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Iran : Washington a affranchi le Jundallah
08.11.2010

En 1979, les Américains ont aidé l’arrivée au pouvoir des islamistes en Iran afin de provoquer une vague islamiste en Asie Centrale pour faire exploser l’Union Soviétique et la Chine communiste. Afin de mener leurs pions au pouvoir, les Américains ont eu besoin des mollahs. Six mois après leur victoire commune, les mollahs ont expulsé les pions de Washington pour prendre le pouvoir. Depuis, Washington utilise divers moyens pour les forcer à ouvrir leur espace politique à ses islamistes. Le principe est d’alterner des pressions ou encore des cadeaux avec des offres de dialogue. Téhéran a toujours refusé d’ouvrir les portes de la forteresse. En réaction, en 2006, Washington a commencé à utiliser deux groupes armés, le Jundallah et le Péjak, pour frapper les Pasdaran après chaque refus de dialogue de la part du régime. En février 2009, Washington a classé le Péjak sur sa liste des groupes terroristes. Il y a deux jours, il a mis le Jundallah sur la même liste. Le classement terroriste de Péjak ne s’était pas soldé par des poursuites américaines contre ce groupe basé sur un territoire contrôlé par l’armée américaine. Washington s’est seulement mis à l’abri des accusations d’ingérence. De fait, le classement du Jundallah peut être un prélude à des actions plus musclées que Washington ne veut pas endosser.



C’est en mars 2006 que l’on a pour la première fois entendu parler du groupe le Jundallah quand son chef, un certain Abdol-Malek Riggi, a accordé une longue interview à KRSI, une radio iranienne des pions de Washington, pour expliquer en détail l’attaque sanglante de ses hommes contre un convoi des Pasdaran. Dans cette interview menée par l’ex-cuistot de Khomeiny qui se veut journaliste, il n’était évidemment pas question du financement du groupe ou de ses bases de repli au Pakistan, pays allié des Etats-Unis.

Il n’existe d’ailleurs aucun document précis sur le sujet, mais nous avons constaté que ce groupe frappait uniquement les Pasdaran, organe chargé de sauvegarder le régime et ses chefs, toujours immédiatement après un refus des mollahs de rencontrer avec les Américains pour négocier une entente. Nous avons également constaté que chaque opération du Jundallah était suivie par une attaque de Péjak à l’autre extrémité du pays. Dans le même temps, les commentateurs pro-américains de la radio KRSI insistaient sur le fait que ce genre d’attaques pourrait affaiblir le régime et permettre un soulèvement populaire.

Mais en juin 2009 au moment du soulèvement du peuple iranien, on n’a plus entendu parler du Jundallah ou du Péjak ! Ils avaient sans doute perdu le numéro de leurs amis de la KRSI. Washington a également tourné le dos à ce soulèvement. On a alors compris qu’il n’avait jamais eu l’intention d’aider le peuple par leurs actions armées, mais uniquement d’intimider les mollahs. Une fois que le risque d’un soulèvement a été écarté, les deux groupes mercenaires ont d’ailleurs repris leurs actions, mais d’une manière moins coordonnées en raison de la fermeté de l’armée turque contre la branche kurde du dispositif. Dès lors, tout s’est reposé sur le Jundallah. C’est donc ce groupe qui a frappé les Pasdaran en octobre 2009 quand les mollahs ont rejeté l’arrangement américain basé sur un échange de leur stock d’uranium enrichi contre du combustible franco-russe.

L’attaque a été très puissante car en refusant l’arrangement proposé, Téhéran remettait en cause le dialogue et mettait Washington en situation de devoir adopter des sanctions plus lourdes qu’il veut éviter pour ne pas renverser ce régime. Désespéré par cette situation, Washington a fait appel à certains de ses alliés comme la Turquie ou encore, le Brésil qui est son plus grand partenaire sud-américain, pour s’opposer à d’éventuelles sanctions onusiennes. Puis, il a cautionné l’intervention Turco-brésilienne pour entraîner Téhéran sur la voie de l’apaisement. Il a alors livré aux mollahs, le frère cadet du chef du Jundallah. Ce dernier n’avait pas été autorisé à attaquer le régime pour délivrer son frère. Au cours de ce processus d’apaisement indirect, Washington a également livré Abdol-Malek Riggi aux mollahs. Il était peut-être devenu incontrôlable après l’exécution de son frère. Téhéran a pendu Riggi en accusant explicitement Washington à un moment où ce dernier se montrait très conciliant pour parvenir au dialogue qui lui est indispensable pour revenir en Iran.

Après l’échec de la tentative américaine, le Jundallah a annoncé que son nouveau chef, un certain Mohammad Zaher Baloutch (que personne n’a jamais vu ou entendu), allait venger Riggi. Mais ce groupe n’a rien fait en ce sens. Il est entré en action en juillet 2010 quand les mollahs ont refusé de rencontrer les Américains en échange de la restitution du transfuge Shahram Amiri. Téhéran avait alors à nouveau accusé Washington de terrorisme pour mieux refuser le dialogue.

Dans ce contexte, en classant le groupe sur sa liste des groupes terroristes, Washington s’immunise contre toute accusation pour priver Téhéran d’un prétexte pour refuser le dialogue.

Cela reste de la théorie car Téhéran continue d’accuser Washington après les actions armées des Kurdes. Washington a trouvé la parade : le Jundallah a affirmé qu’il allait s’en prendre aux intérêts américains ! En d’autres termes, pour frapper plus durement Téhéran sans lui donner l’occasion de l’accuser pour refuser le dialogue, Washington va organiser des opérations terroristes contre ses propres citoyens !

