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Iran : La place de la France dans la crise nucléaire iranienne
03.06.2010

L’AIEA vient de publier un nouveau rapport sur l’Iran. Washington qui a besoin d’une entente avec les mollahs et de ce fait doit éviter des sanctions susceptibles de les renverser a noté une absence de coopération iranienne avec l’AIEA, mais il n’a pas demandé de nouvelles sanctions en sus de sa guerre d’usure économique contre les mollahs. La raison est qu’une entente avec les mollahs permettrait aux Etats-unis de contrôler la plupart des gisements pétroliers ou gaziers du monde. La France, qui avait dans les derniers mois soutenu cette approche hostile aux intérêts pétroliers des autres grandes puissances membres du groupe des Six, a doublement rompu avec cette position en déplorant le manque de dialogue des mollahs non pas avec l’AIEA, mais avec les Six, puis en exigeant l’adoption de nouvelles sanctions. C’est une évolution remarquable, mais cette crise en a connu beaucoup d’autres. Pour comprendre son importance ou manque d’importance nous avons décidé de vous exposer un petit historique de ces évolutions.



La crise nucléaire iranienne ressemble au virus du sida. Elle ne cesse de s’adapter et d’évoluer. Les accusations nucléaires de Washington ont démarré en 2000 avec l’adoption d’une loi pour isoler économiquement Téhéran, mais au même moment tout en sanctionnant Téhéran depuis 4 ans dans le domaine pétrolier, l’Etat américain ne cessait de lui proposer des réconciliations notamment lors des rencontres soi-disant fortuites organisées par Kofi Annan à l’ONU à l’Unesco. C’est ainsi qu’en septembre 2000, le président tout sourire des mollahs, Khatami, s’était retrouvé par hasard coincé dans une pièce avec Bill Clinton et Madeleine Albright à l’Unesco à Paris. Les efforts mixtes, sanctions+mains tendues que l’on remarque chez Obama ne sont donc pas des nouveautés. Depuis longtemps Washington emploie ces méthodes car il doit nécessairement conclure une entente avec les mollahs, idoles de la rue musulmane, pour utiliser leur capacité pour remodeler l’Asie Centrale et le Caucase et ainsi devenir la première puissance pétrolière au monde, une puissance supérieure à toutes les autres puisqu’elle contrôle le baril.

Il y a eu plusieurs rencontres fortuites, mais le président tout sourire des mollahs n’a pas décroché un rictus et n’a pas tendu la main car une réconciliation avec Washington, ami et protecteur d’Israël, se solderait par un désaveu de la rue arabe qui priverait les mollahs de la direction du Hezbollah et en plus, la réconciliation les obligerait à autoriser le retour en Iran d’islamistes pro-américains pour un exercice partagé du pouvoir. Les mollahs perdraient alors le pouvoir, ses privilèges, mais aussi leur capacité de nuisance donc le contrôle de leur destin. Il est alors devenu certain que leur réponse serait toujours un refus de tout compromis. Ce refus non-négociable a décidé Washington de renforcer le niveau de ses pressions contre les mollahs pour les forcer à « dialoguer ». C’est pourquoi en 2002, Washington a accusé les mollahs d’être sur le point de fabriquer une bombe nucléaire dans un délai très court, en 2005, en demandant le transfert immédiat du dossier vers le Conseil de Sécurité. L’intérêt d’un tel transfert était la validation de ses accusations et l’adoption de sanctions que tous les partenaires des mollahs devaient obligatoirement appliquer. Cela concernait plus particulièrement l’Allemagne qui était le premier partenaire économique des mollahs et la Russie, la Chine, la Grande-Bretagne et la France qui sont également des puissances pétrolières. En se positionnant sur la nécessité d’un transfert du dossier nucléaire iranien vers le Conseil de Sécurité, Washington a transformé ce qui était un bras de fer entre deux parties en un jeu à trois. C’est la première évolution de la crise nucléaire irano-américaine.

