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Iran : Total, la super sanction des Américains
20.10.2010

Samedi dernier, le groupe français Total qui est partiellement contrôlé par les Américains a suspendu tout commerce avec l’Iran à peine quelques heures après que Téhéran ait remis en cause l’offre faite par Catherine Ashton à propos de la reprise du dialogue qui est souhaité par Washington. Personne n’a mis en avant l’occurrence des interventions, des dates, le choix du mot suspension ou encore les conséquences pour les mollahs. De fait, tout le monde a dû imaginer que cette « sanction » était sans conséquences pour Téhéran. Il n’en est rien car dès le lendemain de l’annonce de suspension, le régime a annoncé un état d’urgence, la réduction des ratios mensuels d’essence, l’entrée en vigueur du projet de suppression des prix subventionnés qui entend réduire la consommation grâce à des hausses de prix (800% pour l’essence) et enfin le déploiement de dizaines de brigades de miliciens aux abords des pompes à essence ! C’est une réponse très forte qui montre que Total a infligé une sanction très forte aux mollahs. On n’a eu aucun écho de cette réaction radicale des mollahs du côté de Washington, visiblement adepte des avertissements forts et confidentiels. Des explications s’imposent donc pour comprendre cette sanction, la raison de la terreur des mollahs et le silence qui entoure cette affaire.



Le silence | Depuis plus de 15 ans, Washington propose le dialogue aux mollahs (actuels alliés des Russes), dans l’espoir de les détacher de leur adversaire. Il y a donc un contexte de guerre froide (invisible) qui impose le silence. Mais les efforts de Washington n’aboutissent pas car pour les mollahs, le dialogue est une étape vers la réconciliation et en conséquence un moyen pour les Etats-Unis de revenir en Iran avec leurs pions pour prendre le pouvoir de l’intérieur avec une révolution de couleur.

En effet, contrairement aux pays du bloc soviétique, Washington ne veut pas changer le régime islamique en place, mais changer ses dirigeants pour avoir un allié islamiste à sa botte. Il pourrait alors embrigader à sa guise les musulmans d’Asie Centrale ou du Caucase pour s’emparer du bassin gazier de la mer Caspienne (actuellement dominé par la Russie) ou encore soulever les musulmans chinois pour séparer la riche région pétrolière de Xinjiang et enfin créer un grand bloc chiite pour s’emparer du pétrole saoudien sans passer par les Wahhabites et même reprendre aux Britanniques le Sud pétrolier irakien. Du fait de ces objectifs, il y a plusieurs guerres froides. Tout est suspendu à la possibilité de nouer le dialogue pour normaliser les relations afin de s’introduire dans le système, après, c’est le jackpot. Washington pourrait devenir la première puissance pétrolière mondiale et contrôler les prix donc les progrès de tous ses adversaires. Cette perspective le pousse à se montrer le plus silencieux possible, d’avancer en mode furtif pour adopter de nouvelles sanctions invisibles contre les mollahs à chaque fois qu’ils refusent une offre de dialogue.

Le principe qu’il suit est une guerre d’usure économique qui entend priver les mollahs de leurs revenus en devises, les plaçant devant le risque de pénurie synonyme de révoltes voire de révolution afin que par peur de perdre la tête, ils acceptent de perdre le pouvoir.

Les raisons particulières du silence | Cette guerre d’usure a commencé sous la présidence de Bill Clinton. Washington a ainsi d’abord épinglé les activités terroristes du régime pour mettre en place les premières sanctions pétrolières interdisant à tous ses partenaires comme Total le droit de signer des contrats avec l’Iran. Mais le but étant de parvenir à une entente et non de faire chuter le régime, Washington s’est gardé d’appliquer à la lettre ses propres sanctions, il a même autorisé Total à signer un dernier contrat pour la route, ce qui a incité d’autres pays à en faire autant.

On pense naturellement à la Chine, mais il faut aussi citer la Grande-Bretagne qui est depuis le début de l’apparition de l’industrie pétrolière, la première puissance dans ce domaine et perdrait cette place dans l’aventure. Ce pays continue d’ailleurs à contourner dès qu’il en a l’occasion les dernières sanctions américaines. Ce manque de discipline n’a pas permis à Washington de prendre le dessus sur les mollahs. Il leur fallait renforcer les sanctions et contraindre ces Etats à les respecter.