C’est bien effrayant, mais ce n’est pas nouveau car pour renverser le Chah, les Américains ont financé des islamistes comme l’OMPI qui se disaient anti-américains et tuaient des officiers Américains en poste en Iran ! Ainsi on ne pouvait établir de lien entre les opérations de déstabilisation de ce groupe et les Etats-Unis. C’est un retour vers le passé : une escalade dans la menace.

Le classement du Jundallah sur la liste américaine des groupes terroristes et l’annonce de représailles du Jundallah parachèvent en fait une évolution commencée après l’exécution de Riggi. La première étape de ce processus a été l’annonce du remplacement de Riggi par le mystérieux Mohammad Zaher Baloutch qui peut-être un prête-nom pour des opérations under-cover américaines. Ainsi, doté d’un chef inconnu, invisible et interchangeable, capable de tous les excès, le Jundallah devient enfin une arme absolue.

premières conclusions (06.11.2010)|Cela arrive après une semaine pendant laquelle Téhéran a affiché une confiance absolue et ne s’est plus laissé intimider en se basant sur la conclusion que Washington avait trop besoin d’une « république islamique » pour aller très loin dans ses menaces. Il avait même pris l’initiative de s’inviter aux élections américaines en proposant une négociation au moment où Obama était au plus bas. En réaction, Washington avait déchaîné les médias sur le cas de Sakineh, mais il ne peut pas continuer cette entreprise à l’infini car l’évocation de la lapidation peut ternir l’image de l’islam. En résumé, puisqu’il ne peut sanctionner davantage les mollahs de peur de renverser le « régime né de sa révolution islamique » et puisqu’il ne peut pas tenir des propos hostiles à l’Islam, il s’est rabattu sur le Jundallah.

nouvelles conclusions (08.11.2010)| On ne peut cependant pas parler d’un pis-aller. Il s’agit même d’une grande solution car en classant le Jundallah sur sa liste noire, Washington a de facto engagé Téhéran dans la voie de l’apaisement. Il pourrait l’attirer dans un dialogue en lui livrant quelques baloutches de l’entourage de Riggi qui ne lui servent plus à rien ou encore ce fameux Mohammad Zaher. Et si Téhéran refusait encore de se laisser attendrir, Washington pourrait le frappaer très durement par le prochain chef invisible du Jundallah.

Dans ce compartiment aussi, il y a du nouveau puisqu’en juillet dernier le nouveau Jundallah (sans Riggi) avait pour sa première action frappé une mosquée chiite. Cette semaine, le 2 novembre, à la veille des deux dernières transformations du Jundallah, un groupe inconnu se réclamant d’Al Qaeda irakien a cité les informations de Wikileaks « sur les ingérences chiites des mollahs en Irak » avant de frapper 11 sites chiites dont une mosquée faisant au moins 64 morts et 285 blessés. Le groupe a promis d’autres actions punitives anti-chiites, ce qui n’a aucun sens car Al Qaeda irakien est lié à Al Qaeda qui est lui-même une émanation des Frères Musulmans qui sont les associés historiques des mollahs. Aucun islamiste endoctriné par Al Qaeda ne peut ignorer les liens entre Khomeiny et les Frères musulmans et parler de la méchanceté des chiites. Nous sommes probablement face à un plan pour provoquer une guerre sunnite-chiite afin de casser les liens privilégiés des mollahs avec la rue arabe. On a préparé le terrain avec les fameuses informations de Wikileaks, on poursuivra avec des attentats par le Jundallah et ce groupe irakien inconnu.

De fait, le Jundallah devrait bientôt insister d’avantage sur son identité sunnite que son identité Baloutche pour frapper des mosquées et non les Pasdaran afin d’inciter les mollahs à s’engager dans des représailles anti-sunnites nuisibles à leur image. Ainsi Washington frapperait le régime très durement voire de plus en plus durement sans pour autant affaiblir physiquement les Pasdaran afin de ne point contribuer à la chute d’un régime qu’il veut confier à ses pions.

Téhéran a vite compris la menace. Le directeur de Wikileaks a reçu une invitation de la part d’une association pacifiste suisse qui est une couverture pour les mollahs et les Frères Musulmans. Ces derniers se rapprochent pour avoir à l’œil ce faux ennemi de Washington. Dans le même temps, Téhéran a joué l’apaisement vis-à-vis des sunnites en faisant condamner l’attentat par son poulain Moqtada Sadr qui à cette occasion n’a pas invectivé les sunnites, mais a critiqué certains extrémistes qui vont à l’encontre de la doctrine phare des frères musulmans : l’unité de l’Islam.

Face à cette première réaction très zen des mollahs, Washington devra corser sa frappe à un stade où il entendait utiliser le Jundallah non pas uniquement comme un levier de pression terroriste, mais comme un instrument polyvalent de marchandage. Mais on ne peut pas marchander et faire la guerre car dans une guerre, on ne fait pas ce que l’on veut, mais ce que l’on peut. Pour revenir à un marchandage et utiliser le Jundallah en ce sens, Washington devra oublier les manipulations hasardeuses et se concentrer sur les Pasdaran.

Washington a affranchi le Jundallah pour en faire un instrument de marchandage, mais il reste lui-même avec des lignes rouges qui rendent inefficace ce terrible instrument terroriste.


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