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Iran : Fin d’une partie, début d’une autre
26.05.2010

Washington, qui a besoin d’une entente avec les mollahs pour étendre son pouvoir en Asie centrale, avait eu l’idée d’un échange du stock iranien d’uranium enrichi susceptible d’avoir une utilisation militaire contre du combustible franco-russe pour donner des mollahs l’image de futurs partenaires pacifiques et fiables. Ces derniers qui ne peuvent pas s’afficher en termes amicaux avec un Etat qui protège Israël ont refusé en se montrant très agressifs. Washington a alors chargé ses partenaires le Brésil et la Turquie d’aller en Iran avec la mission de signer avec les mollahs un quelconque accord aux allures d’un compromis pour lui donner l’opportunité de continuer sa politique de dialogue avec Téhéran. Pour réussir leur mission, ces deux Etats –qui n’avaient aucun mandat international- et étaient libres de toute contrainte ont accordé aux mollahs le droit de procéder à un échange sur la quantité de leur choix qui préserve leur potentiel nucléaire militaire. Cette semaine, Téhéran devait formaliser ce soi-disant accord en adressant une lettre à l’AIEA et aux dirigeants occidentaux. Ces derniers s’attendaient à une lettre de profil bas, ils ont reçu une lettre très loin de leurs attentes qui fait état de l’échec de tout dialogue : la fin d’une partie, le début d’une autre.

Depuis la réception de cette lettre, c’est la consternation. Pour éviter de reconnaître l’échec du dialogue, Washington et ses alliés tergiversent tout en cachant le contenu de cette lettre [1]. Il nous est paru essentiel de traduire ce texte et vous l’exposer, avant de vous proposer une analyse.



Son Excellence M. Yukiya Amano
Directeur général
AIEA, Vienne

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Au nom de Dieu, le plus gracieux et le plus Charitable

Excellence,
La République islamique de l’Iran a en tant que membre actif de l’Agence internationale de l’énergie atomique, toujours respecté ses obligations dans le cadre du TNP et a eu une large coopération avec l’AIEA. Une telle coopération et des échanges prolongés avec l’Agence sont une indication de l’importance de l’attachement (iranien) à cet organe international et aussi de l’attention consacrée à la signification du TNP. Au retour, conformément à l’énoncé des droits des Etats membres et des devoirs de l’Agence envers les membres, la République islamique de l’Iran s’attend à ce que l’Agence respecte ses droits inaliénables inscrits dans l’Article IV du TNP, et en conséquence lui fournisse toute l’aide et les services réglementaire sans aucune discrimination.

L’approvisionnement en carburant du Réacteur de Recherche de Téhéran est sans aucun doute un des devoirs inscrits dans la structure de la fonction statutaire de l’Agence et la responsabilité de l’Agence est à cet égard limpide. Malheureusement, malgré une demande officielle adressée il y a un an (le 2 juin 2009) par la République islamique de l’Iran à l’Agence à propos de l’approvisionnement en carburant du Réacteur de Recherche de Téhéran -dont l’activité est de produire des radio-isotopes médicaux afin de fournir des services médicaux à environ un million de personnes-, non seulement le carburant n’a pas été livré à mon pays, mais encore, la procédure envisagée est dans une impasse en raison des conditions injustifiées imposées par la partie adverse.

Je saisis cette occasion pour annoncer qu’au cours du sommet trilatéral organisé récemment à Téhéran avec la présence du Président de la République islamique de l’Iran, du Président de la République Fédérative du Brésil et du Premier ministre de la République de la Turquie, deux pays siégeant actuellement Conseil des Gouverneurs de l’AIEA, nous avons eu des pourparlers constructifs en ce qui concerne la coopération nucléaire qui ont abouti à « la Déclaration Commune Iran-Turquie-Brésil du 17 mai 2010 ».

Par la présente, je transmets officiellement à Votre Excellence une copie de cette Déclaration Commune. La République islamique de l’Iran confirme (ainsi) son accord avec le contenu de la Déclaration Commune ainsi qu’avec tous ses paragraphes car chacun a une importance particulière et intrinsèque.

Pour mettre en oeuvre la Déclaration Commune, conformément à son paragraphe 6, par la présente, la République islamique de l’Iran déclare officiellement son accord avec le contenu de la Déclaration, en particulier avec ses cinq premiers paragraphes comme suit :

1. | Nous réaffirmons notre engagement au Traité sur la Non-prolifération des Armes Nucléaires et rappelons que conformément aux articles liés du TNP, pour que tous les membres, y compris la République islamique de l’Iran, ont sans aucune discrimination le droit de développer la recherche, la production et l’utilisation d’énergie nucléaire (y compris le cycle de combustible nucléaire incluant des activités d’enrichissement) à des fins pacifiques.

2. | Nous exprimons notre forte conviction que c’est là une occasion trouvée pour commercer un processus qui avance dans une ambiance positive, constructive et non conflictuelle qui peut mener à une ère de tolérance et de coopération.

3. | Nous croyons que l’échange du combustible nucléaire sera une base pour la coopération à venir dans les divers secteurs du nucléaire pacifique comme la construction de centrales nucléaires et des réacteurs de recherche.

