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8 janvier 1936 : Interdiction du port de voile en Iran
09.01.2010

« Lors de l’interdiction du port de voile en 1936, ma grand-mère ne sortit plus de chez elle jusqu’à la chute de Réza-Shah cinq ans plus tard » me disait un jeune iranien d’une riche famille d’Ispahan. En effet, la réaction à l’émancipation des femmes ne vint pas du petit peuple comme certains voudraient nous le faire croire, mais bel et bien de la bourgeoisie et du reliquat de l’aristocratie Qadjar. Soixante-quatorze ans plus tard, c’est toujours cette bourgeoisie islamiste qui tient les rênes de l’oppression religieuse tout en se donnant une image faussement progressiste en Occident. Un bref survol de l’histoire sociologique de l’Iran ne nous laissera plus aucun doute sur le soutien du petit peuple à une révolution sociale telle que celle lancée il y a presque un siècle par l’accession au trône de la dynastie Pahlavi au trône. Dans cette révolution sociale qui ne tardera pas à reprendre sa course, l’émancipation des femmes sera la revendication la plus ferme des couches les plus défavorisées.


par Babak Khandani



Le panthéon pré-Zoroastrien réservait une place de choix aux déesses comme Anahita auxquelles de majestueux sanctuaires furent dédiés et à qui les plus grands des rois demandaient grâce. Dans les légendes iraniennes, la femme est tantôt impératrice (Homai), quelquefois farouche guerrière (Gord-Afarid), souvent courageuse amante (Manijeh), fréquemment impertinente (Azadeh), mais rarement soumise et à l’écart. Dans l’histoire attestée, le rôle de la femme n’était pas autrement.

Après la conquête de l’Empire Perse par les musulmans, l’envahisseur s’empara des domaines agricoles et se constitua en une caste de propriétaires terriens, installée dans les villes et se nourrissant de l’exploitation de la paysannerie. Il entraîna dans son sillage une masse de bédouins qui, n’étant ni agriculteur, ni artisan, s’établirent dans les villes pour devenir négociants, commerçants, financiers. Très vite, une fracture sociale s’ensuivit : d’une part les cités habitées par les envahisseurs qui imposaient leurs coutumes et d’autre part les villages et les tribus nomades qui mirent longtemps à s’islamiser et qui préservèrent leur éthique ancestrale. Les premiers possédaient et le pouvoir et l’argent, les seconds, démunis, n’avaient que comme seule richesse leur culture séculaire. Les vagues d’invasions turco-mongoles qui suivirent ne changèrent guère la donne : les nouveaux arrivants s’intégrèrent au sein des classes dominantes et donnèrent un nouveau souffle au système esclavagiste existant.

Ce n’est qu’après les conquêtes mongoles que l’islamisation de la Perse s’acheva. On estime qu’avant l’arrivée de la dynastie des Séfévides au XVème siècle, une bonne moitié de la paysannerie n’était toujours pas convertie à l’Islam. L’Histoire officielle ne relate que la vie des citadins, négligeant la majorité écrasante du peuple (85% selon le recensement de 1936) vivant dans les campagnes et pratiquant des coutumes interdites par l’Islam.

Les voyageurs occidentaux ont tous constaté cette fracture : c’était dans les villes que les femmes étaient cantonnées au foyer et ne sortaient que sous un voile intégral noir. Dans les villages et chez les nomades, la femme iranienne avait un statut beaucoup plus élevé. Loin de la censure des Mollahs et de la bourgeoisie, la femme des campagnes (ci-dessous) participait à la vie sociale : elle travaillait, elle dansait, elle chantait et surtout, sans être impudique, ne se cachait pas derrière un masque de la honte.
© WWW.IRAN-RESIST.ORG

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N’étant ni de la bourgeoisie islamiste, ni des propriétaires terriens d’origine allogène, Réza-Shah ne pouvait accepter que l’économie et la société soient basées sur l’opposition fondamentale d’intérêts entre, d’un côté, une minorité de nantis qui possédaient l’essentiel des richesses du pays et qui contrôlaient tout, et de l’autre côté, une majorité d’Iraniens qui vivaient dans l’extrême pauvreté et l’insécurité totale.

