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Iran : Une configuration figée inédite
17.11.2009

Il y a un an encore, quand Moscou voulait empêcher les négociations secrètes entre Téhéran et Washington, il annonçait des retards dans la livraison de la centrale nucléaire de Bouchehr. Cela faisait toujours reculer Téhéran. Allié de Washington depuis le deal sur l’ABM, hier, Moscou a ressorti cette menace, mais cette fois pour encourager le dialogue irano-américain. Pour la première fois Téhéran n’a pas reculé. | Décodages d’un ratage |



la situation pour les mollahs | La centrale nucléaire de Bouchehr est l’alibi du programme iranien d’enrichissement d’uranium. Les mollahs affirment qu’ils souhaitent produire du combustible nucléaire pour son réacteur et les futures centrales nucléaires iraniennes. Il s’agit d’un prétexte car seul le fabricant qui a mis au point le réacteur est en mesure de connaître la formule du combustible adéquat. La prétention des mollahs est d’autant plus ridicule qu’ils n’arrivent même pas à faire démarrer sans l’aide des Russes le réacteur déjà mis au point par ces derniers. Devant un tel niveau d’incompétence en matière de nucléaire, on les imagine mal maîtriser le savoir faire nucléaire militaire.

Au-delà de ce prétexte, il s’agit pour les mollahs non pas de produire une bombe (qui sera bien insuffisante face à la puissance nucléaire américaine), mais d’aller à l’encontre des volontés de Washington avec la certitude qu’il reculera pour éviter une nouvelle guerre, forcément impopulaire et à risque par rapport à l’approvisionnement pétrolier. C’est un bluff : technique de jeu qui consiste à jouer comme si l’on avait un jeu différent de celui détenu en réalité. Comme tout bluff, l’objet n’est pas d’abattre ses propres cartes, mais de pousser l’adversaire à se coucher.

Dans le cas des mollahs, le jeu n’est pas le poker, mais la capacité de confrontation régionale aux Etats-Unis, jeu à l’issue duquel on peut être reconnu comme une puissance régionale. L’enjeu étant militaire, le bluff l’est aussi, mais le régime des mollahs n’ayant pas une armée forte, il a axé son bluff sur une prétendue capacité de destruction invisible. Pour arriver à ses fins dans ce jeu, il lui fallait avoir un programme nucléaire et un jeu qui intrigue. Il ne pouvait rêver mieux que la Centrale de Bouchehr et la prétention de vouloir produire du combustible pour elle alors que chacun sait que cela est scientifiquement impossible.

la situation pour les Russes | Proche de Téhéran, Moscou a vite deviné que s’il livrait la centrale aux mollahs, ces derniers pourraient bluffer à haut niveau et obtenir rapidement un arrangement avec les Etats-Unis où ils obtiendraient la levée des sanctions qui pèsent sur leur régime. Débarrassé des sanctions, l’Iran des mollahs aurait alors pu supplanter la Russie comme le principal fournisseur de gaz à l’Europe. C’est pourquoi tous les efforts russes ont toujours été tournés vers un seul objectif : empêcher une normalisation des relations entre les mollahs et les Etats-Unis. Cette normalisation étant tributaire d’un dialogue apaisé entre les deux ou d’un succès du bluff des mollahs, Moscou a combattu l’un et l’autre avec des punitions contre Téhéran à chaque tentative de dialogue sans sa présence et aussi en refusant avec des prétextes les plus invraisemblables de livrer Bouchehr, atout du succès du bluff iranien.

Son slogan était alors l’approche multilatérale, c’est-à-dire en sa présence, une présence qu’il mettait à profit pour défendre les droits des mollahs au nucléaire pour empêcher toute résolution de la crise. Il a en fait exercé en coulisse un rôle fort ambigu d’avocat apparemment sincère, de protecteur fouettard et d’arbitre, mais complice.

Téhéran a tenté de s’en sortir avec une menace physique contre les ingénieurs russes, mais en raison de sa propre politique anti-apaisement qui lui valait des sanctions, il n’a jamais pu maintenir ce genre de position et devait vite revenir dans les jupes de cette protectrice méchante pour échapper aux sanctions.

nouvelle donne | Jusqu’en août dernier, Moscou a ainsi pu s’imposer aux mollahs pour calmer leur envie de négociations secrètes avec les Américains. Puis en septembre, il a évoqué une surprenante livraison rapide de la Centrale de Bouchehr. En fait, quelques jours plus tôt, il avait échangé son rôle d’arbitre louche de la crise iranienne contre un allègement de l’ABM et un droit de présence militaire en Géorgie. En ce septembre 2009, Il avait cessé d’être l’arbitre complice qui était un sérieux obstacle pour la politique américaine de sanctions combinées à des offres de compromis, et sa pression sur Bouchehr a de facto perdu sa raison d’être.

La Russie et son astucieux moyen de pression sur Téhéran ont alors été recyclés en outils interchangeables et de second ordre dans la politique américaine de sanctions (limitées) combinées à des offres de dialogue. Ainsi quand Washington veut intimider Téhéran, il demande à Moscou d’exprimer son soutien à des nouvelles sanctions onusiennes et quand il veut lâcher la bride, Moscou dit le contraire.

Il est arrivé la même mésaventure à la politique de pression via Bouchehr. Quand les petits malins de Washington étaient en train de négocier l’acceptation par Téhéran de l’offre américaine d’un échange de son stock d’uranium contre du combustible franco-russe, Bouchehr est devenu un cadeau de bienvenue. Sorti de son rôle, la livraison de Bouchehr n’a pas aidé à la conclusion de l’accord.

Hier, au moment où l’AIEA, désormais sous influence américaine, a mis l’accent sur l’absence de finalité du programme iranien d’enrichissement, Moscou a arrêté les travaux de Bouchehr pour donner plus de relief aux conclusions de l’AIEA. Un astucieux moyen pour priver Téhéran de son atout maître est devenu un argument pour renforcer un rapport flou à souhait pour laisser toute la place à un possible retour des mollahs à la table des négociations. En réponse, Téhéran est resté sur ses positions. On n’a pas gagné en efficacité.

En résumé, on est passé d’une configuration figée à cause d’intérêts occultes (américains et russes) et de mécanismes issus de la guerre froide, à une configuration sans ces mécanismes et sans les intérêts russes, mais tout aussi figée. C’est une preuve supplémentaire que la situation est figée en raison de l’inefficacité de la méthode américaine et surtout à cause de l’incompatibilité des intérêts américains avec la réalité.


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