours souhaité l’unanimité car il voulait procurer une légitimé sans faille à ses propres sanctions. Cependant, l’AIEA continuait à contester les sanctions.

Troisième étape du plan américain de prise de contrôle de la gestion de la crise : Après avoir crié aux loups pendant des années pour mettre en place les sanctions, en novembre 2007, la CIA a décrété que Téhéran avait cessé ses activités nucléaires militaires depuis 2003 ! A la même époque, les Etats-Unis ont commencé des simili-négociations directes avec Téhéran (officiellement à propos de la sécurité en Irak), sans pour autant geler les sanctions.

Dès la publication de ce rapport 2007 de la CIA, l’AIEA qui avait par le passé toujours repoussé les hypothèses d’activités nucléaires en Iran a changé de position pour évoquer l’existence d’un programme militaire après 2003. Elle a organisé la résistance interne contre les Etats-Unis pour empêcher Washington d’être seul maître à bord, à la place des autres membres du Conseil de Sécurité dont les intérêts souffriraient d’une entente exclusive entre Téhéran et Washington.

Depuis plus d’un an, l’AIEA n’a cessé de partir à l’assaut du rapport 2007 de la CIA avec l’aide des pays hostiles à une entente irano-américaine, dont principalement la Grande-Bretagne… Washington a enfin trouvé une brèche pour le mettre hors jeu.

Cette attaque américaine a fait bouger un autre membre du Conseil de Sécurité. La France qui a d’importants intérêts en Iran a essayé de contre-attaquer pour rétablir la crédibilité de l’AIEA et restaurer le rôle du Conseil de Sécurité.

Dans un premier temps le samedi 11 avril, pour piéger Washington dans un discours politiquement correct, le Quai d’Orsay a très habilement fait le choix de mimer le modèle de contestation américain, en évoquant ses doutes sur les chiffres de centrifugeuses annoncés par l’Iran, mais elle a précisé que l’arbitrage suprême revenait à l’AIEA.

Dès le lendemain, dans une interview accordée au journal iranien Etemad, Bernard Kouchner est passé à l’offensive. Pour neutraliser le cavalier seul des Américains, il a proposé à ses « amis iraniens » de se rendre chez eux à Téhéran, mais à conditions qu’ils se conforment « aux demandes (d’informations) de l’AIEA » et aux demandes de suspension de l’enrichissement « formulées depuis 2003 par le Conseil de sécurité des Nations unies ».

Cette référence à la clause de la suspension, qui a déclenché la colère des mollahs, dépasse en fait Téhéran. Paris n’a que faire de déclarations iraniennes sur le refus de toute négociation si l’on maintient cette clause. Cette initiative marque en fait le début d’efforts entrepris pour mobiliser les autres membres du Conseil de Sécurité contre l’unilatéralisme américain.

Paris a pris la tête de l’insurrection contre Washington et non contre Téhéran. Il contrarie pourtant les plans des mollahs qui souhaitent arriver à une entente avec les Etats-Unis. C’est un facteur non négligeable. Téhéran pourrait dans les prochains jours tenter une fuite en avant pour restaurer son rôle d’agitateur et celui des Américains.

N’oublions pas que ces récents bouleversements ont eu lieu suite aux annonces iraniennes du 9 avril. Téhéran pourrait remettre les gaz pour éjecter Paris de son équation.


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| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : France |
| Mots Clefs | Décideurs : Kouchner |

| Mots Clefs | Décideurs : P5+1 (les Six) |
| Mots Clefs | Nucléaire 2 : AIEA : inspections, actions et rapports |

| Mots Clefs | Décideurs : Hillary Clinton |
| Mots Clefs | Enjeux : Rétablir les rel. avec les USA & Négociations directes |
| Mots Clefs | Enjeux : Garanties Régionales de Sécurité : le DEAL US |

| Mots Clefs | Nucléaire : Politique Nucléaire des mollahs |