Or, les bases de toutes les sociétés islamistes reposent sur la ségrégation : ségrégation entre musulmans et non-musulmans, entre l’esclave (même musulman) et le libre, entre arabes et non-arabes, entre les descendants du prophète et les autres musulmans, entre le clergé et les laïques et bien sûr entre les hommes et les femmes.

Libre penseur autodidacte, originaire d’un village du Mazandéran, une province au bord de la Caspienne qui resta très longtemps étanche à l’influence de l’Islam, né d’une mère (Noush-Afarine) qui semblerait être d’origine Zoroastrienne, Réza-Shah était révolté par le sort réservé aux femmes dans la société musulmane. Il comprit que le voile est plus qu’une simple obligation vestimentaire, il est surtout un instrument de ségrégation, une arme puissante au service des oppresseurs, un stigmate omniprésent pour marquer la domination des uns sur les autres. L’affirmation des droits naturels pour tous ne pouvait se faire que si les symboles les plus visibles de l’oppression étaient attaqués de front.
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Suite à sa visite en Turquie d’Ataturk, Réza-Shah fut convaincu qu’il pouvait aller dans le sens contraire de l’ordre établi sans provoquer la rébellion du petit peuple qui avait le plus grand intérêt à une transformation profonde et radicale d’une société qui ne lui réservait que malheur. C’est ainsi que le 8 janvier 1936, il promulgua une loi interdisant le port du voile. Quatre-vingt cinq ans après la pendaison de Ghorrat-al-Eyn pour avoir refusé le port du voile, c’était toutes les femmes iraniennes qui laissaient tomber leur boulet d’esclave sans qu’aucun Mollah n’osa dire le moindre mot.

La finalité de cet acte héroïque n’était pas uniquement d’ordre philosophique, voire esthétique ; elle s’inscrivait dans une démarche globale afin de rendre sa dignité à la Femme en la rendant libre et autonome. Cette autonomie ne pouvait s’obtenir que par l’indépendance financière, d’où la nécessité d’ouvrir à elle l’ensemble des champs d’activité, y compris l’armée.

Hélas, en 1941, l’expérience sociale de Réza-Shah fut arrêtée net par l’invasion de l’Iran par les forces anglo-soviétiques. Les envahisseurs s’allièrent avec les ennemis de ce progrès social et contraignirent à sa désintégration. Sans son interruption, une seule génération aurait suffi pour faire du voile en Iran, un simple point sombre dans les manuels d’Histoire.

La figure emblématique de la réaction est sans doute le fameux Mossadegh qui allait jusqu’à critiquer l’envoi en Europe d’étudiants de milieu modeste, considérant que l’octroi de bourse devait être réservé à l’élite. Riche propriétaire terrien issu de l’aristocratie Qadjar et ayant fait de hautes études en Suisse, il n’était pourtant pas favorable à l’évolution sociale de l’Iran. Son épouse se voilait et refusait d’être photographiée en public (ci-dessous).
© WWW.IRAN-RESIST.ORG

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Lors de sa retraite sur ses terres, Mossadegh préférait que ses visiteurs femmes soient la tête couverte. Ce seront ses plus proches compagnons politiques qui s’allieront avec Khomeiny et inspireront les mouvements islamistes comme Nehzat Azadi et sa branche armée, les Moudjahiddines du Peuple. Ce dernier groupe échouera dans l’enrôlement de la paysannerie et ne pourra recruter que parmi la petite bourgeoisie.

