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Iran : Vers un changement nuancé de la politique nucléaire
02.12.2009

Téhéran espérait entraîner les Etats-Unis dans une crise aiguë avec l’annonce provocatrice de la construction de 10 centres supplémentaires d’enrichissement nucléaire pour faire reculer les Etats-Unis par peur d’un conflit. Sous Bush, on aurait peut-être assisté à une escalade, mais présentement, il ne s’est rien passé. Obama n’a fait aucune déclaration forte : il a évoqué une possibilité de renforcement des sanctions avant d’appeler à la poursuite du dialogue en parallèle avec les sanctions déjà en place. Cette réaction a jeté un froid sur les ardeurs provocatrices de nos mollahs qui peinent à trouver la bonne réplique. Auraient-ils été déçus au point de renoncer à leur politique de provocations délibérées ? Pour le savoir, il faut passer en revue l’historique des relations chaotiques entre Téhéran et Washington.



Une diplomatie de l’ombre | Au cœur de la crise nucléaire iranienne, il y a une confrontation de 30 ans entre Téhéran et Washington. Cette confrontation remonte à l’année 1980. En 1979, les Etats-Unis ont aidé des islamistes iraniens pour renverser le Chah, à qui ils reprochaient la création de l’OPEP, ses réformes laïques, ses ambitions pour la région, ou encore ses relations avec les Non alignés, afin d’établir en Iran (au sud de la Russie) une république musulmane fédéraliste instable, comme ce qui se passe en Irak. Le projet dépassait le cadre de l’Iran car un peu plus tôt, les Américains avaient aidé à renverser le laïque Bhutto au Pakistan et avaient aussi commencé à financer les Moudjahiddines Afghans. Ils avaient un projet global pour agiter l’Asie Centrale musulmane alors sous domination soviétique et aussi le pays Ouïgours, la région musulmane de la Chine pour séparer ces régions richement pétrolières et en prendre le contrôle, ce qui leur aurait permis de se hisser au rang de la première puissance pétrolière du monde (place actuellement occupée par la Grande-Bretagne via ses compagnies pétrolières).

Le conflit actuel avec les mollahs résulte du fait que ces derniers n’étaient pas les choix de Washington pour incarner cet islamisme révolutionnaire instrumentalisé qui devait leur permettre de réaliser leurs objectifs stratégiques. Washington espérait placer au pouvoir les membres d’un parti politique islamo-fédéraliste (Nahzat-é Azadi) qu’il finançait en Iran depuis 1962, l’année qui a suivi le projet de la fraction de l’OPEP par le Chah.

Or, les candidats américains à la reprise de l’Iran n’avaient pas de base populaire.Les Américains ont donc axé leur entreprise sur un religieux nommé Khomeiny qu’ils ont entouré de leurs pions islamo-fédéralistes (Bazargan, Sazgara, Yazdi…). C’est Khomeiny qui a fait bouger les foules d’Iraniens avec des promesses qui feraient rire n’importe qui aujourd’hui, mais au final le gouvernement provisoire fut composé uniquement des islamo-fédéralistes proches des Etats-Unis. La victoire américaine fut de courte durée car le 4 novembre 1980, les étudiants islamistes au service de Khomeiny ont pris d’assaut l’ambassade américaine pour mettre à jour des dossiers révélant les financements occultes contre le Chah. Le gouvernement provisoire a donné sa démission et le pouvoir est revenu aux mollahs (alliés historiques de la Grande-Bretagne). En réponse à l’agression contre leur ambassade et la prise en otages du personnel diplomatique, Washington devait rompre les relations avec Téhéran et adopter des sanctions, mais il a alors commencé une diplomatie de l’ombre pour parvenir à une entente afin de mener à bien le véritable objectif de l’opération : la prise de contrôle des masses musulmanes de l’Asie Centrale.

Le lien avec le nucléaire | Dans le cadre de cette diplomatie de l’ombre, Washington a sans cesse alterné les pressions économiques avec des offres de dialogue et d’entente. Quand en 2003, les Américains ont évoqué l’existence d’un programme nucléaire menaçant en Iran, sans hésiter, les mollahs ont diagnostiqué le début d’une nouvelle campagne de pressions combinée à des offres d’entente selon les desiderata de Washington (le désarmement du Hezbollah…).

L’accusation était gravissime : elle pouvait être la source de sanctions très lourdes impossibles à supporter pour la fragile économie iranienne très dépendante de l’investissement étranger. C’est pourquoi dès le début de la crise nucléaire, les mollahs ont fait le choix fou d’une stratégie d’amplification de la crise pour entraîner les Américains dans une escalade, entraîner le monde au bord d’une guerre, afin que par la peur d’une rupture de l’approvisionnement pétrolier de l’Europe et du Japon, ces deux-là incitent Washington à changer sa politique vis-à-vis de l’Iran.