Cette première évolution a été marquée par deux grandes évolutions spontanées. La première évolution spontanée concernait l’Iran. Les mollahs qui subissaient une guerre d’usure économique les privant de toutes devises pétrolières ont estimé que leur régime n’était pas en mesure de supporter une nouvelle guerre d’usure économique et ont adopté la politique de l’amplification de la crise dont le but est de provoquer une escalade guerrière afin que le risque d’une menace contre l’approvisionnement pétrolier fasse capituler les Américains ou du moins leurs alliés européens. Dans le cadre de ce choix, Téhéran s’est lancé dans la diffusion d’annonces nucléaires ou balistiques anxiogènes qui n’ont été suivies d’aucun progrès réel dans ces domaines. Du fait de cette évolution, le bras de fer s’est transformé en une partie de pugilat puisque Téhéran rendait des coups en opposant une menace à chaque nouvelle accusation américaine. C’est un choix discutable car Washington s’est bien gardé d’aller dans une escalade, mais il a utilisé les annonces anxiogènes des mollahs pour confirmer l’authenticité de ses accusations.

La seconde évolution spontanée faisant suite à la demande américaine d’un transfert du dossier avec le Conseil de Sécurité concernait les membres de ce Conseil que Washington appelait à sanctionner les mollahs. Ces Etats ont rejeté la demande américaine car ils allaient être perdants deux fois : tout d’abord, ils allaient perdre leurs marchés en Iran, puis en aidant Washington à soumettre les mollahs pour devenir une hyperpuissance, ils allaient perdre l’ensemble de leurs intérêts pétroliers dans le monde. Ceux que Washington imaginait en dindons de la farce ont alors constitué un front informel des Etats réfractaires.

Ce Front des Etats réfractaires était cependant composé d’Etats aux intérêts opposés : d’une part, les Chinois et les Russes qui sont des frères ennemis et d’autres part des Européens qui ont des intérêts pétroliers opposés aux deux premiers. De fait, le vrai et seul front uni de refus est alors devenu l’UE (Grande-Bretagne, France, Allemagne), mais mis à part les intérêts opposés, l’ensemble de ces Etat ont – sans se consulter - pris le parti de rejeter la vraisemblance des accusations des Américains. Cela les a contraints en parallèle d’entreprendre des efforts pour engager Téhéran dans un compromis pour calmer car son comportement donnait des arguments aux Américains.

avantages aux Européens | Du fait de ces enchaînements d’évolutions et de leurs conséquences internes, le jeu à trois imaginé par Washington où il était le seul actif face à deux joueurs passifs s’est presque immédiatement mué en un multi-conflits opposant Washington aux mollahs, les réfractaires à Washington et les réfractaires dans une sorte de conflit mou avec les mollahs. Les réfractaires Européens qui étaient unis ont alors profité du désordre pour proposer de jouer les intermédiaires avec les mollahs.

Les efforts de Washington pour transférer le dossier nucléaire au Conseil de Sécurité pour utiliser ce conseil dans le sens de ses intérêts ont au final mis l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne aux commandes de la crise. Dans ce rôle, 3 trois pays (les EU3 que l’on a aussi appelé la Troïka) devaient prouver l’invalidité des accusations américaines et aussi priver Washington de toute possibilité de revenir à la commande. Pour ses deux raisons, les UE3 ont mis un point d’honneur à impliquer l’AIEA, le chien de garde atomique du Conseil de Sécurité, non pas en raison de ses compétences à prouver l’invalidité des accusations, mais parce que cet organe est composé de diplomates et d’inspecteurs de tous les pays et produit de ce fait des rapports très consensuels prenant compte des intérêts des grandes puissances.

L’AIEA est aussi le domaine d’un marchandage sans fin avec les Non alignés qui espèrent accéder à la bombe. L’implication de l’AIEA a été une manière d’engager le conflit dans une impasse procédurière pour geler les accusations américaines et retarder indéfiniment l’adoption de nouvelles sanctions afin de trouver un terrain d’entente avec les mollahs. On est alors entré dans la seconde grande phase de la crise nucléaire américano-iranienne avec désormais 4 joueurs : Washington, les mollahs, les Européens et l’AIEA qui jouait dans leur camp.

Pour contrer l’action frein de l’AIEA, Washington a multiplié des découvertes de documents évoquant des activités nucléaires militaires dont notamment des plans trouvés dans un ordinateur portable égaré par un diplomate iranien de l’AIEA. Cette dernière, alors dirigée par El Baradaï, a résisté à ces surprises en produisant des rapports très contraires aux affirmations américaines.

