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Iran : Réactions américaine et russe après le rapport de l’AIEA
21.02.2009

Le représentant permanent de l’Iran auprès de l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA), Ali Asghar Soltanieh, a estimé hier que le dernier rapport d’El Baradai ne comportait « rien de nouveau ». Ce n’est pourtant pas le cas : le rapport évoque pour la première fois l’existence d’une quantité d’Uranium faiblement enrichi (UFE) idéale pour une bombe, et El Baradai parle de son intime conviction que Téhéran cherche à acquérir la technologie permettant d’accéder à l’arme atomique. L’indifférence feinte de Téhéran est un signe de très grand malaise face à une situation inédite.



Le dernier rapport d’El Baradai est une vraie nouveauté : il va beaucoup plus loin que ne sont jamais allés les principaux accusateurs des mollahs à savoir les Américains.

Topo | Il faut sans cesse se remémorer que ce sont les Américains qui ont initié cette crise en révélant à l’AIEA les activités nucléaires clandestines des mollahs. Ce sont les Américains qui ont oeuvré avec acharnement pour transférer le dossier vers le Conseil de Sécurité, ce qui a débouché sur des sanctions onusiennes contre l’Iran. Or, leur but était de trouver uniquement un prétexte pour légitimer leurs propres sanctions. Grâce à ces sanctions, Washington espérait affaiblir Téhéran afin de le forcer à accepter une entente irano-américaine qui permettrait aux Etats-Unis de contrôler toutes les routes de pétrole du Golfe Persique à l’Asie Centrale, régions clefs pour la croissance des adversaires ou concurrents mondiaux des Etats-Unis, principalement la Chine et la Russie. Cependant, le but était uniquement d’affaiblir le régime et non de l’anéantir. C’est pourquoi, quand les Etats-Unis ont estimé avoir réussi à mettre en place leurs batteries de sanctions contre les mollahs, ils ont publié en novembre 2007 un rapport, le NIE 2007, qui affirmait que l’Iran avait arrêté en 2003 toutes ses activités nucléaires militaires, un rapport totalement en contradiction avec leurs précédentes allégations. Ainsi après avoir pris en main la gestion des pressions sur l’Iran, les Américains ont pris le contrôle du planning de leur guerre d’usure contre les mollahs.

Il faut savoir qu’actuellement, les compagnies britanniques contrôlent la majeure partie des marchés pétroliers au monde : une entente irano-américaine mettrait en péril cette suprématie vieille de 100 ans. Etant les victimes collatérales potentielles de la stratégie asiatique des Américains, les Britanniques ont décidé de contrecarrer ce projet. Le 25 février 2008, suite à une réunion privée entre le n°2 de l’AIEA et Simon Smith, le représentant britannique à l’AIEA, ce dernier a alerté les médias sur l’existence de preuves qui contredisaient le rapport américain de novembre 2007. Depuis, ces documents (jadis évoqués par Washington) sont devenus la base des rapports de l’AIEA pour contrer la mainmise américaine sur le dossier nucléaire iranien, sa gestion des sanctions et du planning. L’AIEA et les Britanniques évoquent désormais le danger de la possession d’une bombe par Téhéran et ils recommandent ensemble un dialogue et une entente avec les Six, c’est-à-dire le Conseil de Sécurité+l’Allemagne. Les Britanniques souhaitent une entente multilatérale qui préserverait le régime et mettrait fin aux pressions américaines pour vassaliser les mollahs.

Risposte US | Récemment, tout en continuant à maintenir les conclusions du rapport NIE 2007, les Américains ont décidé d’y introduire des éléments nouveaux pour contrecarrer ces efforts et reprendre le dessus dans la gestion des sanctions. D’une part, Dennis Blair, le nouveau patron du renseignement américain, a évoqué la poursuite accélérée des activités suspectes par l’Iran et parallèlement un rapport indépendant conçu par l’ISIS a affirmé que Téhéran avait accumulé environ 800 Kg d’Uranium faiblement enrichi (UFE) soit 27% de plus que la quantité évoquée dans le précédent rapport de l’AIEA. Avec cette quantité, Téhéran était à 20% de la quantité nécessaire pour une bombe. En relevant le niveau des stocks dans un rapport non officiel de l’ISIS, les Américains cherchaient à intimider Téhéran en laissant présager une possible révision de leur rapport NIE 2007 concernant le délai séparant Téhéran de sa bombe.