4. | En se basant sur ce point, l’échange du combustible nucléaire est un mouvement constructif et progressiste, le commencement de la coopération parmi les nations. Un tel mouvement doit se dérouler dans le cadre d’une tolérance positive et d’une coopération dans les domaines nucléaires pacifiques et l’on doit éviter tout conflit à savoir toute action, mesure ou déclaration susceptible de menacer ou remettre en cause les droits de l’Iran et les obligations du TNP.

5. | En se basant sur les points exprimés plus haut, pour faciliter la coopération nucléaire mentionnée ci-dessus, la République islamique de l’Iran consent à déposer 1200kg d’uranium faiblement enrichi en Turquie. Déposé en Turquie, cet uranium faiblement enrichi continuera à être la propriété de l’Iran. L’Iran accepte que la surveillance de ce dépôt soit assurée par des observateurs iraniens et des observateurs de l’AIEA.

En retour, nous nous attendons à ce que conformément au paragraphe 6 de cette déclaration (celle du 17 mai), l’Agence informe le Groupe de Vienne (Etats-Unis, Russie, France et AIEA) de cette lettre et nous renvoie la réponse positive du Groupe. Une telle action (une réponse positive) ouvrira la voie pour la négociation sur l’élaboration sur les nouveaux détails de l’échange menant à la conclusion d’un accord écrit et l’organisation des mesures appropriées entre l’Iran et le Groupe de Vienne.

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Nous attendons avec impatience la réponse de Votre Excellence dans les plus brefs délais.

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Acceptez Votre Excellence mes salutations.

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Ali Akbar Salehi
Vice-président de la république islamique d’Iran et
Directeur de l’Organisation Iranienne de l’Energie Atomique

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En résumé, Téhéran n’a pas accepté un compromis, il aurait réussi à raisonner des adversaires qui refusaient d’admettre leur tort !

C’est la réponse que Téhéran oppose au Conseil de Sécurité depuis 3 ans : vous avez tort, j’ai le droit de faire ce que je veux. Il est également question du droit à l’enrichissement selon le taux de choix de Téhéran, une exigence qui avait été formulée par le régime en février 2003 via le très souriant et soi-disant modéré Khatami. Cette lettre est la preuve que, depuis 7 ans, le régime des mollahs n’a pas bougé d’un iota et qu’aucun dialogue ou progrès dans le dialogue n’est possible.

C’est un coup dur pour la diplomatie proposée par Obama et au-delà, un obstacle insurmontable pour le projet trentenaire d’une entente avec les mollahs pour contrôler l’Asie Centrale. L’Amérique devra revoir le tronc central de sa diplomatie en Asie Centrale. C’est du lourd. Ceci explique les tergiversations de Washington au lieu d’une reconnaissance de l’échec du dialogue. Mais il n’y a pas que de l’esquive, depuis peu il y a une vague de remises en cause du projet d’entente et de la stratégie de dialogue via une dénonciation des lobbies pro-dialogue. Ces critiques éclaboussent au passage Brzezinski, l’auteur illustre du projet de l’entente et de la stratégie du dialogue, car c’est à lui que l’on doit la promotion et le financement de ces lobbies via des organismes comme National Endowment for Democracy. En refusant cette dernière tentative américaine d’apaisement, les mollahs ont déclenché un mécanisme qui les dépasse. Ils sont désormais en sursis.

Cela serait arrivé plus tôt si Washington ne s’était pas accroché à l’idée d’une impossible entente avec les mollahs. En proposant le dialogue sans aucune condition préalable, les délais, les médiations ou encore des cadeaux aux mollahs, les Américains n’ont fait que différer une issue prévisible et la nécessité d’une nouvelle diplomatie et au final, ils se retrouvent eux-mêmes en situation d’échec au sein des Six, dépassés et en sursis.

Cette situation profite aux autres membres du groupe des Six comme la Chine, la Russie et la Grande-Bretagne, partenaires commerciaux de Téhéran et victimes potentielles de l’entente envisagée par Washington, qui avaient été tenus à l’écart par ce dernier. Ils peuvent envisager un retour en force dans le jeu. Cela ne va cependant pas jouer en faveur des mollahs, car depuis quelques mois, ces victimes potentielles de l’entente en gestation s’exprimaient souvent en faveur des sanctions pour entraîner Washington dans une logique d’affrontement afin de saboter ses efforts d’apaisement. En se retrouvant en position de force, ils auront plus de puissance pour agir en ce sens s’ils détectent une ultime tentative d’arrangement de la part de Washington ou encore une tardive tentative d’arrangement de la part des mollahs. De fait, les Américains et les mollahs se retrouvent doublement sous pression.

A force de chercher l’apaisement ou la confrontation, ils ont tous les deux perdu la partie en cours. Une autre partie commence. Elle ne sera pas entre les Américains et les mollahs, mais entre les Américains et tous ceux qui étaient visés au-delà des mollahs. Dans cette nouvelle partie, les mollahs ne sont plus des joueurs, mais la balle : chacun cherchera à taper dedans pour marquer des points.


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Article complémentaire sur le retour des Six :
- Iran–Brésil–les Six : D’accord, pas d’accord !
- (20 MAI 2010)

| Mots Clefs | Nucléaire : Crise & Escalade |

| Mots Clefs | Nucléaire : Politique Nucléaire des mollahs |
| Mots Clefs | Institutions : Diplomatie (selon les mollahs) |

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |

| Mots Clefs | Décideurs : P5+1 (les Six) |


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[1La lettre de l’Iran à Yukia Amana | 24 mai 2010

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