Cette posture a ouvert la porte à des négociations sans fin. Elles ont été accompagnées d’offres d’investissements éblouissantes, mais cela n’a permis aucune avancée car au retour Téhéran devait composer avec des Etats qui respectent l’existence d’Israël. En fait on peut dire que les Européens avaient mal jugé l’affaire. Téhéran les appréciait car avant le début du bras de fer nucléaire avec Washington, les Européens ne lui demandaient aucun effort géopolitique, en changeant d’attitude, ils se sont mués en des mini-Américains bien encombrants car alors qu’ils marchandaient avec Téhéran, Washington continuait d’affaiblir l’économie iranienne avec ses sanctions pétrolières adoptées en 1996. Pour sortir de cette impasse et reprendre sa politique de l’amplification de la crise, Téhéran a remplacé le rieur Khatami par le grincheux Ahmadinejad qui s’est lancé dans une folle course à l’escalade en accélérant le programme nucléaire iranien et en refusant l’accès de ces sites nucléaires à l’AIEA.

la chute des Européens | L’AIEA ne pouvait que constater les fautes commises par les mollahs. Cela a achevé le rôle des Européens car on assistait à la défaite de leur diplomatie. Ils ne pouvaient plus refuser la demande américaine d’un transfert au Conseil de Sécurité. Il existait néanmoins une résistance des Chinois et des Russes à ce transfert. Le Front du refus s’est déplacé à l’Est. Washington a alors montré de l’impatience annonçant la possibilité de frappes unilatérales capable de faire basculer l’Iran dans son camp. Fin décembre 2006, les Russes et les Chinois ont alors cédé en insistant sur la nécessité d’une approche commune en se disant qu’après tout en se hissant aux commandes des sanctions, ils pouvaient contrôler Washington et aussi pousser Téhéran à modérer ses positions.

On est alors entré dans la troisième phase de la crise qui a donné naissance au groupe des Six englobant les Etats-Unis et les Etats réfractaires. Les Six ont proposé aux mollahs les mêmes offres que les Européens. Pour les besoins de la relance des efforts, les adeptes de l’AIEA ont désactivé ce frein à toute évolution. Mais ces concessions n’ont rien donné car Téhéran a une obligation de refuser tout compromis avec l’Occident pour rester le champion de la rue arabe.

Cette troisième phase pouvait durer infiniment car cela arrangeait la majorité. Elle a cependant été très courte car en demandant le transfert du dossier nucléaire au Conseil de sécurité, Washington ne cherchait un statu quo plaisant à ses adversaires économiques, mais la validation de ses accusations contre Téhéran pour pouvoir adopter des sanctions que tout le monde appliquerait. C’est pourquoi, alors que les Six, toujours menés par les Européens, s’agitaient naïvement à faire des propositions aux mollahs, Washington a adopté des sanctions unilatérales qui ont déclassé ses camarades du Conseil de Sécurité. Puis en novembre 2007, il a publié un rapport de ses 16 services secrets faisant état d’une pause dans les activités nucléaires militaires iraniennes, pour se donner l’opportunité d’arrêter l’adoption de nouvelles sanctions américaines et d’ouvrir d’un dialogue direct avec Téhéran. En d’autres termes, il a surclassé les Six avant de les exclure des négociations.

avantages aux Américains | Le rapport des 16 services secrets américains a provoqué la colère des Etats exclus de la direction des pressions donc de toute négociation avec l’Iran. Téhéran était à la merci du bon vouloir des Américains, les Etats exclus pouvaient s’attendre à une capitulation plus ou moins rapide, mais certaine des mollahs ce qui annonçait des bouleversements de leurs intérêts pétroliers. Le premier à réagir a été la Grande-Bretagne (GB), le leader actuel du marché pétrolier mondial [1]. Simon Smith, son représentant à l’AIEA a ressorti les documents soi-disant égarés d’un portable iranien pour les proposer à la direction de l’AIEA et cette direction qui avait refusé de prendre en compte ces documents les a placés au centre de ses rapports en 2008, ce qui laisse à posteriori supposer que le freinage de l’AIEA avant le transfert vers le Conseil de sécurité était aussi d’inspiration Britannique.