Contre-attaque | L’AIEA a repris le monopole de l’intimidation car elle est allée beaucoup plus loin que le rapport d’ISIS, en évoquant l’accumulation par l’Iran non de 800 Kg d’UFE mais plus d’une tonne d’UFE, c’est-à-dire la quantité exacte pour une bombe selon l’ISIS ! Là où pour faire pression sur Téhéran, les Américains avaient choisi une voie non officielle pour jouer sur les délais, El Baradai a clôt le débat en affirmant que Téhéran avait parcouru déjà tout le chemin, mais le directeur de l’AIEA affirme que Téhéran s’est gardé de créer la bombe. El Baradai s’est réservé le verdict final sur la fabrication de la bombe dans son prochain rapport. Ainsi El Baradai a désactivé les efforts américains pour reprendre le dessus dans la gestion de la crise et à nouveau s’est posé en arbitre de la crise : celui qui peut affirmer que Téhéran a décidé ou non de reprendre l’enrichissement de ces 1010 kilos d’UFE pour en faire 25 kilos d’Uranium hautement enrichi (UHE). Et enfin, à la lumière de ces soi-disant progrès réalisés par les mollahs, il réaffirme également que les sanctions ont été sans résultat et que désormais la seule solution pour les Américains est d’accepter un compromis onusien ! Aussitôt ce rapport publié, le premier à s’y référer a été Gordon Brown, le Premier ministre Britannique qui a également critiqué le dialogue direct entre Obama et Ahmadinejad pour demander à l’Iran de se conformer à la demande du Conseil de Sécurité, ce qui revient à accepter les résolutions en vigueur, c’est-à-dire l’offre des Six (conseil de sécurité+Allemagne).

Incohérences | Cependant, il a été le seul à adhérer inconditionnellement à ce rapport car pour arriver à ce résultat (des 1010 kilos d’UFE), le directeur de l’AIEA a dû prendre ses distances avec la réalité et contredire ses propres conclusions des rapports précédents. Des chercheurs américains ont relevé des incohérences entre ce rapport et le précédent sur le nombre des centrifugeuses en activité et aussi sur les quantités d’uranium faiblement enrichi. Ces chercheurs se sont demandés comment Téhéran pouvait avoir réduit son enrichissement ou subi des échecs pour l’amélioration du rendement de ses centrifugeuses comme l’affirme le rapport tout en réussissant à augmenter sensiblement la masse de l’uranium faiblement enrichi !

Rien de plus simple, répond El Baradai : Téhéran a réduit le nombre des centrifugeuses alimentées en UF6, mais la différence sur les quantités d’UFE est due au fait que Téhéran avait précédemment menti aux inspecteurs de l’AIEA sur son stock d’UFE ! Au passage, cet aveu met à mal l’affirmation selon laquelle l’AIEA inspecte réellement les sites nucléaires iraniens. Par ailleurs, on ne sait pas pourquoi Téhéran a décidé d’un coup de dire la vérité sur ses stocks d’UFE ! Mais il ne faut pas chercher à dresser la liste des incohérences ou une certaine logique dans ce dernier rapport d’El Baradai ; cette logique n’existe.

Réaction américaine | Face à la mauvaise foi évidente de ce rapport visiblement conçu pour contrecarrer la mainmise américaine sur le dossier et forcer les Etats-Unis à accepter un compromis, l’administration Obama a aussi joué la mauvaise foi par une interprétation libre du rapport pour le contrer sur trois points fondamentaux.

