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Iran : Ce que cache l’embargo de Vitol
10.03.2010

Le lundi 7 mars, la compagnie Vitol, de capitaux britanniques, qui est le plus important fournisseur de carburant à l’Iran, a annoncé, via le Financial Times, sa décision de marquer « une pause dans ses livraisons » aux mollahs « en raison de sanctions américaines » (selon FT). Or, il n’existe aucune sanction en ce sens et Obama a expressément écarté le recours à un embargo sur l’essence. Dans ce contexte, l’annonce va donc à l’encontre des souhaits d’Obama. | Décodages |



L’impact de cette coupure | L’Iran, un des principaux producteurs mondiaux de pétrole, était jadis un très important exportateur d’essence car il possédait les plus grandes raffineries du monde à Abadan. Mais il ne l’est plus depuis longtemps car les raffineries d’Abadan ont été détruites pendant la guerre Iran-Irak et le régime n’a pas investi dans leur reconstruction. La situation résulte du fait qu’à la révolution islamique, la compagnie nationale du pétrole iranien a été partagée entre divers clans au pouvoir qui ont cessé l’extraction pour privilégier la vente de concessions d’extraction aux Etats étrangers ce qui excluait la nécessité d’investir dans des infrastructures propres à l’Iran. Ce choix guidé par le gain personnel des clans a aussi provoqué une baisse globale des revenus et la perte des savoir-faire.

Aujourd’hui, ces erreurs de gestion se font très cruellement sentir chez les mollahs au moment où Washington mène une guerre d’usure économique à leur encontre pour les forcer à devenir ses alliés islamistes en Asie Centrale sans exiger en échange des compensations contraires aux intérêts américains au Moyen-Orient. Nos mollahs réalisent tardivement qu’ils manquent définitivement de réserves d’argent, d’équipements et de savoir-faire pour être autonomes et n’ont d’autre choix que d’importer de l’essence, ce qui est un aveu implicite de leur vulnérabilité. Leur seul moyen actuel pour réduire cette vulnérabilité est de se prétendre moins dépendants. C’est pourquoi pour avoir une idée juste de cette vulnérabilité, il faut remonter en 2005, c’est-à-dire avant les premières menaces d’embargo proférées par Washington. En cette année, les mollahs, mais aussi les Américains, évoquaient une importation annuelle de 24 milliards de litres d’essence, soit 65 millions de litres par jour, c’est-à-dire 75% de la consommation domestique iranienne (actuelle), ce qui faisait d’un embargo une arme fatale contre le régime.

On ne retrouve plus ce chiffre chez les mollahs. Il a aussi disparu dans les déclarations médiatiques américaines. La dépendance des mollahs est désormais de 30%, ce qui rend un embargo sans incidence sur leur sort. Cela est dû au fait que Washington, qui a besoin des mollahs pour accéder à l’Asie Centrale ou pour instrumentaliser ses habitants musulmans contre la Chine, utilisait la menace d’un embargo fatal comme une intimidation puissante à leur encontre sans avoir jamais eu l’intention de passer à l’acte. Il lui arrivait cependant à demander à certains fournisseurs alliés de ralentir les livraisons, mais cela est devenu trop dangereux car ce régime vu comme un allié incontournable est devenu trop fragile sous le poids des sanctions et risque de s’effondrer pour laisser place à un régime laïque contraire aux intérêts américains, d’où la nécessité de prétendre par tous les moyens que l’embargo est sans effet sur le régime.

V comme Vitol | Cependant, on a changé le chiffre, mais la réalité reste inchangée. Téhéran est toujours dépendante à la hauteur de 75% de ses fournisseurs étrangers. Parmi cela, il y a Vitol, une compagnie très discrète que le Financial Times présente comme d’origine suisse, mais à l’occasion d’un procès qui lui a été intenté par un Iranien, elle a été présentée comme une société britannique basée à Knightsbridge. En 2007, quand Washington n’était pas encore dans une stratégie pour bloquer ses propres sanctions contre Téhéran pour éviter la chute du régime, il avait imposé des pressions contre cette compagnie et avait obtenu son retrait du marché iranien. À l’époque, Washington avait révélé que cette compagnie fournissait depuis des années 15 des 24 milliards de litres d’essence importées chaque année par Téhéran, c’est-à-dire 63% du volume de 75% de la consommation domestique iranienne, autrement dit 50% de toute l’essence consommée en Iran. De fait, l’arrêt de ses livraisons est une sorte d’embargo contre les mollahs !

