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Iran-EU-GB : Le renard est dans le poulailler
19.02.2009

Lors d’une conférence de presse à Paris, le directeur de l’institution onusienne a répété que l’Iran se conformait à l’obligation de laisser des inspecteurs pénétrer sur ses sites nucléaires, mais que Téhéran ne coopérait pas en ce qui concerne ses activités passées. C’est une déclaration fondamentale pour la suite de la crise et du bras de fer qui oppose Téhéran à Washington. | Décodages |



Depuis plus de deux ans, le plus important sujet de conflit antre Téhéran et la communauté internationale a été l’absence de transparence dans le programme nucléaire iranien et le refus des mollahs d’autoriser les inspections. Dans sa dernière déclaration publique, Mohammed El Baradai affirme au contraire que Téhéran coopère depuis longtemps dans ce domaine, mais pas assez sur ses activités nucléaires militaires. Cette allégation est illogique car si les mollahs avaient réellement un programme militaire en cours, ce programme devrait être alimenté avec de l’uranium hautement enrichi dans ces sites nucléaires qu’El Baradai affirme avoir inspecté.

La présente déclaration est dépourvue de logique, mais pas de stratégie : el Baradai focalise sur les reproches qu’il formule contre Téhéran sur la base d’informations transmises en février 2008 par les services secrets Britanniques à l’AIEA sur certaines études nucléaires militaires qui auraient eu lieu en Iran après 2003. Cette communication de pièces incriminantes a succédé à la publication d’un rapport de la CIA qui affirmait que Téhéran avait gelé ses études nucléaires militaires en 2003. Londres a vu dans ce rapport un arrangement pour préparer l’opinion à l’opportunité d’une entente américaine avec les mollahs. Cette entente ferait des EU une puissance pétrolière inégalable capable de ravir de nombreux marchés aux compagnies britanniques, compagnies qui sont actuellement devant leurs consoeurs américaines.

Depuis la publication de ce rapport de la CIA en novembre 2007 et la reconduction régulière de ses conclusions, on assiste à une reconduction inexplicable par El Baradai des reproches hostiles aux conclusions de ce rapport, reproches uniquement basés sur ces documents d’origine britannique. La crise qui fût longtemps un bras de fer entre Téhéran et Washington avec comme arbitre l’AIEA s’est transformée en un bras de fer entre les conclusions américaines et les contre-expertises britanniques, adoptées par l’arbitre onusien de la crise, arbitre dont ne peut se priver Washington.

En effet, Washington a besoin de la caution de l’AIEA pour légitimer ses propres sanctions contre l’Iran. Il faut sans cesse se remémorer que cette crise est avant tout un bras de fer décidé par Washington pour imposer des sanctions (justifiées) contre les mollahs afin de les forcer à intégrer le camp des EU et leur permettre ainsi de devenir une puissance pétrolière inégalable. Dès le début, les Britanniques se sont opposés via l’AIEA à ce projet stratégique et pétrolier. Quand les Américains multipliaient les reproches pour alourdir les sanctions, l’AIEA calmait le jeu en refusant de croire à l’existence de preuves contre les mollahs, mais à présent que les Américains affirment que Téhéran a arrêté ses activités suspectes en 2003, l’AIEA évoque justement des activités très suspectes à cette même date sur la base de prétendus documents prouvant des études iraniennes sur des ogives.

Petit retour en arrière : Quand les Américains multipliaient les reproches pour alourdir les sanctions ; pour retarder les sanctions (afin d’alléger la pression sur l’Iran pour éviter que les mollahs ne plient) l’AIEA évoquait ses doutes sur l’existence d’un volet militaire. Les rapports d’El Baradai étaient alors délibérément flous et à double sens. Au même moment, Téhéran était ravi et exploitait pleinement cette ambiguïté pour amplifier la crise afin de faire craindre l’éclatement d’un conflit régional majeur dans le but d’obtenir une capitulation des Américains. L’ambiguïté des rapports de l’AIEA ne dérangeait pas beaucoup les mollahs à cette époque. Aujourd’hui, El Baradai utilise cette même ambiguïté pour évoquer ces études militaires de l’année 2003 qui indisposent Washington, mais aussi Téhéran : les mollahs protestent car cette nouvelle approche les prive de la maîtrise de la gestion de la crise. C’est désormais l’AIEA (téléguidée par Londres) qui a pris en main le contrôle de la crise.

