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Iran : Les Six se transforment en 3+2+1
28.02.2009

Hier, le quotidien britannique Financial Times évoquait la mise en place rapide de nouvelles sanctions très efficaces contre Téhéran par les trois membres européens des Six. À peine quelques heures après cette publication, Paris démentait la véracité de cette information, ce que Londres n’avait pas fait. Le démenti de Kouchner et surtout l’absence de démenti de son homologue britannique ont rappelé avec force l’existence de divisions internes au sein des Six, y compris parmi ceux qui sont censés avoir des intérêts similaires.



La publication hier d’un article dans le quotidien britannique Financial Times sur un éventuel renforcement des sanctions purement européennes contre l’Iran a fait l’effet d’une bombe d’autant plus qu’il mentionnait 4 organismes-clefs de l’économie iranienne dont le boycott par les Occidentaux et surtout par les Américains pourrait contribuer à un renversement du régime des mollahs.

Cette bombe s’est désamorcée seule, bien avant le démenti tonitruant de Kouchner, car les Etats-Unis n’ont accordé la moindre attention aux pistes de sanctions suggérées par cet article. Le motif de ce mépris tient au fait que Washington veut rester le maître des sanctions contre l’Iran, le chef d’orchestre des pressions pour soumettre les mollahs à sa volonté et non les renverser. Depuis le début, cette crise n’aura été qu’un prétexte à des sanctions pour permettre à Washington de dompter les mollahs pour faire d’eux et leurs milices des agitateurs alliés, et de l’Iran un couloir d’accès vers l’Asie Centrale. Cette entente [1] devrait permettre aux compagnies américaines de devenir les maîtres du marché pétrolier qu’ils partagent actuellement avec les Britanniques (leaders depuis 100 ans) et in fine le décideur du prix du Baril.

C’est pourquoi, depuis le début de cette crise, bien que les Etats-Unis soient leurs alliés, les Britanniques ont intégré le groupe européen pour privilégier un compromis irano-européen pour neutraliser cette entente irano-américaine aux conséquences dramatiques. Les Britanniques se sont également engagés pour soutenir toutes sortes de compromis avec les mollahs aussi bien dans le domaine nucléaire qu’à propos de l’Irak.

Mais depuis le début, Téhéran a tout fait pour éviter un compromis multilatéral (d’abord avec les UE3, puis avec les six) car il préfère une entente avec les Américains, et de leur côté, ces derniers ont sans cesse cassé les efforts multilatéraux par de nouvelles accusations ou sanctions unilatérales contre l’Iran. Pendant toute cette période, il y a eu un affrontement permanent entre l’AIEA et les Américains. Quand l’un disait blanc, l’autre disait noir. Ainsi quand les Américains parlaient de soupçons de militarisation, El Baradai évoquait ses doutes. Mais dès lors que pour les besoins de leur bras de fer, les Américains ont décidé de ralentir l’allure en évoquant l’arrêt des études de militarisation du programme nucléaire iranien, les Britanniques ont déterré un document jadis agité par Washington pour parler d’un volet militaire et l’AIEA a adopté ce document pour écrire ses derniers rapports en 2008.

Nous avons eu droit à une nouvelle mouture de cet affrontement dans le dernier rapport très complexe de l’AIEA où El Baradai a encore évoqué cette militarisation pour surpasser les pressions sur Téhéran et le pousser à se soumettre à un compromis conforme aux attentes des Britanniques.

Dans ce rapport, El Baradai affirmait que Téhéran avait stocké assez d’uranium faiblement enrichi pour produire la quantité d’uranium hautement enrichi nécessaire pour une bombe, mais que pour montrer sa bonne foi, il avait volontairement ralenti ses activités nucléaires. El Baradai en concluait que les sanctions avaient échoué, qu’il fallait y mettre un terme pour trouver un terrain de compromis via les Six pour récompenser la bonne foi de Téhéran. Il y avait dans le rapport une double tentative de priver les Etats-Unis de leurs sanctions tout en se posant en arbitre de la crise afin d’imposer un compromis avec les Six. Dès sa publication, le rapport avait obtenu le soutien des Britanniques, mais les Américains n’ont pas mordu à l’hameçon et pire encore Téhéran a affirmé qu’il n’avait nullement ralenti son activité, rejetant ainsi nettement le compromis des Six, détruisant les divers efforts britanniques de l’année 2008 et début 2009.

Parmi ces efforts, on peut notamment citer l’organisation cette semaine à Londres d’une majestueuse exposition louant la grandeur de la dynastie des Séfévides qui a instauré le chiisme comme la religion d’Etat en Iran. Au cours du discours de l’inauguration, Jack Straw, l’ancien ministre des affaires étrangères chargé des négociations avec l’Iran, avait longuement caressé les mollahs dans le sens de la pousse de la barbe en insistant sur la nécessité de présenter des excuses à ces derniers pour le soutien occidental accordé au Shah ou à son père. Les Britanniques voulaient ainsi montrer leur aptitude à accompagner les demandes d’excuses et de reconnaissance formulées par Téhéran. Londres ne s’attendait donc pas à une réponse négative aussi expéditive de Téhéran à l’incroyable compromis proposé par El Baradai. Il a voulu montrer qu’il pouvait se montrer moins amical. C’est alors que le Financial Times a publié l’article mentionnant des sanctions vraiment radicales contre l’Iran.

Cet avertissement entre amis de longue date a pris des proportions inattendues car la nouvelle était très intense. Cette intensité délibérée est sans doute la première erreur magistrale de la diplomatie Britannique connue pour sa virtuosité discrète. Cette erreur s’avère néanmoins utile car elle a agi comme le liquide colorant injecté dans le corps pour une radiographie : ce fut le produit de contraste qui a révélé des altérations jusque-là invisibles au sein des Six.

1ère altération | Lors d’une conférence de presse, le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, a déclaré « ne pas confirmer du tout » les informations publiées par le Financial Times. « Je ne peux absolument pas confirmer ça pour une raison très simple, c’est que ça n’est pas vrai. Il n’y a pas de décision de sanctions en vue sous l’égide de l’Union européenne », a affirmé Kouchner, mettant en porte-à-faux son homologue britannique qui n’avait pas démenti le Financial Times.

2nde altération | L’absence de démenti de son homologue britannique était un signe de complicité avec le Financial Times et Kouchner a tout simplement confirmé l’existence d’une rupture dans le front européen opposé à une entente irano-américaine. Il a ainsi révélé que la France avait rejoint le camp américain modifiant la composition initiale des Six, telle que sous Chirac, une composition qui est désormais de 3+2+1 : un trio américano-franco-allemand (instable à cause de cette dernière), un duo mou sino-russe, et les Britanniques désormais à la traîne.


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| Mots Clefs | Décideurs : P5+1 (les Six) |
| Mots Clefs | Nucléaire 2 : AIEA : inspections, actions et rapports |

| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |

| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : USA |

| Mots Clefs | Pays : Allemagne |
| Mots Clefs | Pays : Europe (UE, UE3, union européenne) |

[1Pour Téhéran, cette entente doit être différente : les mollahs veulent rester des agitateurs indépendants, c’est pourquoi ils demandent en plus d’une levée de toutes les sanctions américaines adoptées contre eux depuis 1980 la garantie que Washington renoncera à ses projets de désarmement du Hezbollah, en laissant à l’Iran la jouissance de ce moyen dissuasif de pression sur la stabilité du Moyen-Orient. C’est ce que les mollahs appellent des « garanties de sécurité ».

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Garanties Régionales de Sécurité : le DEAL US |