Pour cela Washington a commencé à évoquer dès 1999 c’est-à-dire sous Clinton, les activités menaçantes des mollahs en matière nucléaire et balistique et durant les mandats de George W. Bush, ces deux menaces sont devenues des prétextes pour l’adoption de nouvelles sanctions.

Parallèlement, Washington a demandé le transfert du dossier nucléaire iranien vers le Conseil de Sécurité pour engager tous les Etats surtout les grandes puissances comme la Chine, la Russie ou encore la France à sanctionner les mollahs. Ces adversaires économiques de Washington qui devinaient ses intentions ont alors mis en avant l’incompétence des mollahs dans ses deux matières (nucléaires et balistiques) pour refuser ce transfert. Washington a alors fait état de son intention de bombarder l’Iran. Dans le contexte post-irakien, en décembre 2006, les Etats dont les intérêts étaient menacés ont accepté le transfert du dossier nucléaire iranien au Conseil de Sécurité.

Dès le début de l’année 2007, Washington a ainsi validé ses propres accusations et obtenu une légitimité pour ses propres sanctions adoptées ou à venir. Il a alors commencé à relancer ses offres de dialogue notamment via Javier Solana, le haut représentant européen aux affaires étrangères qui était un homme de confiance puisque avant ce poste clef pour le dialogue avec Téhéran il avait servi leur intérêt en tant que secrétaire général de l’OTAN. Washington avait alors toutes les cartes en main, mais au bout d’un an et demi, en août 2008, il est arrivé à la conclusion que plus de sanctions renverseraient le régime. G.W. Bush est alors devenu un champion du dialogue avec les mollahs. Par ailleurs, il a évité de nouvelles sanctions en se référant à la nécessité d’adopter des nouvelles résolutions à l’unanimité quitte à ce qu’elles ne soient dotées d’aucune nouvelle sanction.

Avec l’arrivée d’Obama, Washington a donné la priorité au dialogue et à cette occasion, il a annoncé un gel d’un an dans l’adoption de nouvelles sanctions. Parallèlement il a autorisé certains de ses alliés comme la Turquie, le Pakistan, l’Irak ou l’Inde à contourner ses sanctions pour injecter des dollars dans l’économie moribonde des mollahs pour éviter leur chute.

In fine, Washington n’a plus adopté de nouvelles sanctions en réponse aux refus de dialogue de la part des mollahs : il n’a même pas appliqué de vieilles sanctions fortes (comme l’interdiction faite à Total d’entretenir des relations avec Téhéran, ce qu’il vient de faire cette semaine), il a uniquement interrompu de manière ponctuelle les aides alimentaires indirectes qu’il accordait au régime via ses alliés.

L’entorse décidée par Washington a ravi les Etats qui s’étaient toujours opposés aux sanctions ou les avaient contournées. Mais leur joie a été de courte durée car Washington a continué de les harceler pour les éloigner du marché iranien sans importuner ses alliés qui évitaient la chute du régime. Il était ainsi devenu celui qui punit et aussi celui qui a les moyens de sauver le régime.

Cela a poussé les autres Etats à modifier leur conduite : la France est restée assez inactive, mais la Chine, la Russie et la Grande-Bretagne se sont lancées dans des vraies sanctions contre le régime afin de les faire chuter pour priver Washington de ses projets stratégiques. Mais dès qu’ils sont sortis du marché iranien, Washington les a opportunément remplacés par ses pions régionaux. Par exemple, quand la Grande-Bretagne qui était le plus grand fournisseur de produits raffinés à l’Iran, a cessé ses livraisons pour provoquer une pénurie déstabilisatrice, l’Irak et la Turquie ont pris le relais pour fournir à l’Iran les quantités de carburant qu’il ne peut produire en raison d’un manque de raffineries.

Cette conduite a encouragé les mollahs à rester sur leurs positions. Ils sont même arrivés à la conclusion qu’en refusant le dialogue et en privant Washington d’un accès vers l’Asie Centrale, ils pourraient le contraindre à cesser leurs pressions ou accepter un deal sans transition de pouvoir. Washington n’a pas sauté sur cette proposition qui ne comporte aucune garantie. Il a continué sa guerre d’usure économique accompagnée de ses propres entorses à ses propres sanctions et ses éternelles offres de dialogue.

Cette hégémonie américaine dans les mécanismes de dialogue avec les mollahs a poussé la Chine, la Russie et la Grande-Bretagne à revenir sur le marché iranien pour rester dans le jeu. De leur côté, pour diminuer l’influence américaine, les Européens se sont séparés de Solana et l’on remplacé par la Britannique Catherine Ashton.