Les rapports pro-britanniques de l’AIEA contredisaient les conclusions des 16 services secrets américains en affirmant que Téhéran avait un programme nucléaire militaire, mais ils ne demandaient pas de nouvelles sanctions pour ne pas affaiblir encore plus les mollahs les exposants ainsi à une plus rapide capitulation. Ces rapports étaient conçus pour coincer Bush qui avait été l’animateur du processus de la mise en accusation des mollahs et du transfert du dossier nucléaire iranien vers le conseil de Sécurité. Au-delà de la mission d’empêcher le dialogue, il fallait priver Washington de ses sanctions, c’est pourquoi El Baradaï demandait aussi le retour du dossier iranien du Conseil de Sécurité vers l’AIEA. Washington a ignoré ces rapports pour se donner l’opportunité de parvenir à une entente avec Téhéran.

montée en puissance des Américains | Les autres Etats exclus ont soutenu cette approche, sauf la France qui s’est mise à évoquer la nécessité d’un dialogue avec Téhéran et le cas échéant des sanctions très fortes hors Conseil de Sécurité, hors les Six, directement via l’Europe. Non seulement, ces deux positions étaient radicalement opposées à celles des Britanniques, mais encore elles entendaient forcer la Grande-Bretagne à désavouer ses objectifs. On a récemment appris que peu de temps après la manœuvre du novembre 2007 pour l’exclusion des Six, Washington avait autorisé la France à signer un important contrat gazier en Iran, via une filiale italienne de l’EDF, assurant la France qu’elle ne serait pas perdante en lâchant le Front des Etats réfractaires.

Dès lors la France a commencé à jouer le rôle d’un composant pro-sanctions dans la machine diplomatique américaine, ce qu’il l’a exposée à quelques réactions très coléreuses des mollahs.

En réaction à cet activisme pro-américain des Français, la Grande-Bretagne avait fini par prendre ouvertement position contre l’adoption de nouvelles sanctions contre Téhéran. Elle avait alors retrouvé à ses côtés, la Russie, l’autre grande future victime d’une entente entre les Américains et les mollahs. Le Front des Etats réfractaires a changé de forme, on est alors entré dans une quatrième phase de la crise.

Cela ne changeait rien pour les mollahs qui étaient toujours sanctionnés. Ils se sont lancés dans des provocations accrues. Bush qui par le passé avait utilisé les annonces anxiogènes de Téhéran pour justifier le transfert vers le Conseil de Sécurité a commencé un nouveau jeu : l’esquive des provocations de Téhéran. Un exemple de cette attitude a été l’annonce par Téhéran de plusieurs tirs de missiles longue portée. Washington avait nié leur authenticité avec l’aide de la France puisque l’AFP avait évoqué une supercherie à base de Photoshop ! La photo avait fait le tour de la planète ridiculisant les mollahs, ces derniers avaient expulsé le directeur de l’AFP à Téhéran.

A la même époque, Bush s’est aperçu que les mollahs étaient trop affaiblis et qu’il lui fallait éviter l’adoption de nouvelles sanctions. Ceci s’est traduit par un assouplissement des sanctions, geste immédiatement sanctionné par un durcissement des mollahs qui sont toujours dans des rapports de force. Ce raidissement, l’image de l’intransigeance de Bush, mais aussi le contexte électoral n’ont pas permis à ce dernier de conclure l’entente qui obsède Washington depuis 30 ans.

omnipuissance américaine dans la gestion des pressions | Pour plus de réussite, Washington a changé d’approche avec Obama qui a annoncé un plan d’apaisement excluant d’avance toute escalade ou de nouvelles sanctions (désormais impossibles en raison d’un affaiblissement trop important des mollahs) avant de décréter le dialogue sans aucune condition préalable. Face à cette approche axée sur le dialogue, l’opposition de la Grande-Bretagne aux sanctions n’avait plus de poids, elle s’est repliée sur les rapports d’El Baradei évoquant une bombe iranienne pour juste empêcher le dialogue. La Russie a reconverti son refus de sanctions en une demande de retour du dossier vers l’AIEA. En revanche, la France est restée dans son rôle de père fouettard atlantiste qui promettait les sanctions unilatérales que Washington n’évoquait plus.

