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Iran : Petites frictions à prévoir entre Washington et Ankara
29.03.2010

Depuis plusieurs mois, Washington utilise ses alliés qui siègent actuellement au Conseil de sécurité pour empêcher l’escalade des sanctions contre Téhéran afin de ne pas renverser les mollahs dont il a besoin comme alliés agitateurs régionaux. La Turquie et le Brésil sont les deux principaux acteurs de cette diplomatie par procuration. Dans le cadre de cette diplomatie exigeante, ce week-end, le 1er ministre Turc Erdogan s’est encore opposé à toute nouvelle sanction. Pour expliquer ce geste, il a évoqué une absence de preuve qui accuserait Téhéran. Il a outrepassé les limites de son rôle, la punition est tombée sous la forme d’une interview où son supérieur hiérarchique, le président Gül, affirme que « le programme nucléaire iranien a toujours été de nature militaire ».



Il y a un an, Washington parlait d’un embargo sur l’essence en réponse au refus des mollahs de prendre en considération l’offre d’entente régionale qu’il leur proposait. Mais très vite, Washington s’est aperçu que les mollahs étaient économiquement très affaiblis et qu’il devait éviter de trop les malmener car cela risquerait de renverser ces agitateurs islamiques dont il a besoin pour contrôler les musulmans d’Asie Centrale afin de les soulever contre la Chine. Sa première réaction a été d’étoffer son offre d’entente avec la promesse d’ouverture à Téhéran de succursales de 5 des plus grandes banques américaines. Les mollahs ont encore refusé car toute entente passe par une normalisation des relations ce qui se soldera par le retour en Iran des d’islamistes proches de Washington qui pourront à l’occasion d’une élection prendre le pouvoir de l’intérieur. Washington a alors repris ses pressions économiques avant de leur proposer à nouveau son deal. En octobre, Washington a cru avoir réussi quand Téhéran a accepté de reprendre les négociations à Genève, mais il s’agissait d’une reculade tactique pour désactiver la guerre d’usure de Washington. Conscient de la faiblesse des mollahs, Washington a alors envoyé vers ce pays une mission diplomatico-économique turque menée par Erdogan proposant le dialogue avec Washington contre des promesses de plusieurs milliards de dollars d’investissement notamment dans le secteur gazier. Mais la réponse fut la même. N’ayant pas obtenu gain de cause, Washington devait reprendre sa guerre économique d’usure, mais il est devenu nécessaire de trouver une ruse pour éviter des sanctions plus fortes que ses électeurs lui demandaient. Pour éviter ces sanctions plébiscitées mais incompatibles avec ses intérêts en Asie Centrale, Washington a oublié ses promesses de sanctions unilatérales fatales comme l’embargo et il est devenu un grand adepte des sanctions onusiennes à la seule condition de l’unanimité des voix. C’est alors que l’on a entendu ses alliés qui siègent au Conseil de sécurité, comme le Brésil et la Turquie, lever la voix pour jouer le rôle de celui qui ne veut pas, aux côtés des Russes et des Chinois. Grâce à ces soutiens téléguidés des Turcs et des Brésiliens et aussi à l’opposition stratégique sino-russe, Washington a bloqué l’escalade des sanctions, se donnant la liberté de menacer à tout vent les mollahs (à l’usage de ses électeurs américains) sans jamais concrétiser les menaces et s’écarter de la précieuse politique de guerre économique d’usure. Ainsi après l’Orient compliqué, nous nous sommes trouvés avec l’Amérique compliquée.

Dans le cadre de cette politique de menaces sans conséquence, lundi dernier, Hillary Clinton a promis des « sanctions douloureuses sans une escalade des sanctions ». Téhéran n’a pas compris, cela était illogique. Washington a illustré sa pensée en demandant à la Turquie de retirer ses promesses d’investissement, ce qui a été douloureux, sans être une sanction supplémentaire. Il a ainsi pris un ascendant formidable sur les mollahs, démontrant qu’il pouvait parvenir à les soumettre par le simple jeu des promesses et des pressions via les acteurs de sa politique par procuration sans se mouiller et donc sans que les autres Etats comme la Chine ou la Russie n’aient leur mot à dire.