Hier à Paris, El Baradai a franchi un pas de plus dans cette direction du contrôle exercé sur la crise. Il a affirmé que l’Iran se conformait à l’obligation d’autoriser l’inspection de ses sites nucléaires, et que ses inspecteurs avaient constaté que les activités de l’enrichissement de l’Iran enregistraient peu voir pas de progrès. C’est une déclaration très importante : elle prive Téhéran de son atout d’opacité anxiogène et les Américains de motifs pour sanctionner (ou attaquer) l’Iran afin de le faire plier. 1ère cerise sur le porridge, il a à nouveau tancé le régime sur ses prétendues activités nucléaires militaires de 2003 qui donne à l’AIEA le monopole de menace de nouvelles sanctions contre l’Iran.

2nde cerise sur le porridge, en évoquant le gel d’installation de nouvelles centrifugeuses, le nouvel arbitre du jeu a précisé que selon son analyse, il s’agirait « d’une décision politique ». C’est un second monopole de pression sur Téhéran : celui de pouvoir blanchir ou diaboliser ce régime.

Cette opération d’intimidation tombe étrangement après une tentative d’intimidation similaire initiée par les services secrets américains qui avaient évoqué une possible réactivation du volet militaire du programme nucléaire iranien, réactivation liée à une décision politique d’accélérer les activités d’enrichissement. En s’engageant sur le même schéma, et en adoptant les mêmes arguments, l’AIEA entend encore une fois contrer la mainmise américaine sur cette crise. Cette institution onusienne entend empêcher l’instrumentalisation de la crise par les Américains, mais elle le fait dans le sens des attentes des Britanniques.

La crise est aujourd’hui devenue un bras de fer entre Washington et Londres, concurrents en Iran depuis 1951. La particularité de ce bras de fer semble être le mimétisme. Outre cette déclaration d’El Baradai qui se calque sur la récente déclaration de Dennis Blair, le nouveau directeur national du Renseignement américain, nous avons rencontré ce mimétisme dans le documentaire de la BBC diffusé hier sur France 3. Force est de constater que les Britanniques ont bien mené leur barque : ils ont pris la direction des intimidations et roulé leurs chers amis Américains en leur donnant un coup de main via la BBC pour demander pardon aux mollahs et accepter un compromis.

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PS | Dans la foulée, le quotidien britannique Daily Telegraph, que l’on dit très proche du centre britannique de réflexion IISS, a publié un énigmatique article (avec des intervenant anonymes) sur des « opérations israéliennes de sabotage visant à ralentir les activités nucléaires iraniennes. A mi chemin entre info et intox, l’article évoque une décapitation du potentiel nucléaire iranien ». C’est le genre de rumeurs qu’Israël avide de succès militaire ne peut démentir au même titre que Téhéran ne peut démentir ces mêmes rumeurs par son besoin de s’ériger en victime du sionisme. Reuters regonfle l’affaire en y consacrant une dépêche dénonçant une possible manipulation… Londres est omniprésent pour influencer l’opinion, via la presse ou le très médiatique patron de l’AIEA. Ce n’est pas pour rien que les Iraniens, qui ont longtemps souffert de cette maîtrise parfaite des intrigues par la Grande-Bretagne, ont surnommé cette dernière : le vieux renard rusé. Ce vieux renard a d’ailleurs déjà vaincu les Américains en 1979 et battu à plate couture les plans brillants mais très théoriques de Brzezinski de prendre le pouvoir en Iran avec l’aide des mollahs, alliés historiques de la Grande-Bretagne. Le vieux renard rusé s’apprête à refaire le coup.

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Seul problème, cette fois les mollahs ne veulent plus des Britanniques comme protecteurs, mais provisoirement des Russes pour arriver à faire capituler définitivement les Américains (qui leur imposent des sanctions depuis 30 ans). Il serait vraiment temps pour les Américains, mais aussi les Britanniques de renoncer au régime des mollahs, hybride né d’une expérience ratée américano-britannique et qui tel le monstre de Frankenstein, ne peut satisfaire ni ses créateurs, ni leurs adversaires.


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