Dès la nomination d’Ashton au poste du haut-commissaire à la diplomatie européenne en charge aux initiatives de dialogue international avec Téhéran, Washington avait protesté et proposé que Solana qui connaît bien le dossier iranien puisse intégrer l’équipe d’Ashton pour aider cette dernière qui leur semblait manquer d’expérience !

Cette proposition philanthropique n’avait pas été retenue. À son poste, Ashton a alors œuvré pour faire aboutir le projet d’une entente multilatérale en n’hésitant pas à se rapprocher des Chinois en mai 2010 ou en plaidant en faveur des sanctions très lourdes susceptibles de renverser les mollahs pour mettre fin à toute possibilité d’entente.

Ashton a ouvert un nouveau front de guerre froide dont la conséquence est la présente suspension des relations entre Total et Téhéran qui est bien la première vraie sanction adoptée par les Américains depuis 2008.

Ces efforts Britanniques déguisés en efforts européens n’ont rien donné car les sanctions étant à Washington, Téhéran doit trouver un compris avec les Américains. Dans ces conditions, Ashton a fait le choix de la passivité. Washington s’en est accommodé car il est dans une guerre d’usure économique dont l’objet est de priver les mollahs de leurs revenus en devises pour perturber l’approvisionnement du marché intérieur afin qu’ils reculent par peur de possibles émeutes en cas de pénurie.

Cela ne pouvait pas plaire aux mollahs. Face à la guerre d’usure économique de Washington, leur seule réponse a toujours été d’amplifier la crise pour faire craindre la possibilité d’une guerre afin de faire reculer Washington par peur d’un risque pour l’approvisionnement pétrolier. Ils ont donc tenté de sortir de la passivité imposée par Ashton et par Washington en cherchant à provoquer tout au long de cet été un clash en proposant à maintes reprises le dialogue mais à leurs 4 conditions impossibles.

Ces provocations ont toutes échoué car Washington les a esquivées notamment en ne leur accordant aucune place dans ses médias. Cette esquive a été encore en vigueur il y a une semaine alors que les mollahs sont de plus en plus affaiblis par les sanctions et pourraient tomber offrant aux Iraniens l’opportunité de les renverser puis de se prononcer en faveur d’un Etat laïque. Washington n’a pas reculé afin de ne pas devoir accepter une entente avec les mollahs eux-mêmes, il a uniquement et sans cesse joué sur ses pressions en diminuant les aides qu’il accordent à Téhéran via ses alliés.

Mais le 7 octobre dernier, la Grande-Bretagne a profité de l’absence des Américains dans la région de la mer Caspienne pour prendre le contrôle du gigantesque champ gazier azéri de Shafag-Asiman d’une capacité de 300 à 500 milliards de mètres cube de gaz naturel. Washington s’est alors retrouvé face à une conséquence négative de sa politique de guerre d’usure et il devait réagir pour accélérer l’allure.

vers la sanction de Total | Washington a alors eu une chance incroyable, Téhéran a eu la bonne idée d’épingler la passivité d’Ashton et son manque d’initiative en faveur du dialogue. Nous serons plus tentés de croire que Washington, qui dispose d’un grand nombre d’intermédiaires pour parvenir à une entente avec les mollahs, a sans doute aidé le destin en faisant parvenir aux oreilles de nos barbus la nécessité de critiquer la « passivité d’Ashton ».

Quoi qu’il en soit, les médias pro-américains ont immédiatement médiatisé les critiques iraniennes contre la passivité d’Ashton pour forcer cette dernière à prendre définitivement ses distances avec sa passivité calculée. Ashton a été obligée de prendre une initiative en faveur de dialogue pour ne pas prendre le risque de se voir retirer le dossier ou assister à un retour de Solana ou un autre Européen pro-américain. Washington qui doit alterner les sanctions et les offres de dialogue a ainsi réussi à casser le dispositif qui bloquait ce processus depuis 5 mois.

Mais aussitôt que le dialogue était sur les rails, Téhéran a mis des limites au projet avec des manœuvres dilatoires comme le choix de la date ou de l’ordre du jour avant de reparler de ces 4 conditions impossibles : il a ainsi montré qu’il était fermé à toute proposition. Il a ruiné des mois d’efforts et surtout il a indirectement donné raison à Ashton pour revenir à sa politique de passivité ou à plaider les mesures fortes susceptibles de renverser les mollahs. En un mot, Téhéran a privé Washington de sa stratégie alternant les sanctions et le dialogue. Ce dernier devait réagir non pour punir les mollahs, mais pour rétablir sa stratégie dont le but est de forcer les mollahs au dialogue.

