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Iran : Les habits neufs du lobbying des mollahs
23.02.2010

Le Figaro a publié une tribune d’un certain Hamid Gharavi, avocat aux barreaux de Paris et de New-York, qui a quelque chose de déconcertant. L’auteur critique les dirigeants actuels du régime des mollahs, sans jamais les nommer, mais il tient la révolution islamique pour un grand moment démocratique et laïque. Il considère aussi Khomeiny comme un doux religieux démocrate et laïque qui voulait uniquement restaurer la moralité des choix politiques. Selon l’auteur, sanctionner l’Iran serait sanctionner la marche en avant vers la laïcité, il faut au contraire coopérer avec l’Iran. Pour ceux qui connaissent l’Iran et les exploits de cette révolution, Maître Gharavi a fumé ! Nous vous assurerons qu’il n’a pas fumé, mais veut nous enfumer avec méthode.



Le lobbying est un métier. Certains Etats y font appel pour améliorer leur image. On voit ainsi des journalistes se pâmer devant l’espace de liberté insoupçonnable dans certains pays arabes. Tout y est beau et gentil, moderne… C’est une entreprise doublement casse-gueule car on devine que l’Etat en question a des choses à se reprocher et l’on identifie l’auteur des propos apaisant comme une personne peu objective. Le régime des mollahs, grand adepte du double discours, a trouvé mieux : des personnes qui se présentent comme étant étrangères au régime voire comme des opposants et qui dissertent sur la situation avec un regard objectif mêlant le pour et le contre, avant de livrer comme un avis objectif une conclusion qui correspond comme par hasard aux attentes de Téhéran. Cela donne un discours rempli de contradictions complexes à déchiffrer, mais à lire de plus près, aucun mot n’est dû au hasard, chaque paragraphe conduit à une idée simple, la somme de ces idées jalons suggèrera la conclusion finale qui doit paraître comme une évidence. C’est pourquoi nous avons décidé de commenter le texte de Maître Gharavi paragraphe par paragraphe pour mettre en lumière les mots-clefs de son discours. Pour finir, nous évoquerons le passé de l’auteur lui-même, une preuve supplémentaire que le hasard n’a aucune place dans ce qui nous vient de Téhéran.

La révolution iranienne a 31 ans. Ses bienfaits sont sous-estimés. C’est ainsi que commence le texte de Maître Hamid Gharavi. Des phrases courtes. Une info simple par phrase. Suit alors une suite d’infos courtes pour ne pas dire écourtées lancées comme des slogans. La première info courte est d’ailleurs présente dans la première phrase puisque l’on parle de la révolution iranienne et non de la révolution islamique. La seconde idée jalon est développée dans le premier paragraphe consacré à la Dynastie Pahlavi. Il est dit que le Chah et son père ont tous deux accédé au pouvoir par des coups d’état, le père en 1921 et le fils en 1953. C’est une intro sur leur illégitimité censée légitimer la révolution iranienne (islamique).

C’est une jolie trouvaille, mais l’affirmation est fantaisiste puisque le coup d’état de 1921 n’a pas été fait par le futur Reza Chah, mais par Seyyed Ziaeddine Tabatabaï et de plus le coup n’a pas renversé les Qadjars et le roi Ahmad Shah : les auteurs du coup ont demandé au roi de constituer un gouvernement nationaliste opposé aux laisser-aller. Au sein de ce gouvernement, Reza Khan Mir-panj (futur Reza Chah) a assumé le ministère de la guerre avant d’être nommé Premier ministre par Ahmad Chah en octobre 1923 avant que ce dernier ne quitte le pays. Après deux ans d’absence, le Parlement s’est affolé du comportement de ce roi peu intéressé par les affaires et connu pour recevoir de l’argent de poche des Britanniques en demandant sa destitution et la dissolution de la dynastie le 31 octobre 1925. Le Premier ministre voulait alors proclamer la république, mais le Parlement a œuvré pour qu’il accepte de fonder une nouvelle dynastie pour devenir le Roi des Rois, titre officiel du souverain iranien selon la constitution de 1906. Après un vote qui a enregistré 115 voix pour, 5 contre (dont un certain prince Qadjar Mossadegh) et 30 abstentions, le 12 décembre 1925 , le Parlement a annoncé la création d’une nouvelle dynastie et le 25 Avril 1926, Reza Khan Mir-panj a été couronné sous le nom de Reza Pahlavi en référence à la langue des fondateurs de l’empire perse. Il n’y eut alors aucun massacre des princes Qadjar : ces derniers ont intégré l’arène politique pour mener de grandes carrières. La dynastie Pahlavi n’a donc pas été fondée grâce à un putsch en 1921. De plus, en 16 ans de règne, Reza Shah a transformé le pays par des réformes sociales de grande envergure, comme l’émancipation féminine ou encore la laïcisation de l’éducation et de la justice qui mit la fin de l’application de la Charia toujours contré par ce cher Mossadegh qui fut tout au long de sa carrière hostile à toute réforme. Reza Chah a aussi créé des industries de base et fut le premier à contester la mainmise des Britanniques sur le pétrole iranien, une contestation qui lui a valu l’invasion de l’Iran et sa destitution de force. De fait, Reza Chah qui n’était pas arrivé au pouvoir par un coup de force est en revanche tombé par un coup de force. Les Britanniques alors maîtres du pays ont tenté de forcer le Parlement à déclarer la dissolution de la dynastie Pahlavi et la restauration de la Dynastie Qadjar. Mais leurs efforts ont échoué grâce au Premier Ministre Foroughi, pourtant issu des Qadjar et grand adversaire du roi déchu. Sous son égide et accompagné de quelques gardes, Mohammad-Reza Pahlavi, menacé par les Britanniques, a pu se rendre au Parlement qui l’a proclamé Roi des Rois, futur souverain de la dynastie Pahlavi. Ce fut un coup de force, mais contre la volonté d’un envahisseur.