Ce choix était audacieux, mais il a été doublement improductif. Car d’une part, les Américains ont apaisé les débats via Javier Solana, un ex-administrateur général de l’OTAN qui était aux commandes de la diplomatie européenne (ce dernier l’a d’ailleurs reconnu [1]), et de l’autre côté, ils ont utilisé les propos anxiogènes des mollahs pour obtenir le transfert du dossier nucléaire iranien vers le Conseil de Sécurité ce qui a validé l’hypothèse de la menace nucléaire iranienne, cautionnant de facto l’adoption des sanctions contre Téhéran.

A ce moment, on a assisté à une forte opposition des Chinois et des Russes contre les sanctions. Mais ils n’étaient pas les seuls, la Grande-Bretagne dont la suprématie sur le marché pétrolier peut faire les frais de l’appétit américain du pouvoir se disait également hostile aux sanctions.

Mais grâce à l’intelligence de sa politique d’apaisement via Solana et le transfert du dossier au Conseil de Sécurité, les Américains ont pris en main la gestion de la crise pour adopter toutes les sanctions qu’ils jugeaient utiles à leur objectif : affaiblir les mollahs sans les renverser pour les soumettre afin d’en faire des alliés stratégiques dociles contre la Chine et la Russie. Une fois ces sanctions en place, Washington a publié sous Bush un rapport sur l’état des progrès iraniens en matière de nucléaire, évoquant une bombe seulement à l’horizon 2015 pour geler le niveau des pressions (afin d’éviter une escalade vers des sanctions fatales) et donner du délai à leurs sanctions.

Les Britanniques ont été les premiers à comprendre, contraints au silence en raison de leur alliance avec Washington, ils ont commencé à organiser indirectement la résistance en diffusant, via un El Baradai très complice, des preuves d’une capacité nucléaire militaire des mollahs afin de rendre tout dialogue avec Téhéran politiquement incorrect. Mais cette contre-offensive était bizarre car dans le même temps, leur homme El Baradai refusait un renforcement des sanctions contre Téhéran car cela aurait bénéficié aux Américains. Quoi qu’il en soit ce dernier îlot de résistance contradictoire a été supprimé avec l’élection à la direction de l’AIEA du Japonais pro-américain Amano [2]. Ce dernier a pris ses fonctions hier, mais son influence se faisait sentir depuis sa victoire en juillet dernier : il pourrait être le vrai auteur du dernier rapport d’El Baradai car le document est très différent des précédentes dissertations de ce dernier et pleinement dans une optique d’esquive américaine des prétentions atomiques des mollahs.

conclusions | Désormais, Washington dispose de toutes les manettes de pression sur Téhéran aussi bien pour faire mal que pour apaiser. Dans cette palette, les rapports de l’AIEA sont l’arme parfaite pour intimider les mollahs. Dans ces conditions la politique d’amplification de la crise avec des annonces nucléaires devient encore plus contreproductive. Téhéran peut se voir administrer une raclée ou être traité avec mépris comme dans le cas présent. Pour autant, il ne peut pas accepter de se soumettre aux Américains car ces derniers exigeront rapidement la tenue d’élections ouvertes à toute personne favorable à une république islamique afin de faire revenir aux commandes les résidus de leurs pions islamo-fédéralistes de 1979.

Les mollahs se retrouvent donc devant un non-choix : ils doivent continuer à refuser les offres de Washington tout en évitant autant que possible la politique très contreproductive et fatigante de l’amplification de la crise par des propos atomiques anxiogènes. Ce ne sera pas facile. Il ne reste qu’une autre option pour le régime : accepter le dialogue avant de tout remettre en cause au prétexte qu’Ahmadinejad est un interlocuteur légitime. Il va donc se lancer corps et âme dans la promotion du Mouvement Vert conçu pour cette remise en cause.

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Bonus | Mais Washington a déjà mis en marche un scénario pour l’en empêcher avec une campagne de révélations de faits déplaisants sur le passé du leader du Mouvement : le milicien Moussavi. Cela coûtera sa place de porte-drapeau à Moussavi, le Mouvement Vert n’aura plus de chef, ce qui ouvre des possibilités pour les opposants hostiles au régime dans sa totalité. Bonjour la panade.


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| Mots Clefs | Institutions : Diplomatie (selon les mollahs) |
| Mots Clefs | Institutions : Provocations |
| Mots Clefs | Nucléaire : Crise & Escalade |
| Mots Clefs | Nucléaire : Politique Nucléaire des mollahs |

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |

[1Hier, au moment où il quittait ses fonctions, Solana a malicieusement précisé qu’il avait « toujours été présent pour parler à Téhéran quand les Américains avaient été indisponibles ! »

[2Ce 1er novembre, le pro-britannique El Baradai est parti et il a été remplacé par le pro-américian Amano, mais l’équilibre entre les deux camps a été préservé avec le remplacement du pro-américain Solana par la Britannique Catherine Ashton.