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Iran–Brésil–les Six : D’accord, pas d’accord !
20.05.2010

Il y a une semaine, alors que le Brésilien Lula s’apprêtait à se rendre en Iran pour une dernière tentative de négociations, les Six semblaient unanimement d’avis qu’il fallait en cas d’un échec sanctionner les mollahs. Les Britanniques, les Chinois et les Russes avaient même évoqué, en ordre dispersé, leurs intérêts pour des sanctions unilatérales plus fortes. Aux termes d’une négociation avec la participation de la Turquie, Lula a obtenu un accord tronqué qui est déjà remis en cause par Téhéran qui parle d’une « déclaration commune » et non d’un « accord » (agreement), mais au sein des Six, plus personne n’est de l’avis de son voisin. On y trouve tous les cas de figure : les Américains saluent le demi accord, mais veulent une résolution qui pour l’instant ne contient aucune sanction inédite, les Anglais qualifient le demi accord de ruse, mais ne demandent plus de sanctions, les Russes n’ont aucun avis sur le demi accord et veulent des sanctions communes, bref, on est revenu à l’âge d’or de la crise avec les mollahs. | Décodages |



Aussi loin que l’on se souvienne, les Six, c’est-à-dire la Russie, la Chine, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les Etats-Unis, n’ont jamais été du même avis à propos de l’Iran car ils ont des intérêts diamétralement opposés vis-à-vis de ce très grand pays pétrolier. Les Russes, les Chinois et les Européens, qui sont ses partenaires économiques, protègent cet acquis et Washington qui n’a pas de part dans ce gâteau tente de s’imposer avec des sanctions combinées à des offres de normalisation des relations diplomatiques : en d’autres termes une entente.

L’enjeu dépasse l’Iran et ses ressources énergétiques. L’Iran est un couloir d’accès vers l’Asie Centrale et le Caucase. Washington entend utiliser les mollahs pour provoquer des révolutions islamiques dans ces deux régions musulmanes afin de créer de nouveaux pays et ainsi abolir les contrats pétroliers européens, chinois ou russes passés avec les actuels Etats de ces régions. Il pourra alors contrôler plus de 50% des ressources du monde : ils raviraient alors aux Britanniques leur leadership du marché pétrolier pour devenir la première puissance économique mondiale pour une très longue durée. Les Russes, les Chinois et les Européens ont dans un premier temps échappé à ce véritable péril pour leur avenir en raison de la crainte des mollahs de devenir des alliés jetables après utilisation. Mais parce que ces Etats n’estimaient pas Téhéran capable de résister longtemps aux pressions, ils ont constitué le groupe des Six pour empêcher Washington d’avoir les mains libres pour faire pression sur les mollahs afin de les détacher d’eux. En fait, la vocation même du groupe des Six est de ne pas être d’accord (avec les Etats-Unis) pour maintenir un équilibre des forces.

Dans ce contexte de la nécessité de contradiction, les Russes, les Chinois et tous les Européens (la Grande-Bretagne, mais aussi la France et l’Allemagne) se sont toujours opposés aux nouvelles sanctions économiques sans cesse demandées par Washington. Mais quand Washington a commencé à parler ouvertement de la possibilité d’une entente avec les mollahs sur une base plus souple, ces pays ont réalisé qu’ils avaient fait fausse route : ils avaient en fait aidé Washington à mener une lente guerre d’usure contre les mollahs.

Washington avait neutralisé le groupe des Six dont la vocation était de restreindre ses initiatives. L’Allemagne qui n’a pas d’intérêts pétroliers en Iran et la France qui a des associés américains dans Total ont alors fait le choix pragmatique de soutenir Washington. Le groupe de résistance a été réduit à la Chine, la Russie et la Grande-Bretagne. En septembre 2009, Washington a renforcé sa mainmise sur la gestion des pressions en achetant l’alignement des Russes sur ses positions avec un deal sur l’ABM et la Géorgie.

Washington avait alors les mains libres pour agir, mais face au refus anxiogène des mollahs, en octobre 2009, il s’est retrouvé en situation de devoir alourdir ses sanctions pour rassurer les Américains. Pour éviter cette option contraire à son initiative d’apaisement, Washington a demandé à deux de ses plus importants partenaires stratégiques, le Brésil et la Turquie de s’opposer à toutes sanctions et de proposer leur service pour un nouveau dialogue avec les mollahs. Le rôle des 3 éléments turbulents des Six a été alors totalement anéanti..

Afin de restaurer leur autorité pour protéger leurs intérêts vitaux, dans une réaction très forte, en janvier 2010, la Grande-Bretagne, la Chine et la Russie ont tour à tour annoncé des sanctions unilatérales contre Téhéran pour rétablir l’équilibre des pressions, pousser Téhéran dans ses derniers retranchements et ainsi engager Washington dans une escalade de sanctions qui empêcherait toute entente avec les mollahs.