Dans cette optique d’une reprise nécessaire de dialogue, Washington a pris des dispositions pour mettre Téhéran en position de dialoguer avec lui notamment en l’invitant à nouveau aux discussions sur l’Afghanistan ou en l’invitant à jouer un rôle en Irak ou encore en lui offrant la direction annuelle de l’OPEP. En parallèle et toujours dans l’optique d’une reprise de dialogue, il devait aussi non pas renforcer ses sanctions, mais renforcer le niveau de la menace. C’est ce qu’il a fait avec la suspension des relations entre Total et l’Iran. Téhéran a immédiatement déclaré un état d’urgence. On peut dire que Washington a tapé juste. Il y a plusieurs niveaux de finesse dans cette sanction américaine. Cela tient à la nature des relations commerciales entre les mollahs et Total (ou les autres compagnies pétrolières étrangères présentes en Iran).

En effet, ces relations sont basées sur des contrats de types buy-back. Téhéran vend des droits d’exploitation aux compagnies étrangères qui au retour lui remettent près d’1/3 de leurs productions et gardent le reste. Dans ces opérations, les compagnies étrangères auront prépayé leurs barils avec les droits d’exploitation versés aux mollahs et Téhéran a en prime obtenu des barils pour sa consommation domestique pour produire entre autres de l’essence, mais aussi du kérosène qui sert dans les avions, mais surtout pour faire fonctionner les centrales thermiques de production de l’électricité.

En raison d’un manque de raffinerie, le régime des mollahs n’a jamais pu être autonome dans la production de carburants et il a toujours importé près de 75% de ses besoins en essence et en kérosène. Cette fourniture était pendant longtemps assurée par les Britanniques, mais comme on l’a vu, elle est à présent assurée par Washington via des alliés comme la Turquie. Washington ne cesse de jouer avec cette fourniture pour faire pression sur Téhéran. Avec la présente décision de Total, il vient de priver Téhéran de la matière première nécessaire pour sa production nationale de carburants qui peut lui permettre de tenir un bon moment avec une consommation réduite en cas d’embargo total sur les importations de carburants.

Concrètement, ce n’est pas l’embargo capable d’entraîner immédiatement une panne générale et déstabiliser le régime. Ce dernier n’a d’ailleurs rien ressenti car il a près de 3 à 5 mois de réserves. Mais à l’issue de cette période, il n’aurait plus de marge de manœuvre et devrait accepter de composer avec les Américains.

La grande finesse du coup tient au fait qu’au cours des dernières années, en réponse aux pressions américaines visant à réduire ses revenus en devises, le régime des mollahs avait décidé de supprimer les prix subventionnés pour provoquer une hausse de prix afin de baisser de force la consommation des Iraniens au niveau de sa capacité réduite à produire de l’essence et du kérosène pour produire de l’électricité. Il n’osait cependant pas appliquer la mesure par peur d’un mouvement de révolte et avait commencé à la mettre en oeuvre par des hausses graduelles des prix. En s’attaquant à l’existence même de sa capacité de production nationale de carburant, Washington a mis KO le régime qui se retrouve d’un seul coup sur une voie sans issue.

Pris au piège, le régime a annoncé l’entrée en vigueur de son seul plan, mais désormais, il ne s’agit pas de régler la consommation sur un modèle cubain, mais uniquement de ménager les réserves en carburants pour rallonger le délai dont le régime dispose pour refuser le dialogue. Le régime entend utiliser ce délai pour trouver le moyen de rester au pouvoir.

Washington a piégé les mollahs, mais rien n’est gagné. Nous allons vers 6 (à 9) mois d’agitation durant lesquels le régime mènera la vie dure aux Iraniens renforçant la haine du peuple pour le modèle islamique qu’affectionne Washington. A l’issue de ces 6 (à 9) mois de lutte, Washington aura le droit de vie ou de mort sur le régime des mollahs. Mais, il ne peut se résoudre à l’idée de les renverser et perdre la possibilité de conquérir la région avec l’aide de ses musulmans. C’est là une autre raison de rester silencieux sur l’efficacité de la sanction exceptionnelle qu’il vient d’infliger aux mollahs : il veut avoir la liberté de décréter l’inefficacité des sanctions à tout moment si les choses partaient en vrille pour les mollahs qui sont de plus en plus contestés par le peuple.


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