One, two, three | Dans un premier temps, un représentant de l’administration Obama a affirmé au NYT que le rapport prouvait l’existence de sites nucléaires clandestins (ce que réfute catégoriquement l’AIEA) et aussi l’amélioration régulière de l’efficacité des centrifugeuses iraniennes (ce qui est également contraire aux conclusions d’El Baradai).

En fait, ce représentant de l’administration Obama qui n’a pas été nommé par le NYT a interprété le rapport pour se caler sur les déclarations de Dennis Blair à propos de la poursuite accélérée des activités suspectes.

En se fondant sur ces déclarations, la Maison-Blanche a invité les Six à agir en urgence, ce qui présage une demande d’une nouvelle résolution contre l’Iran, résolution qui va à l’encontre d’El Baradai renforcer les sanctions existantes contre l’Iran et au passage légitimer les sanctions américaines. C’est le troisième, dernier et plus important point de rupture entre Washington et l’AIEA.

C’est une drôle de situation, l’administration Obama cherche à surpasser ce rapport qui voulait la supplanter dans la gestion des pressions sur Téhéran et évoque à présent des sites clandestins comme au début de la crise en 2003 ! On comprend donc le repli tactique des mollahs qui cherchent surtout à éviter de faire des vagues en espérant que l’un des protagonistes (américain ou britannique) cesse de jeter de l’huile sur le feu. Très profil bas, Téhéran affirme son attachement à l’AIEA, à leur coopération et les inspections.

Hop la Russie ! | Alors que l’Iran est au plus bas, la Russie est intervenue pour le soutenir sur tous les plans. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères Alexeï Borodavkine a affirmé que « la Russie et l’Iran avaient des points de vue communs sur un grand nombre de questions de politique internationale et régionale ! » Il a aussi salué la volonté de l’Iran d’adhérer à l’OCS en précisant que Moscou pourrait supprimer le moratoire sur l’élargissement de cette organisation, permettant ainsi à l’Iran de rentrer dans cette Otan sino-russe. C’est la promesse d’une protection militaire qui permettrait aux mollahs de se livrer à toutes sortes de provocations contre les Américains.

Le diplomate russe a également annoncé que son pays tenait à lancer dans les délais prévus la centrale nucléaire de Bouchehr. Or, cette centrale est l’alibi des mollahs pour maintenir leur programme d’enrichissement pour la production du combustible nucléaire. Sa livraison offre à Téhéran l’occasion d’étendre ses provocations au domaine nucléaire. La Russie entend émoustiller les mollahs pour exploiter cette situation afin de se poser en grand frère de Téhéran.

Conclusion | On se croirait au XIXe siècle quand les Russes cherchaient à damer le pion aux Britanniques qui régissaient dans l’ombre les affaires iraniennes. Seule différence avec cette époque révolue et honnie, les deux sont pour une fois du même avis sur la nécessité d’une entente avec les Six pour écarter le risque d’une entente irano-américaine. La tentation est forte, mais Téhéran a surtout besoin d’une entente régionale avec les Américains sur ses milices, donc malgré l’intérêt de l’offre russe qui évoque aussi des points de vue communs sur un grand nombre de questions de politique internationale et régionale, Téhéran reste mitigé, prudent et surtout silencieux. La situation reste bloquée car comme d’habitude aucun des acteurs n’a renoncé à une alliance avec ce régime.


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| Mots Clefs | Nucléaire 2 : AIEA : El Baradei |
| Mots Clefs | Nucléaire 2 : AIEA : inspections, actions et rapports |

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| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |

| Mots Clefs : Alliance IRAN-RUSSIE |
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| Mots Clefs | Enjeux : Garanties Régionales de Sécurité : le DEAL US |
| Mots Clefs | Enjeux : Sanctions (du Conseil de Sécurité) |

| Mots Clefs | Institutions : Diplomatie (selon les mollahs) |
| Mots Clefs | Nucléaire : Politique Nucléaire des mollahs |