Cette nouvelle approche de la sa politique par procuration a fait tilt dans la tête des Russes et des Chinois qui seront les victimes d’un alignement des mollahs sur Washington. Poutine s’est envolé pour Pékin pour évoquer la « création d’un monde multipolaire avec les Chinois ». A son retour de Pékin, il a tenté de briser la tactique américaine de contournement d’une escalade des vraies sanctions en affirmant que la Russie était prête à adopter ses propres sanctions ciblées contre les mollahs. La Chine a observé le silence. Les deux pays étant des partenaires commerciaux de Téhéran, ils ont surpassé la capacité de pression des agents de procuration de WAshington, étant par ailleurs des membres permanents du Conseil de Sécurité, ils lui ont ôté son alibi de manquer de soutien pour faire adopter ses sanctions lourdes contre Téhéran.

L’Amérique compliquée n’avait plus d’alibi pour éviter l’escalade fatale contre ses futurs alliés utiles. Pour s’en sortir, c’est-à-dire restaurer son rôle de maître des pressions, elle a fait marche arrière en rappelant la nécessité d’une résolution à l’unanimité des voix afin de neutraliser le poids de la Chine et la Russie. Dans le cadre de ce repli, la Turquie qui venait d’être promue l’alter ego de Washington pour l’application des sanctions douloureuses est redevenue le porte-parole de l’opposition à toutes sanctions. On a alors entendu le 1er ministre Erdogan enchaîner des interviews à la BBC ou au Speigel pour parler de son opposition aux sanctions au motif que « les accusations contre le programme nucléaire iranien étaient des racontars dénués de toute vraisemblance ». Par son opposition, il a bétonné la manoeuvre américaine pour neutraliser les Sino-russes, mais au passage avec ses « racontars », Erdogan a indéniablement pris ses distances avec le nouveau rôle confié par les Américains pour jouer leur alter ego chargé des sanctions douloureuses.

A peine quelques heures après ces coupables mots, une journaliste américaine du nom de Caludia Rossett qui travaille dans un organisme pro-démocratique dirigé par un ancien patron de la CIA et sous-fifres de Brzezinski a publié un article [1] où elle prétend que lors d’une rencontre privée, entre deux gorgées de thé, le Président Turc Gül lui a confié que « l’Iran avait toujours cherché la bombe nucléaire, même depuis le Chah ! Il ne faudrait cependant ni le sanctionner, ni l’attaquer. »

Selon Rossett, « Gül lui aurait néanmoins demandé que ses propos ne soient pas publiés ». Mais cette super journaliste à l’éthique chatouilleuse « a décidé de les publier », mais aussi d’informer dans l’heure la presse turque de l’existence de ces confidences recueillies à une date imprécise, mais si conformes au rôle de l’alter ego imaginé par Washington pour la Turquie.

C’est un rappel à l’ordre douloureux qui démontre le pouvoir des médias américains. Politiquement déstabilisés par cette affaire, les deux hommes nient l’existence de ses soi-disant confidences, mais ont sans doute saisi que l’on ne pouvait pas se moquer impunément de Washington. Ils choisiront sans doute de s’aligner par peur d’une nouvelle sanction de ce genre. Il n’en demeure pas moins que la politique par procuration de Washington s’avère bien moins évidente à mettre en place que pouvaient l’imaginer ses auteurs.


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Pour en savoir + sur la diplomatie de l’ombre :
- Iran : Un sandwich turc à Téhéran
- (28 OCTOBRE 2009)

| Mots Clefs | Pays : Turquie |

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |

[1L’article de Claudia Rossett dans Forbes

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Turkey Tilts Toward Iran