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Iran : la Russie, le temps des incertitudes et des contradictions
20.07.2010

Au cours de la semaine dernière la Russie s’est distinguée par une omniprésence à propos de l’Iran. Tout d’abord, elle a créé la surprise en affirmant qu’il fallait lancer des avertissements à l’Iran par des résolutions ou des sanctions pour le forcer à dialoguer car elle avait la certitude que le programme nucléaire iranien était de nature militaire, une opinion qu’elle n’avait jamais exprimée. Téhéran a protesté, mais Washington n’a dit mot. Les médias occidentaux ont alors conclu qu’elle venait de durcir sa position vis-à-vis de l’Iran, nous pensions qu’il n’en était rien : elle avait tout simplement pris le contre-pied de la politique d’apaisement de Washington. Dès le lendemain, cette analyse a été confirmée par l’annonce russe de vente de l’essence à l’Iran en cas d’un embargo américain, ce qui n’est franchement pas la preuve d’un durcissement. Dès lors les médias qui s’étaient trompés ont évité tout commentaire sur le sujet. Or, Moscou a continué sur sa lancée en prenant plusieurs initiatives du même genre annonçant une nouvelle approche dans sa politique déjà très complexe vis-à-vis de la politique américaine contre l’Iran.



La politique irano-américaine de la Russie | Cela fait des années que la Russie prend le contre-pied des décisions américaines contre l’Iran : elle a toujours été contre des sanctions et favorable à leur contournement. La raison profonde de cette politique est que depuis des années Washington sanctionne les mollahs pour les forcer à cesser leur soutien au Hezbollah afin de mettre leur force destruction intégriste au service des intérêts américains, c’est-à-dire contre les intérêts russes en Asie Centrale.

La 2nde politique irano-américaine de la Russie | De 2004 à 2006, Washington a laissé entendre qu’elle pouvait envisager l’option militaire, ce qui insinuait le remplacement des mollahs par des pions américains. La Russie comme d’autres Etats qui ont des intérêts en Iran ou en Asie Centrale ont accepté le transfert du dossier nucléaire iranien vers le Conseil de Sécurité : ils ont formé le groupe des Six pour empêcher l’intervention militaire américaine et aussi l’empêcher d’avoir les mains libres pour imposer les sanctions de son choix aux mollahs.

On est passé à une nouvelle approche de la politique de protection des intérêts russes : la Russie était hostile aux sanctions américaines, elle était favorable à une approche commune via le Conseil de Sécurité avec des résolutions qui serviraient d’avertissements, mais elle restait convaincue de l’absence d’un volet militaire dans le programme nucléaire iranien et en conséquence, elle donnait la priorité au dialogue.

Rétroactivement, on peut parler d’une erreur politique car Washington avait évoqué les frappes pour obtenir le transfert que ces Etats refusaient. Après avoir obtenu le transfert, il s’est lancé dans l’adoption d’un train de sanction lui permettant de mener une guerre d’usure économique avec la caution des Etats comme la Russie. À peine adoptée, la nouvelle politique russe était obsolète. Mais en l’absence d’une modification, on peut supposer un manque d’option de changement.

La 3ième politique irano-américaine de la Russie | En décembre 2007, Moscou a réalisé avec horreur que les mollahs n’étaient pas insensibles à une éventuelle entente avec Washington : ils avaient commencé des négociations secrètes et ils exploitaient la protection russe pour priver Washington de ses moyens de pression afin de retarder l’entente (donc la mainmise de Washington sur l’Asie Centrale) pour obtenir un arrangement incluant le droit de préserver leurs milices régionales, le Hamas et le Hezbollah.

Dès lors la politique russe vis-à-vis des mollahs a encore changé : Moscou a décidé de réduire l’immunité de Téhéran et de rendre aléatoire sa protection : Il a gelé la livraison à l’Iran des missiles S-300, il s’est opposé à l’intégration de l’Iran dans l’Organisation de protection de Shanghai et il a régulièrement laissé entendre qu’il pouvait adhérer aux sanctions. En revanche, il s’est focalisé sur le dialogue. Il ne soutenait que le dialogue.