Téhéran refusait néanmoins tout compromis et continuait imperturbablement ses provocations systématiquement esquivées par Washington. Cette attitude mettait Washington mal à l’aise car l’opinion publique américaine chauffée par les rapports d’El Baradai exigeait des sanctions. Washington a œuvré en coulisse pour remplacer El Baradai par un pro-américain, le Japonais Amano et il a aussi redoublé d’efforts pour engager les mollahs dans le dialogue.

A ce moment, Téhéran cherchait à acheter du combustible pour son réacteur de recherche à usage médical : Washington lui a proposé un échange de ses stocks d’uranium enrichi potentiellement militaires contre du combustible d’origine occidentale. La menace nucléaire aurait été écartée pour un à deux ans et Washington aurait pu écarter les sanctions fatales pour un à deux ans. Mais Téhéran a refusé car on lui proposait d’allonger son calvaire et en plus il allait se retrouver dans un périlleux processus contribuant à la sécurité d’Israël. Forcé de les contraindre à un apaisement pour écarter les sanctions et continuer le dialogue, Washington s’est retourné vers l’AIEA (alors que El braradai allait céder sa place à Amano) et lui a confié la réalisation du projet de l’échange. Il a aussi brandi la menace d’un embargo sur l’essence, mesure capable de provoquer des émeutes fatales aux mollahs. Téhéran n’a pas flanché car il avait le soutien russe. Washington a chargé Paris d’associer les Russes à leurs manèges. Paris a échoué et Washington a obtenu le soutien russe à son projet d’échange au prix d’un abandon partiel du système de bouclier anti-missiles. Elle avait fait un bon deal car elle se retrouvait impliquée dans la gestion des pressions sur Téhéran en tant qu’associée et non en tant que subordonnée.

alliances tactiques malheureuses | En septembre 2009, à 4 mois de la fin de l’ultimatum adressé aux mollahs presque un an plus tôt, on s’est alors retrouvé dans une évolution inédite : Moscou agissait selon les demandes de son associé américain tantôt pour les sanctions, tantôt contre. Paris continuait à jouer les pères fouettards atlantistes. L’AIEA roulait pour Washington. Le front de la résistance aux Etats-Unis s’était réduit à la Grande-Bretagne, un allié tenu de respecter ses engagements atlantistes et la Chine, la grande muette perdue sans son modèle russe. Washington avait enfin presque toutes les cartes en main pour continuer sa politique de sanctions et de dialogue, mais les mollahs qui ont tout à perdre ont encore refusé. Pressé de conclure en raison de progrès chinois en Asie Centrale, en octobre, Washington a introduit la Turquie dans le jeu pour négocier pour son compte avec les mollahs. Il y eut plusieurs rencontres turco-iraniennes, ce qui allait à l’encontre des intérêts russes. On a alors perdu la Russie en route : elle a cessé de jouer à l’associée de Washington.

A ce moment, Washington a fait état d’une opposition de ses alliés arabes, mais aussi la Turquie et le Brésil, membres temporaires du conseil de Sécurité, à toutes nouvelles sanctions. Hillary Clinton et Bernard Kouchner ont alors commencé à simuler des efforts pour trouver des alliés pour imposer de nouvelles sanctions. Peu de temps après, Washington a chargé le Brésil de négocier avec l’Iran : cela n’a soulevé aucune protestation américaine ou française. On est alors entré dans une nouvelle phase inédite du bras de fer irano-américain avec des joueurs non homologués par les Six. Washington privait ainsi le front des Etats réfractaires de toute possibilité de nuire à ses objectifs.

contestation de la mainmise américaine | On a alors assisté à une riposte unanime : la Grande-Bretagne qui fournit 75% des besoins iraniens en carburant a rompu ses livraisons, la Chine a divisé ses achats pétroliers iraniens par 5 et Moscou a stoppé ses investissements pétroliers en Iran. 10 ans après le début du bras de fer nucléaire irano-américain, le front des Etats réfractaires a donné un signe de vie.