Une action concertée | Selon le même article du Financial Times, Vitol a ainsi rejoint d’autres fournisseurs comme Glencore et Trafigura (deux autres compagnies britanniques furtives), et British Petroleum qui avaient cessé leurs livraisons vers l’Iran dans les précédents mois. De facto, on peut donc parler d’un embargo britannique concerté. C’est un coup très dur pour les mollahs. Mais étant donné que les Américains font tout pour éviter de fragiliser Téhéran, on peut estimer cette opération concertée comme une action contre les intérêts américains. La raison est simplissime : si Washington parvient à prendre le contrôle des mollahs, ses compagnies pétrolières prendront le marché iranien et terroriseront tous leurs concurrents en Asie Centrale ou dans le Caucase avec les intégristes formés chez les mollahs. En peu de temps, elles priveront les deux grandes compagnies pétrolières britanniques, Shell et BP, de leur rôle de leaders mondiaux du marché pétrolier depuis 1906, pour gagner une guerre commencée entre les deux Etats en 1930 avec la prise en main américaine du marché saoudien via un gigantesque pot-de-vin versé à Harry St. John Philby, l’agent britannique et conseiller du roi du pays créé par les Britanniques pour se servir.

Cette guerre s’est par la suite déplacée en Iran où les Britanniques régnaient en maîtres sur le pétrole avec la bénédiction du clergé chiite financé par la Grande-Bretagne. Les Américains ont soutenu la nationalisation du pétrole iranien pour chasser les Britanniques, avant de les imiter en projetant de balkaniser le pays et ses voisins de l’Asie Centrale alors soviétique par l’intermédiaire d’une révolution faisant accéder au pouvoir en Iran des islamo-fédéralistes de leur cru. Les rôles étant inversés, les Britanniques ont alors soutenu leurs protégés les mollahs contre Washington pour éviter l’accès à l’Asie Centrale. Mais aujourd’hui, les mollahs sont affaiblis et pourraient céder. Pour éviter la catastrophique mainmise des Américains sur la région, Londres, protecteur historique du clergé chiite, a marqué sa différence en marchant dans le sens inverse de Washington et en l’annonçant par son plus prestigieux quotidien pour entraîner Washington à adopter les sanctions qu’il veut éviter.

Il y a peu de temps, les Britanniques avaient publié un faux document évoquant l’existence d’une première bombe atomique iranienne pour jouer le même coup : entraîner Washington dans les sanctions qu’il veut éviter.

Face à cette première offensive médiatique brillante, mais désespérée, Washington avait esquivé en déclarant qu’il mènerait une enquête, une manière d’enterrer l’affaire. Cette fois, Londres est allé plus loin avec cet embargo ponctuel autour de la pause ponctuelle marquée par Vitol. Face à ce coup incroyable faisant état de la gravité du danger pour les Britanniques, les Etats-Unis ont fait publier un article par le non moins prestigieux New York Times pour évoquer leur incapacité à imposer leurs propos sanctions contre Téhéran afin d’éviter que l’opinion publique américaine ne leur demande de suivre le bon exemple des Britanniques. C’est la guerre totale… Londres devra aller plus loin.


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Pour en savoir + sur cette guerre secrète :
- Iran : Le rapport Amano bouleverse les données
- (20 février 2010)

| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |
| Mots Clefs | Enjeux : Sanctions Ciblées en cours d’application |

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |

| Mots Clefs | Enjeux : Pétrole & Gaz |

| Mots Clefs | Instituions : Economie iranienne |