Cette approche doublement passive a été un énorme double échec car au nom de l’opposition russe, Washington a écarté de nouvelles sanctions contre un Iran au bord d’effondrement pour éviter la chute de leurs futurs alliés indispensables. Puis, au nom du dialogue, il a expédié ses divers alliés régionaux en Iran pour proposer d’importants investissements qui ne pouvaient se réaliser qu’à condition de la levée des sanctions américaines, c’est-à-dire à condition d’une entente irano-américaine. Moscou devait changer son approche. La politique de sanction et protection passive devait être changée. Cela est devenu urgent avec Obama qui a proposé un dialogue sans aucune condition préalable avec un gel dans l’adoption de nouvelles sanctions jusqu’au 1er janvier 2010.

Ce changement n’a pas eu lieu car l’administration Obama a acheté l’adhésion russe à la grille des exigences américaines en échange de l’abandon du système ABM par les Etats-Unis et le droit pour la Russie d’installer des bases militaires en Géorgie pour une durée de 49 ans. Moscou a fait le pari que Washington ne parviendrait pas à faire plier les mollahs avant le 1er janvier 2010 et qu’il serait alors contraint d’adopter une nouvelle résolution qui sonnerait la fin de cet apaisement qui menace les intérêts russes. Washington a surpris les Russes et d’autres Etats qui espéraient la fin de cet apaisement en faisant intervenir la Turquie et le Brésil, deux de ses plus importants partenaires commerciaux qui siégeaient au Conseil de Sécurité, dans le rôle d’opposants à une nouvelle résolution. La première réaction de Moscou a été l’annonce de la livraison de S-300. Le choix était trop risqué.

La 4ième politique irano-américaine de la Russie | La Russie a alors rompu son pacte et initié une nouvelle approche : elle a annoncé sa décision d’adopter de nouvelles sanctions, même unilatérales et à titre d’exemple, elle a mis fin à la présence de Lukoil en Iran et en renonçant à d’autres investissements comme l’achat des aciéries d’Ispahan. Washington n’avait plus son prétexte officiel pour refuser l’adoption des sanctions plus fortes et continuer un dialogue stérile avec des mollahs refusant tout compromis. Il a autorisé la Turquie et le Brésil à négocier directement avec Téhéran un accord nucléaire à la place des Six. Ces deux pays ont conclu un accord très bancal qui a été salué par Washington comme une preuve de l’efficacité du dialogue, mais Moscou n’a pas salué l’accord.

La Russie a alors intensifié ses annonces en faveur des nouvelles sanctions. La Grande-Bretagne, n°1 du marché pétrolier mondial, qui peut perdre ce leadership en cas d’une entente irano-américaine a aussi mis son poids pour exiger des sanctions pour le même motif : Washington n’avait plus son prétexte officiel pour refuser l’adoption des sanctions plus fortes et continuer un dialogue stérile avec des mollahs refusant tout compromis. Il a proposé la résolution 1929 qui ne comporte aucune sanction économique inédite contre l’Iran. La Russie a exprimé sa satisfaction car Obama venait de cesser sa politique d’apaisement et le Conseil de Sécurité dont elle fait partie venait de reprendre les choses en main.

La 5ième politique irano-américaine de la Russie | Mais en privant Washington du prétexte russe, Moscou l’a obligé à annoncer l’adoption des sanctions unilatérales qui étaient en stand bye notamment l’embargo sur l’essence. Moscou a protesté car cette mesure est capable de provoquer des émeutes susceptibles de renverser les mollahs dont a besoin Moscou. Par la suite, il s’est avéré qu’il s’agirait d’un embargo sur la vente de kérosène aux Pasdaran alors que cette milice n’achète pas ce produit directement. Il s’agissait d’une annonce pour satisfaire l’opinion publique américaine qui accuse Obama d’inaction. Moscou a été rassuré. On ne l’a plus entendu.