Depuis, à chaque fois que Washington met en place une initiative pour engager le dialogue, la Grande-Bretagne, la Chine et la Russie se montrent très favorables à des sanctions unilatérales. C’est une tactique pour pousser Washington dans une escalade. C’est ainsi qu’épisodiquement on retrouve pour un petit laps de temps, l’ensemble des Six unis en faveur de nouvelles sanctions ! Cela a été le cas avant le voyage de Lula à Téhéran, en mission pour un arrangement qui avait le soutien de Washington. Mais du moment où la mission a échoué et qu’un arrangement n’est plus à l’ordre du jour, il n’y a plus de nécessité pour les Russes, les Chinois et les Britanniques de promouvoir l’escalade des sanctions. Chacun a repris des positions propres à ses intérêts.

On ne peut cependant appeler cela un retour à la normale car les initiatives de dialogue de Washington ont des conséquences. Par exemple, lors de son voyage à Téhéran, Lula s’est vu proposer un contrat pétrolier initialement proposé à la France. Si l’accord est un jour conclu, le Brésil pourra finaliser l’accord de principe. En réaction, Paris qui avait soutenu l’initiative de Lula a montré quelques réticences à saluer le demi accord trouvé dimanche à Téhéran.

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C’est pourquoi au lieu de finir par une conclusion, nous avons décidé d’exposer ici un compte-rendu des dernières évolutions dans ce retour à la normale douloureux pour tous.
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La semaine dernière, avant l’arrivée de Lula à Téhéran, la Grande-Bretagne avait par l’intermédiaire de Catherine Ashton affirmé la nécessité d’un dialogue via les Six. Moscou avait affirmé qu’un accord ne serait pas synonyme d’abandon des sanctions et Paris avait joué les lâcheurs en soutenant l’initiative selon les vœux des Etats-Unis.

Dimanche, le Brésil et la Turquie ont affirmé avoir signé un projet d’accord sur l’échange - sur le sol turc – de 1200 kg d’uranium iranien faiblement enrichi (à 3,5%) contre du combustible international enrichi à 20% pour le réacteur de recherche de Téhéran. Plusieurs experts ont alors signalé que la proposition initiale faite à Téhéran se portait sur 1200 kg à un moment où son stock était de 1200 kg (volume nécessaire pour fabriquer une bombe). La proposition visait à éliminer la capacité de fabriquer une bombe. A présent, le stock a doublé et en se séparant de 1200 kg, Téhéran garde un potentiel de nucléaire militaire (nous l’avions signalé en mars 2010). On peut donc parler d’un accord sans intérêt. En outre, Téhéran a précisé qu’il continuerait à enrichir l’uranium à 20 %, ce qui lui permettait d’augmenter son potentiel nucléaire de l’équivalent de 1200 kg tous les 40 jours !

Lundi, la Maison-Blanche a qualifié l’accord d’étape positive, tout en demandant une réunion au Conseil de Sécurité pour étudier une nouvelle résolution ne contenant aucune sanction inédite, mais de simples recommandations pour une plus grande vigilance dans l’application de mesures adoptées précédemment comme les sanctions bancaires, les interdictions de ventes d’armes ou la surveillance des transports maritimes.

Moscou n’a pas salué le non-accord à l’initiative du Brésil, mais il a signalé que cet accord imparfait était quand même la preuve de la possibilité d’une solution diplomatique proposée par la Russie et la Chine. Il faudrait donc continuer le dialogue tout en adoptant de nouvelles sanctions (alors qu’elles ne figurent pas dans la résolution à l’étude).

Mardi, après un bon moment d’hésitation, la France a qualifié le non-accord de pas positif et a apporté son soutien à l’approche multipolaire du Brésil pour la recherche d’un accord sur le nucléaire iranien. Ce qui est une forme d’accord à une pause dans les sanctions conformément au projet de résolution à l’étude au Conseil de Sécurité.

Mardi toujours, en marge du sommet UE-Amérique latine à Madrid, en réponse à l’intérêt de la France pour son approche multipolaire, le Brésil a exprimé le souhait de participer avec la Turquie aux futures négociations sur le nucléaire iranien aux côtés des Six !

Mercredi, la France a déclaré qu’il ne lui appartenait pas de modifier la composition du groupe 5+1 mandaté par le Conseil de sécurité de l’ONU pour traiter du dossier du nucléaire iranien. Selon le Quai d’Orsay, les résolutions successives du Conseil de sécurité portant sur l’Iran ont souligné et réaffirmé le rôle des Six et du Haut représentant (européen) dans la recherche d’une solution négociée avec l’Iran sur la question de son programme nucléaire.

Mercredi, Moscou s’est dit préoccupé par le projet des Etats-Unis et de l’UE visant à imposer des sanctions unilatérales à l’Iran !


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Le bloc rebelle des Six serait-il de retour ? on le dirait, mais le retour ne vaut rien, s’il s’agit de jouer le jeu des années précédentes.

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article complémentaire :
- Iran : La longue marche de l’Europe vers la Chine
- (1er mai 2010)

article complémentaire :
- Iran : Scène de règlements de comptes américano-russes
- (27 mars 2010)

| Mots Clefs | Décideurs : Brésil (Lula ou Amorim) |
| Mots Clefs | Pays : Turquie |

| Mots Clefs | Décideurs : P5+1 (les Six) |
| Mots Clefs | Enjeux : Intérêts Européens en Iran |

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |