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Iran-EU-GB : Un petit arrangement précaire entre ennemis
19.11.2010

Le mercredi 10 novembre, les Britanniques, alliés historiques des mollahs, ont annoncé la défection du lieutenant Behzâd Massoumi Loghman, un ex-pilote de l’armée de l’air iranienne, hostile à Ahmadinejad, mais pas au régime. Il y était dit que ce transfuge vivait désormais sous la protection de l’Etat français et qu’il adhérait au Mouvement Vert de Libération qui est une nouvelle fausse opposition inconnue et visiblement partisane du maintien du système islamique et englobant pro-britanniques, des pro-américains et des agents des mollahs. Une semaine plus tard, le mercredi 16 novembre, tous les médias américains et israéliens ont fait état de la tenue d’une conférence de presse à Paris avec ce même personnage en présence de Jahanchahi, le pseudo-chef du Mouvement Vert de Libération (!) et d’autres faux opposants liés aux mollahs. Dans le même temps, Washington a commencé à dénigrer l’efficacité de l’option militaire et les sanctions… On pourrait penser que l’on est un peu avant un grand arrangement. Cela y ressemble, mais on en est vraiment très loin. | Décodages |



La république islamique d’Iran a été établie en 1979 par les mollahs et une formation islamiste apparemment anti-américaine Nehzat Azadi et sa branche armée, l’OMPI, encore plus anti-américaine, toutes les deux financées par Washington depuis 1963 en réaction à la création de l’OPEP par le Chah. Les Etats-Unis ont d’ailleurs été le premier Etat au monde à reconnaître cette république islamique et son gouvernement provisoire composé à 100% des membres de ces deux formations apparemment hostiles à l’impérialisme américain !

Simplement parce que Washington voulait utiliser une force apparemment hostile à lui pour soulever les musulmans de l’Asie Centrale contre les Russes et les Chinois. Il pouvait alors bénéficier des bouleversements géopolitiques sans être associé à leurs auteurs. Au passage, Washington éliminait le Chah qui avait annoncé qu’en 1979 son pays ne reconduirait plus le contrat d’exclusivité qui le liait au Consortium des grandes compagnies américaines et britanniques et qui par ailleurs ambitionnait de transformer son pays riche en ressources naturelles en une véritable puissance économique. L’un des projets phares de ce programme était l’acquisition d’une vingtaine de centrales atomiques qui allaient faire de ce pays le 3ème exportateur mondial d’électricité. Une des premières décision du gouvernement provisoire (lié à Washington) a été d’abandonner ce programme qui déplaisait à Washington.

On attribue la paternité de ce projet à Brzezinski, le gourou de la diplomatie américaine depuis 35 ans, mais il a avoué que le projet lui avait été suggéré en 1974 par l’islamologue britannique Bernard Lewis à l’époque où il était un des hauts responsables du Foreign office [1]. Cela veut dire que Washington a bouleversé le destin politique de l’Iran sur les conseils d’un Etat qui a toujours été son adversaire dans le domaine pétrolier dans ce pays.

Vingt ans plus tôt, les Américains avaient soutenu la nationalisation du pétrole iranien qui était alors géré par l’immense Anglo-Iranian Petroleum, propriété de la Grande-Bretagne. L’Iran était alors devenu le propriétaire de son pétrole, mais il restait lié à la Grande-Bretagne par un contrat d’exploitation qui devait être renégocié car le pays n’avait pas les moyens techniques pour extraire son pétrole. Washington avait alors soutenu le 1er ministre Mossadegh (qui n’était pas l’auteur du projet de nationalisation, mais son exécutant) à refuser toute renégociation. Cela avait provoqué une crise où Washington était (gentiment) intervenu en proposant que l’Iran confie cette tâche pour 25 ans à un consortium réunissant 5 compagnies américaines, BP, Shell et la compagnie française de pétrole (c’est ce contrat que le chah refusait de reconduire en 1979 et lui a valu une révolution islamique en 1978). Pour revenir au sujet, au final avec la crise provoquée par Mossadegh, Washington a obtenu 40% des avoirs iraniens des Britanniques. Il devait donc se méfier du projet de Lewis, mais il a accepté car on n’y évoquait pas seulement l’Iran, mais un partage de l’Asie Centrale. Il devait également estimer qu’il pouvait pigeonner les Britanniques en n’accordant aucun poste à leurs alliés historiques, les mollahs (menés par Khomeiny) après la victoire de leur révolution historique commune d’autant plus que les conseillers de Khomeiny étaient tous ses propres pions. C’est ce qui arriva. Les pions de Washington prirent le pouvoir et commencèrent à exécuter les projets de Washington comme le démantèlement du programme nucléaire civil, mais aussi les autres contrats de modernisation signés avec les fournisseurs non américains : les Européens, les Russes ou les Japonais.

Mais huit mois après cette victoire, les alliés historiques de la Grande-Bretagne, les mollahs, donnèrent l’ordre à leurs partisans de prendre d’assaut l’ambassade américaine pour extraire les dossiers dévoilant les liens entre les membres du gouvernement provisoire et les Etats-Unis. Les pions de Washington durent démissionner ! Ceux de Londres prirent le contrôle de la république islamique officiellement anti-américaine. La Grande-Bretagne recouvrait le pouvoir en Iran ! Il faut donc constater qu’elle avait endormi la vigilance des Américains en les laissant surprendre leur allié le chah pour l’abattre avant d’intervenir pour discréditer sans peine les pions de Washington pour les contraindre à se retirer !

Cela permit à tous les fournisseurs exclus par ce gouvernement de revenir pour accéder aux rangs de partenaires privilégiés du pays car avec les mollahs, les Nehzati et les Moudjahiddines du peuple qui ont éliminé l’élite du pays (sur des listes précises fournies par Washington et Londres), l’Iran est retourné à la préhistoire technologique. Leur sens des affaires a détruit l’émancipation industrielle du pays offrant aux Occidentaux, mais aussi aux Russes et aux Chinois l’opportunité de vendre à ce pays le surplus de vieux modèles de produits et équipements (des automobiles dans le cas des Français, des armes ou de vieux équipements nucléaires dans le cas des Russes).

Après ce bouleversement, Washington a commencé à sanctionner les mollahs pour les affaiblir afin de les forcer à restituer le pouvoir, ce qui l’a amené à sanctionner ses propres alliés devenus des partenaires privilégiés des mollahs. Mis à part quelques détails dans le fonctionnement des sanctions, depuis le début, il n’y a jamais eu un camp uni des Occidentaux en ce qui concerne les mollahs. La seule unité a été dans le projet d’éliminer le Chah qui avait des ambitions pour ce pays.

Aujourd’hui encore, il n’y a pas un camp occidental, mais un front divisé d’Etats qui veulent tous préserver le même régime et l’avoir dans leur camp. Ces Etats s’observent mutuellement et réagissent en fonction les uns des autres pour ne pas se laisser distancer. Ce que nous avons là avec le cas de Behzâd Massoumi Loghman, ex-pilote de l’armée de l’air iranienne qui a rejoint le Mouvement Vert de Libération, c’est un exemple de ce regroupement forcé pour se surveiller plus qu’une preuve d’arrangement.

Massoumi, le petit poisson pilote | On peut dire que Londres a lancé Behzâd Massoumi Loghman pour aider Téhéran à promouvoir ses affaires, et que Washington a accouru pour le prendre dans ses bras afin que la situation ne lui échappe pas ! Cela résulte du fait que tout est réuni pour que la situation lui échappe.

Cela a commencé par la mise en place des sanctions financières qui ont fini par achever une économie iranienne basée uniquement sur la vente de contrats pétroliers et l’apport des investissements étrangers. Le régime s’est retrouvé avec les caisses vides. Pour faire des économies, il a arrêté les aides alimentaires en nature : il a perdu ceux qui venaient manifester en échange de ces paquets. De plus en plus pauvre, il a gelé les salaires et a augmenté les prix pour habituer les Iraniens à consommer très peu : Il a alors perdu le soutien des jeunes qui s’étaient engagés dans la milice pour le salaire. Par mesure de sécurité, il a également pensé mettre en scène une fausse révolution de couleur, le Mouvement Vert, mené par le très islamiste Moussavi et axé sur la défense des valeurs de Khomeiny. Téhéran cherchait à donner une nouvelle légitimité au régime pour neutraliser par avance la révolution de couleur envisagée par Washington ! Cette décision s’est avérée une grosse erreur car il a offert au peuple l’occasion de manifester : la fausse révolution de couleur a viré au soulèvement dont tout le monde se souvient. Les Britanniques qui avaient au début du processus été à la pointe de la diffusion des vidéos censées attirer le peuple dans la rue ont arrêté ce coup de main au régime.

Ce soulèvement n’a pas réussi à renverser le pouvoir car le Bazar n’a pas rejoint le mouvement malgré son désaccord avec le plan de rigueur du régime. Le soulèvement a cependant été une sonnette d’alarme car les jeunes miliciens ont refusé de participer à la répression. Le soulèvement n’étant pas du goût des américains, ils n’ont pas soutenu cette contestation et ont laissé le régime l’étouffer avec l’aide des éléments fidèles des services secrets. Quand le peuple a été chassé de la rue, le régime a tenté de relancer sa fausse révolution de couleur, de leur côté les Américains ont soutenu cette tentative pour incruster leurs pions dans le processus. On a ainsi eu droit à plusieurs mois pendant lesquels les mollahs, mais aussi les pions de Washington ont pris régulièrement la parole comme les porte-parole du renouveau du régime islamique en Iran. Mais, il manquait un élément : l’adhésion et la participation du peuple.