Mohammad-Reza Chah pouvait alors conformément aux pouvoirs accordés par la constitution de 1906 avoir un rôle très actif comme son père, mais il n’a pas fait appel à ces pouvoirs en se contentant de régner et non de gouverner, laissant le pouvoir à ses Premiers ministres, généralement issus de la Dynastie Qadjar, des hommes qui ont souvent intrigué pour le renverser afin de restaurer leur lignée. On peut à ce titre citer le prince Qadjar Ghavam qui avait le soutien de Washington ou encore le Général Razmara qui fricotait avec les Britanniques et les Soviétiques et fut tué par les premiers avec le concours des Fedaian d’Islam, les inspirateurs de Khomeiny. De cette époque ahurissante dominée par les grandes puissances intéressées par le pétrole iranien, l’Occident ne retient que le nom de Mossadegh comme un démocrate renversé par le Chah en 1953 alors que ce dernier fut aussi un de ces Premiers ministres liés à une puissance étrangère (les Américains contre les Britanniques). Mossadegh n’a pas été renversé par le Chah, le 17 août 1953, c’est plutôt le contraire, il n’a pas réussi son coup de force tenté deux jours plus tôt le 15 août 1953 avec le concours des officiers communistes et les mollahs, maîtres de la rue et du Bazar. Mossadegh est tombé car 48 heures après le coup, les mollahs lui ont retiré leur soutien de peur que l’Iran bascule à l’Est et que les communistes les tuent. Il fut alors destitué, jugé et exilé sur ses terres de grand propriétaire terrien, ce qui n’est pas le sort réservé aux putschistes ayant échoué.

Ce sont là des faits que Maître Gharavi connaît, mais des faits qu’il a passé sous silence pour associer les deux rois de la Dynastie Pahlavi à la notion de coup d’Etat, de tyrannie, d’usurpation de pouvoir pour faire de la coalition révolutionnaire islamiste de 1979 des libérateurs venus rétablir la légalité démocratique.

Dans les lignes qui suivent, Maître Gharavi parle des islamistes révolutionnaires non seulement comme des libérateurs, mais aussi comme des initiateurs de la démocratie voire des éducateurs qui ont appris les bonnes manières politiques aux Iraniens : ils sont devenus des citoyens mesurés… Pas un mot sur les arrestations, les meurtres, les viols… rien.

Après avoir arrangé le CV de nos mollahs, Maître Gharavi s’attaque à leur bilan qui est au centre de tous les conflits.

Là c’est simple. La théorie de Maître Gharavi est que les révolutionnaires assument l’héritage du passé ! Le programme nucléaire ? Il était l’œuvre du Chah ! L’ingérence au Liban, le Hezbollah ? un héritage de l’agressivité de l’empire Perse ! "Le Chah lui-même a occupé les îles du Golfe Persique". Selon Gharavi, tous les problèmes proviennent d’un héritage lourd du passé ! Ce serait une malédiction. Ainsi sans que l’on sache comment une révolution laïque aux promesses laïques doté d’un leader laïque, Khomeiny, qui avait à sa victoire nommé un premier gouvernement laïc est devenue progressivement une république islamique !

Reprenons point par point. Concernant le nucléaire, Maître Gharavi oublie de préciser le Chah avait confié l’enrichissement à la France, ce que cette dernière veut faire actuellement, mais que refusent les mollahs. Maître Gharavi qui ne manque pas de mauvaise foi oublie aussi de préciser que le Chah avait fait adopter une résolution onusienne en faveur du désarmement nucléaire du Moyen-Orient.

Concernant les relations avec les voisins, Gharavi oublie de préciser que les îles qu’il cite ont toujours été répertoriées comme iraniennes dans tous les livres historiques et ce même Chah qu’il accuse de tous les maux n’a pas préservé de force la mainmise iranienne sur le Bahreïn et a permis à ses habitants de décider de leur avenir par référendum, ce qui est le contraire d’une ingérence et de l’agressivité.