Bien que largement bénéficiaire de l’action des Pahlavis pour l’émancipation des femmes, la femme bourgeoise-islamiste soutient très curieusement les lois ségrégationnistes des Mollahs en les justifiants de mille et une façon perfides. Une armée de mercenaires s’attaque à l’Internet pour le polluer d’articles tentant de ramener l’origine du voile aux coutumes pré-islamiques. Pour eux, une simple écharpe sur un vase prouverait que les femmes iraniennes ont toujours porté le voile. Le « Hijab » n’aurait donc rien d’islamique et ne serait qu’une mode vestimentaire du pays. [1]

Le Prix Nobel de la Paix, Shirin Ebadi, archétype de la bourgeoise-islamiste, était grand magistrat avant la révolution de 1979, fonction qui lui est interdite aujourd’hui. Elle est réduite à exercer le métier d’avocat qui de toute façon n’est pas reconnu par la Charia. Pourtant, elle défend bec et ongle les « acquis de la révolution islamique » et met sur le dos des pratiques ancestrales les aspects difficilement défendables de la société musulmane. Pour elle, l’origine de l’oppression de la femme se trouve non pas dans les textes islamiques, mais dans les coutumes iraniennes. Ce n’est donc pas l’Islam qu’il faudrait réformer, mais la civilisation iranienne, celle pourtant fondée par Cyrus le Grand ! Ces affirmations contre-nature ne sont pas uniquement d’ordre dogmatique ; elles servent les intérêts d’une classe sociale à laquelle Shirin Ebadi appartient et qui lui permet de spolier impunément toute une nation.

Aujourd’hui, la bourgeoisie islamiste a un pied à Téhéran ou à Ispahan et l’autre à Londres ou à Los-Angeles. En Iran, de par son pouvoir financier, il se constitue des havres de paix où elle dispose des libertés qu’on refusent aux autres. Pour tout ce qu’elle ne peut faire dans son pays, elle se le livre dans ses résidences à l’étranger. Finalement, le peu de liberté qu’elle perd est largement compensé par sa mainmise sur les richesses de l’Iran. C’est pour cette raison que contre toute attente, elle défend farouchement « le droit » de porter le foulard.

Pour arriver à ses fins, la bourgeoisie islamiste se sert du lumpen-prolétariat comme force d’appoint. Cette population est, dans sa grande majorité, forgée par l’immigration des paysans vers les villes. A cause de sa pauvreté, elle ne peut envisager le monde qu’à travers ses besoins quotidiens. Les caméras des médias se focalisent souvent sur cette catégorie non-représentative pour nous faire accepter l’idée d’une société iranienne impossible à réformer tout en présentant la bourgeoisie islamiste (que nous baptisons par le terme Bourgeois-Allah) comme victime d’un système tyrannique qu’elle entretient pourtant.

Dans une légende qui dure depuis quatorze siècles, Shahr-Banou, fille du dernier roi Sassanide Yazdgard III, s’échappa de la horde des envahisseurs musulmans pour se réfugier dans le cœur d’une montagne qui s’ouvrit miraculeusement pour la cacher. Symbole de la résistance féminine, son mausolée supposé, situé non loin de Téhéran, reste un lieu de pèlerinage pour beaucoup de femmes iraniennes des milieux défavorisés.


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Pour en savoir + :
- Statut actuel des Femmes Iraniennes
- (21.10.2003)

L’Iranienne et le monde du travail :
- Iran : Les iraniennes ne rêvent pas !
- (8 JANVIER 2008)

L’Iranienne et le mariage :
- Iran : Victoire ! La polygamie ne sera pas facilitée !
- (4 SEPTEMBRE 2008)

| Mots Clefs | Institutions : Misogynie Institutionnelle |

| Mots Clefs | Fléaux : Pauvreté (et Disparité) |

| Mots Clefs | Histoire : Émancipation Féminine |
| Mots Clefs | Histoire : Reza Shah Pahlavi |

| Mots Clefs | Auteurs & Textes : Babak Khandani |

[1[origine islamique du voile | L’article du Wikipédia va plus loin encore en plaçant l’origine du voile dans la religion Zoroastrienne alors que les femmes Parsis en Inde, ni les Yezidis au Kurdistan ne se voilent pas.