C’est alors qu’elle a soudainement affirmé que le programme nucléaire iranien était de nature militaire, ce qui est susceptible de forcer Washington a adopter un vrai embargo pour renverser ce régime. L’annonce avait surpris les journalistes occidentaux : ils avaient conclu qu’elle venait de durcir sa position vis-à-vis de l’Iran, nous pensions qu’il n’en était rien : elle avait tout simplement pris le contre-pied de la politique d’apaisement de Washington pour empêcher Obama de reprendre sa politique d’apaisement après avoir adopté ses mesures dépourvues de vraies sanctions.

Dès le lendemain de la première annonce russe, notre analyse a été confirmée par l’annonce russe de vente de l’essence à l’Iran en cas d’un embargo américain, ce qui n’est franchement pas la preuve d’un durcissement. Dès lors les médias qui s’étaient trompés ont évité tout commentaire sur le sujet. Or, Moscou a continué sur sa lancée en prenant plusieurs initiatives du même genre annonçant une nouvelle approche active très surprenante dans sa déjà très complexe politique irano-américaine. Ce changement de cap est arrivé au moment de l’apparition d’un facteur inédit : la grève générale du Bazar.

Le Bazar est l’allié politique du clergé et la révolution islamique a triomphé grâce au Bazar qui a lancé une grève nationale pour mettre au chômage des millions de gens très pauvres afin de créer une situation instable. De fait, une grève générale qui peut provoquer une révolution à l’envers a inquiété les amis du régime. Washington a craint la chute des mollahs qu’il entend utiliser pour conquérir l’Asie Centrale, il a tenté un grand geste d’apaisement en restituant aux mollahs Shahram Amiri pour recevoir en échange les trois randonneurs détenus en Iran afin d’enterrer la hache de guerre et ouvrir le dialogue pour une réconciliation express. Amiri a lui-même reconnu ce plan d’échange dans l’une de ses interviews au lendemain de son retour en Iran.

Moscou s’est inquiété. Les mollahs qui risquent le lynchage auraient pu accepter la réconciliation. Il est allié au maximum de ses possibilités en évoquant le nucléaire militaire iranien pour saboter le dialogue programmé. Il a ainsi franchi le seuil absolu. Il n’a pas cassé le processus autour d’Amiri. Le lendemain, il a évoqué sa décision de contrer un éventuel embargo sur l’essence en se disant qu’il pourrait ainsi rassurer les mollahs de son soutien absolu pour les empêcher de céder à la panique. Ce qui est un peu idiot car le danger venait du Bazar et non d’un embargo en vigueur. Le 3ième jour, il a parlé d’un recours à des sanctions. Le 4ième jour, il a évoqué la possibilité d’une livraison des S-300 et enfin, il a annoncé son soutien à l’accord Iran-Turquie-Brésil !

La 6ième et dernière approche de la politique irano-américaine de la Russie est un collage de tous les choix extrêmes des Russes ! Cette politique est intéressante, mais elle a été initiée à un moment où le régime était en danger. Hier le régime a incendié le Bazar des fleuristes qui n’est pas dans l’enceinte du Bazar, mais loin de ce quartier : du côté de l’équivalent téhéranais du marché de Rungis. Il s’agit évidemment d’un avertissement aux Bazaris qui mettent en péril son existence. Il n’est pas certain que la Russie puisse continuer indéfiniment la même politique. Elle devra adopter une nouvelle approche inédite. Cela annonce le début d’une période d’incertitudes pour la Russie.

Cette nécessité de révision existe pour les autres qui ont des intérêts pétroliers en Iran ou en Asie Centrale et appréhendent l’arrivée au pouvoir des pions américains surtout s’ils sont des intégristes. Nous entrons donc dans une phase d’incertitude générale dont l’origine est pour une fois non pas les Etats-Unis, mais l’Iran et ses habitants.


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article complémentaire :
- Iran : La place de la France dans la crise nucléaire iranienne
- (3 Juin 2010)

article complémentaire :
- Iran : Moscou et Londres veulent des sanctions immédiates
- (27 Mai 2010)

| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : RUSSIE |

| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
| Mots Clefs | Enjeux : Apaisement |