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Iran : Erreur sur la nature de la lutte interne
22.07.2009

A l’occasion d’un discours de Khamenei évoquant la mauvaise conduite répréhensible des élites, on vient à nouveau parler de la lutte intestine opposant Khamenei à Rafsandjani. Cette analyse est éminemment fausse, il n’y a pas de lutte entre ces deux personnages, mais une mésentente interne grandissante sur la conduite politique adoptée par Rafsandjani pour éviter au régime de capituler face aux Etats-Unis.



Lundi, dans son discours annuel à l’occasion de la révélation divine de Mahomet, Khamenei, le Guide Suprême, a lancé une sévère mise en garde aux élites, en les exhortant à la prudence dans leurs prises de position sur la crise actuelle, en précisant : « quiconque mènerait la société vers l’insécurité et le désordre serait une personne honnie aux yeux de la nation iranienne, qui qu’il soit ».

Aussitôt, les médias occidentaux sous l’influence de certains experts liés à l’Iran ont évoqué la lutte ouverte entre Khamenei, le gardien d’une certaine orthodoxie, et sa cible non avouée, Rafsandjani, le représentant de la modernité. Cette analyse résulte d’une méconnaissance de Khamenei, de Rafsandjani, de leur relation et aussi du rapport des forces entre les deux.

Khamenei, Rafsandjani et leur relation | Au début de la révolution quand Khomeiny a lancé la fatwa contre Rushdie, Khamenei était celui qui avait demandé la levée de cette condamnation à mort. Dans le système imaginé par les mollahs, il jouait alors le rôle d’un modéré, mais il a endossé le rôle du méchant quand le régime voulait promouvoir d’autres dirigeants dans le rôle du gentil. A la même époque où Khamenei jouait les modérés, Rafsandjani appelait le Hezbollah à tuer les étrangers résidants au Liban. Il était aussi derrière les attentats de Paris. On ne l’évoquait pas alors comme une figure de la modernité. Cela a changé en 1989 à la mort de Khomeiny, demi-frère de Rafsandjani. Ce dernier a falsifié le testament de Khomeiny en faisant croire que le fondateur du régime avait choisi pour lui succéder Khamenei, un mollah de bas étage comme Rafsandjani. Dans cette opération, Khamenei a été nommé Grand Ayatollah, mais il n’a jamais été pas accepté par les 5 autres [1] qui ont pour leur part acquis ce titre pour leurs écrits islamiques.

C’est ainsi que Rafsandjani a pu écarter du pouvoir les grands ayatollahs promis normalement aux hautes fonctions pour étendre ses propres pouvoirs politiques au sein d’un organisme créé à la même époque pour remplacer le Conseil de la Révolution : le Conseil du Discernement de l’intérêt du régime de la tutelle des grands ayatollahs, un organisme qui ne contient aucun grand ayatollah, mais des bazaris, des commandants des Pasdaran ou du Bassidj, et des mollahs politiciens et affairistes comme Rafsandjani.

Le rapport des forces | Aujourd’hui même s’il le voulait, Khamenei ne peut être ni en lutte contre Rafsandjani et ni en position de lui nuire : ils ne sont pas de la même taille. Khamenei est trop petit et Rafsandjani trop puissant.

Selon la loi, en tant que président du Conseil des Gardiens, Rafsandjani peut à tout instant révoquer le Guide Khamenei ! Dans le sens inverse, si le Guide Suprême Khamenei décidait de mener une action contre Rafsandjani, il devrait selon la loi consulter auparavant le Conseil du Discernement dont Rafsandjani est le président à vie. On imagine qu’il ne va pas accepter sa propre destitution ou des poursuites à sa propre encontre.

La lutte entre Khamenei et Rafsandjani | Cette lutte théorique est inégale et perdue d’avance pour Khamenei. Cette lutte impossible continue néanmoins d’obséder les médias occidentaux : on doit cette obsession à une volonté du régime et les efforts de ses lobbyistes déguisés en experts ès Iran. En faisant répéter cette fausse vérité, le régime donne une explication plausible à une instabilité feinte qui lui permet de remettre en cause ses propres engagements en évoquant un changement de couleur politique alors que tout se décide au Conseil de Discernement avant d’être entériné par Khamenei, le faux grand ayatollah au service du Conseil.