Et enfin concernant la tolérance politique, Maître Gharavi oublie de préciser que l’opposition au Chah était ces mollahs hostiles à toutes réformes et leurs groupuscules islamo-marxistes adeptes d’actions armées et d’assassinats. Par ailleurs, après un attentat fomenté par les communistes contre sa personne, le Chah a fait nommer Parviz Nik-khah, l’un des planificateurs, meneur des étudiants communistes en Europe, à la tête d’une commission pour innovation politique… Ce qui est loin d’être conforme à sa théorie.

En fait, il n’y a pas de malédiction, ni d’héritage pénalisant comme il n’y a pas eu de dérapage progressif de cette révolution : l’adjectif islamique (placé à côté du mot république) était dans la première version de la constitution du régime écrite à Paris par les juristes lié à Nehzat Azadi et l’OMPI, les composants clairement islamistes de cette révolution. Il n’y a jamais eu de promesses laïques bafouées dont parle Maître Gharavi.

Le seul dérapage est dans ce texte où dans le premier tiers, l’auteur passe progressivement des reproches faits au régime sur son identité, sur son passé, sur sa gestion nucléaire, sur son ingérence au Liban, sur le financement du terrorisme anti-occidental à une dissertation sur sa nature profondément démocratique, laïque et pro-occidentale, avant de consacrer les 2/3 restant du texte à plaider que l’on sauve ce formidable allié.

La plaidoirie | C’est drôle. Au début du texte, les phrases étaient courtes et les idées claires, puisqu’il s’agissait de salir le passé pour blanchir la révolution islamique. Mais à mesure que notre bonimenteur avance et qu’il doit opérer cet incroyable glissement, les phrases deviennent de plus en plus longues et fumeuses. Normal, le propos n’est pas évident car après avoir longuement disserté sur le dérapage incompréhensible de cette révolution soi-disant laïque, l’avocat essayiste affirme que les dirigeants actuels qui sont à l’origine de la trahison ont dernièrement réalisé que pour garder le pouvoir il leur faudrait renouer avec les promesses laïques de la révolution ! Selon lui, il serait donc idiot de les sanctionner, cela les découragerait. Il faudrait plutôt les récompenser en renforçant la coopération (commerciale) voire en les intégrant (comme membres permanents) au Conseil de Sécurité ! Ce serait cette chance ou le risque d’une confrontation qui se solderait par la déstabilisation de la région (le chantage à la perturbation de l’approvisionnement pétrolier de l’Europe). C’est donc une opportunité historique, selon Maître Gharavi, mais il faudrait des hommes ayant du cran et du talent.

Le talent est surtout chez Maître Gharavi car comme vous le savez, les membres permanents du Conseil de Sécurité ont droit à un arsenal atomique. La demande est donc une nouvelle version du droit à l’enrichissement, voire à la bombe. Cette intégration au Conseil de Sécurité figure d’ailleurs sur la liste des exigences du régime depuis deux ans et son objectif est de donner un droit de veto anti-israélien et anti-américain aux mollahs, leur assurant ainsi le leadership absolu de la rue arabe, une direction qui deviendra explosive avec le droit à la bombe. On ne risque donc pas de renouer avec des promesses laïques et pro-occidentales qui n’ont jamais existé, mais de se retrouver avec des mollahs encore plus hystériques.

C’est un vaste enjeu pour les mollahs. Mais quel que soit le talent de l’auteur, il est évident que les grands de ce monde ne se laisseront pas duper. En fait ce texte ne s’adresse pas à eux, mais aux hommes d’affaires et les grandes entreprises pour relayer les demandes de Téhéran, ce qui explique la signature du document par Maître Gharavi, car il n’est pas n’importe qui.

Dans le Fiagro, Maître Gharavi a joué la modestie en déclinant son identité. Il n’est pas un simple avocat aux barreaux de Paris et de New-York amoureux de la liberté et la laïcité, mais un avocat dont le nom figure sur la liste des experts habilités à représenter la Chambre de Commerce Iranienne, une institution qui chapeaute les réseaux du blanchiment d’argent des mollahs, les affaires louches, les dessous de tables, les achats de produits prohibés, ce qui fait dire qu’elle est le vrai Parlement de la république islamique d’Iran.

Mais Maître Gharavi n’est pas un expert parmi tant d’autres de cette institution opaque du régime des mollahs car il siège aussi à la Commission d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale ! Maître Gharavi est dans les secrets, un homme de confiance. Il a été d’ailleurs à l’origine d’une rencontre historique le 2 septembre 2007 entre Nahavandian, le président de la Chambre de Commerce Iranienne et Pierre Tercier, le président de la Commission d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale ! C’est un homme de réseaux et un homme sans scrupule. Attention danger.


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Raisons cachées de ce lobbying :
- Iran : Le régime a un sérieux problème de financement
- (14 janvier 2010)

Et voici un collègue de Maître Gharavi :
- Iran : Décodages de l’article de Jahanchahi dans le Figaro
- (16 janvier 2009 )

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