A l’approche de la visite du président brésilien en Iran, la Grande-Bretagne a par l’intermédiaire de Catherine Ashton, la Haute Représentante de l’UE aux Affaires étrangères, affirmé la nécessité d’un dialogue via les Six. Ashton s’est aussi rendue en Chine pour rencontrer le président chinois Hu Jintao : ils se sont mis d’accord sur la nécessité de sanctions modérées en parallèle avec le dialogue. La France n’a non seulement pas soutenu ce front des Etats réfractaires, mais encore elle a soutenu l’initiative du président brésilien Lula. Mais elle a vite déchanté car dans cette mission qui devait se solder par la signature d’un accord (censé prouver la supériorité du dialogue sur les sanctions), Lula a été autorisé par Washington de proposer un investissement sur un important bloc du gisement gazier South Pars normalement promis à Total !

La France a alors cessé de jouer au petit soldat pour Washington. Elle a tardé à saluer l’accord comme Washington et quand le Brésil lui a demandé de soutenir son adhésion aux Six, elle a déclaré qu’il ne lui appartenait pas de modifier la composition du groupe 5+1 mandaté par le Conseil de sécurité de l’ONU pour traiter du dossier du nucléaire iranien. Elle a précisé que les résolutions successives du Conseil de sécurité portant sur l’Iran avaient souligné et réaffirmé le rôle des Six et du Haut représentant européen (Ashton) dans la recherche d’une solution négociée avec l’Iran sur la question de son programme nucléaire.

Ce 20 mai 2010, le front des Etats réfractaires est devenu majoritaire au sein du Conseil de Sécurité. Dans les jours qui ont suivi, la Russie et la Grande-Bretagne ont critiqué le pseudo-accord signé par Lula avant de plaider fermement en faveur de nouvelles sanctions. Washington a alors simulé une querelle avec Lula pour renforcer ce fantoche tout en appuyant lors de la Conférence de suivi du TNP l’adoption d’une motion stipulant que « tous les cas de non-respect des obligations découlant des accords de garanties de l’AIEA soient résolus dans le seul cadre de l’AIEA », une manière de faire passer l’AIEA qu’il contrôle devant le Conseil de Sécurité qu’il ne contrôle plus.

Dans ce contexte, Amano le directeur pro-Américain de l’AIEA qui est chargé de rédiger les rapports de cette institution vient de publier un rapport confidentiel très tonique sur l’Iran (ci-dessous- et Washington est intervenu immédiatement pour souligner ses conclusions sans pour autant demander de nouvelles sanctions. C’est une position remarquable car, comme nous l’avons exposé plus haut, il avait toujours nié la pertinence des rapports de l’AIEA.

En revanche, la France a noté le même manque de coopération, mais avec les Six et insiste avec vigueur sur les sanctions de la part des Six. Elle confirme ainsi sa rupture avec Washington et son rapprochement du front des Etats réfractaires à une entente entre Washington et les mollahs. C’est la seconde prise de position française en ce sens.

Si Paris persiste, ce sera une évolution remarquable dans le bras de fer irano-américain, une évolution aux conséquences imprévisibles car les Etats hostiles à une entente entre les Américains et les mollahs n’ont jamais eu autant de pouvoir en leurs mains.


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Ceux qui refusent le futur monde 100% américain :
- Iran : Moscou et Londres veulent des sanctions immédiates
- (27 mai 2010 )

| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : France (diplomatie française) |

| Mots Clefs | Décideurs : P5+1 (les Six) |
| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |
| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : RUSSIE |

| Mots Clefs | Enjeux : Rétablir les rel. avec les USA & Négociations directes |
| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |

| Mots Clefs | Décideurs : Brésil (Lula ou Amorim) |

[1Les Américains et les Britanniques d’apparences des alliés sont en fait des adversaires très féroces dans le domaine pétrolier et règlent leurs différents à coup d’assassinats et de coup d’Etat dans les pays producteurs, notamment du Moyen-Orient. Un aspect de cette guerre est la récente explosion d’une plate-forme pétrolière de British Petroleum qui commence à se transformer en une bataille juridique de l’Etat américain contre le navire amiral de l’industrie pétrolière britannique.