La vraie lutte derrière cet écran de fumée | L’Occident a attaché trop d’importance à cette lutte inexistante et nous autres d’Iran-Resist avons attaché trop d’importance à l’omnipotence du Conseil de Discernement et l’absence de division interne entre les soi-disant conservateurs ou réformateurs au point de ne pas voir un fait qui aujourd’hui met le régime en péril de l’intérieur.

Ce fait est qu’en 20 ans de pouvoir omnipotent et sans partage, le Conseil de Discernement de l’Intérêt du régime de la tutelle des Ayatollahs est devenu le Conseil de Discernement de l’Intérêt de Rafsandjani (et ses 29 associés). Un Etat dans l’Etat qui est en plus en totale contradiction avec le système conçu par Khomeiny pour donner le pouvoir aux grands ayatollahs.

Aujourd’hui, les grands ayatollahs sont réduits à un rôle de consultants en islamité, sans aucun autre pouvoir de riposte que leur fatwa, mais bien incapables de s’en servir par peur d’être malmenés et aussi parce que le Conseil de Discernement est la clef de voûte du régime : lui nuire peut renverser le régime dans sa totalité, ce qui sonnera aussi le glas de l’islam dans le pays.

C’est là où se trouve la lutte intestine : entre le Conseil de Discernement mené par Rafsandjani et les grands Ayatollahs qui sont inquiets par les dernières décisions de ce Conseil, comme celle de simuler une nouvelle révolution islamique pour renouveler l’attachement populaire à un refus de dialogue et de compromis avec l’Occident (pour refuser la main tendue par Obama). Selon les grands ayatollahs, dans le cas présent, la fin ne justifie pas les moyens car on ne peut pas faire de révolution contre un pouvoir inspiré par Dieu sans remettre en cause l’Islam.

Leur crainte était fondée car dernièrement pour encourager la participation des Iraniens à cette nouvelle révolution, Rafsandjani a parlé de la « supériorité de la légitimité populaire » dans le cadre de son sermon de vendredi devant ses pairs du Conseil assis aux premiers rangs. Dès la fin de ce discours sacrilège, les grands ayatollahs ont convoqué Rafsandjani à Machad, fief de Vaez-Tabassi (un autre puissant membre du Conseil), pour le mettre en garde.

En réponse, Rafsandjani a poussé son lieutenant, Khatami, à évoquer un référendum pour rétablir la situation ! C’est une autre décision qui peut balayer le régime. En guise de riposte, les grands ayatollahs se sont exprimés par la voix du Guide suprême qui reste leur porte-parole officiel malgré ses liens avec l’ennemi : « quiconque mènerait la société vers l’insécurité et le désordre serait une personne honnie aux yeux de la nation iranienne, qui qu’il soit ».

La référence à la nation montre leur manque de pouvoir de rétorsion contre le Conseil du Discernement. Ils rouspètent sans pouvoir empêcher Rafsandjani de n’en faire qu’à sa tête ! Le pouvoir politique du régime, c’est-à-dire le Conseil de Discernement, n’a plus de contre-pouvoir et les intérêts financiers en jeu sont si importants qu’il ne va pas lever le pied. Cela sous-entend l’explosion tous azimuts de luttes internes qui ont toujours existé au sein de ce Conseil.

Le régime qui a toujours simulé la lutte interne pour avoir la paix va peut-être périr grâce au système omnipotent qu’il a inventé pour assurer la permanence du pouvoir.


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| Mots Clefs | Institutions : Démocratie Islamique |

| Mots Clefs | Réformateurs & faux dissidents : Le Mouvement Vert |

| Mots Clefs | Mollahs & co : Rafsandjani |
| Mots Clefs | Mollahs & co. : Khamenei |

| Mots Clefs | Résistance : Menace contre le régime |

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[1Les 5 principaux grands ayatollahs iraniens reconnus comme Source d’Imitation | Mohammad-Hossein Vahid-Khorâssani (qui en 1995 avait contesté l’accession de Khâmenei au rang de Grand Ayatollah), Moussa Shobeyri-Zanjâni, Nasser Makarem-Shirazi, Lotfollah Sâfi-Golpâyegâni et Ali Hosseini-Sistâni (chargé de l’Irak).