Après l’échec de ces deux efforts et les interventions indésirables des pions américains, Téhéran a eu l’idée de mettre en scène des demandes d’exil de ses ambassadeurs pour prendre la direction des animations et recentrer les débat sur ses agents. Mais l’opération n’a pas été un succès. Les Britanniques sont intervenus pour lancer leur propre mouvement Vert avec deux membres : la Vague Verte qui proposait l’idée d’un pouvoir partagé avec ceux au pouvoir en Iran. Moins d’une semaine après Washington a adopté l’idée pour ne pas être exclu et a réuni au sein d’une même formation un des deux pions de Londres, plusieurs des siens et quelques-uns de Téhéran. Téhéran avait participé à cette formation anonyme présidée par BHL pour sonder la partie adverse mais, il n’a pas donné de suite à l’aventure : il est resté sur son projet d’Ambassades Vertes bien que les Occidentaux n’accordaient pas de tribune à ses véritables porte-parole de sa fausse révolution de couleur.

Entre temps, le Bazar a rompu avec le pouvoir en se lançant dans une longue grève qui a paralysé le pays. Le régime avait peur que le peuple profite de l’occasion pour se soulever : il a mis en scène une nouvelle demande d’asile avec un certain Farzad Farhangian qui proposait d’être le porte-parole de l’opposition ! Depuis, quelques jours, on parle d’une troisième grande grève du Bazar : les mollahs nous ont envoyé le lieutenant Behzâd Massoumi Loghman (avec un récit peu convaincant, un discours pro-Khomeiny, mais aussi pro-Israël), mais qu’importe, il a immédiatement adhéré à l’opération Ambassades Vertes mais, aussi à la Vague Verte (anglaise).

On peut dire que Londres a servi d’intermédiaire pour casser le boycott des médias pro-américains. Mais l’info n’a pas eu de répercussions dans d’autres pays. Les Américains n’ont pas sauté sur le poisson-pilote tant que Téhéran n’avait pas donné sa réponse à leur dernière offre de dialogue. Dès que Téhéran a rejeté leur offre, ils se sont retrouvés en situation de devoir adopter des sanctions trop fortes pour satisfaire l’Américain moyen. Comme cela peut renverser le régime qu’il souhaite modifier selon leurs intérêts, ils ont alors diffusé des infos faisant état d’une certaine inefficacité des sanctions, puis ils ont remis en cause l’option militaire par 3 de leurs faucons (Amiral Mullen, Robert Gates et Robert Schultz) afin d’écarter toutes les mesures dangereuses pour le régime. Ils ont également commencé à diffuser des rumeurs affirmant que les mollahs avaient déjà la bombe nucléaire pour insinuer qu’ils n’étaient pas aussi dangereux que l’on pouvait le penser.

Pour réduire les risques d’une chute du régime (en cas d’une nouvelle grève suivi d’un nouveau soulèvement), il devait donner la parole aux porte-parole de la fausse opposition pour qu’ils changent le contenu des revendications ou des slogans de la rue ! Cependant étant risqué de laisser les mollahs totalement libres, il a apporté son soutien via le groupe où chacun surveille l’autre. On a ainsi retrouvé sur le même podium Massoumi en compagnie de Jahanchahi, le pseudo chef de la Vague Verte et Heydari, la tête de gondole de l’opération Ambassades Vertes. Lors de cette partie à trois, les participants ont pris le nom du Mouvement Vert de Libération et ils ont accordé leurs instruments pour tenir un même discours sur la méchanceté d’Ahmadinejad (thème préconisé par le Mouvement Vert de Moussavi).

C’est une véritable histoire de fous ! Washington vient de canoniser les faux exilés de l’opération Ambassades Vertes et leur agent moitié pro britannique et moitié pro mollahs : Jahanchahi ! C’est la création d’un nouveau genre de « front divisé d’Etats qui veulent tous préserver le même régime » : le genre où l’on préfère sauver le régime en renonçant au projet de le contrôler ! C’est un acte désespéré face à une situation inconnue et non un arrangement avec le régime.


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Pour en savoir + :
- Iran : Le régime doit risquer le tout pour le tout (vidéo)
- (4 septembre 2010)

en savoir plus sur le même sujet :
- Iran : Le double-piège de Lady Ashton
- (12 MAI 2010)

article complémentaire :
- Iran : La place de la France dans la crise nucléaire iranienne
- (3 JUIN 2010)

| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |
| Mots Clefs | Histoire : Révolution Islamique
(ou coup d’Etat pétrolier américano-britannique)
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| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement (américain) |

| Mots Clefs | Réformateurs & faux dissidents : Le Mouvement Vert |
| Mots Clefs | Resistance : FAUSSE(s) OPPOSITION(s) |

| Mots Clefs | Résistance : Menace contre le régime |

[1Lewis-Brzezinski |

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