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Iran : El Baradei et la nouvelle résolution du Conseil de Sécurité
04.03.2008

Contrairement à ce qu’ont affirmé les diverses agences de presse européennes, lors de son discours inaugural devant le Conseil des Gouverneurs, Mohammad el Baradei, directeur général de l’AIEA, a tenu des propos très favorables à l’Iran allant jusqu’à invalider les documents présentés quelques jours plus tôt par son directeur adjoint, le Finlandais Olli Heinonen.



Dans notre analyse consacrée au dernier rapport, nous avions signalé l’existence d’une complicité entre le texte d’El Baradei et les attentes de Téhéran. Une complicité qui ne se résume pas aux doutes émis par le DG de l’AIEA quant à la nature du programme nucléaire iranien, mais une complicité qui se traduit aussi par une demande conjointe d’El Baradei et des mollahs de faire dessaisir le Conseil de Sécurité. Cette demande conjointe est fondée sur la reconnaissance par El Baradei des progrès de ses inspections en Iran et de la nécessité de plus de coopération. Selon El Baradei, ce plus de coopération sera possible si Téhéran applique le Protocole Additionnel. En écho à cette conclusion rédigée dans le rapport publié le 22 février, les mollahs qui connaissaient par avance le contenu du rapport avaient déclaré la veille qu’ils pourraient accepter une adhésion à ce protocole si leur dossier était retiré du Conseil de Sécurité pour revenir sous l’autorité d’El Baradei.

Comme nous l’avions prévu, El Baradei a articulé la partie de son discours consacrée à l’Iran autour de cette adhésion de l’Iran au Protocole Additionnel ! Alors que les mollahs n’ont jamais appliqué ce protocole ni même ratifié, El Baradei a prétendu le contraire dès le début de son exposé tout en rappelant que Téhéran avait suspendu son application après la transmission du dossier au Conseil de Sécurité. El Baradei a ainsi sous-entendu que le maintien du dossier au Conseil de Sécurité pouvait empêcher la progression de la coopération entre l’Iran et l’AIEA.

Par une présentation délibérément fausse, l’Iran est passé du rôle de coupable à celui de victime. Pour renforcer cet effet, El Baradei a rappelé qu’en août 2007, Téhéran avait accepté de clarifier les questions en suspens de son programme nucléaire. Mais puisque, de son propre aveu, Téhéran n’appliquait pas le Protocole Additionnel, cette coopération estivale s’est résumée à la transmission de documents iraniens à l’AIEA sans que cette dernière puisse les vérifier par des inspections. Au final, dans son rapport de novembre dernier, El Baradei a attribué un certificat d’authenticité à l’ensemble des revendications nucléaires des mollahs à propos d’une soi-disant maîtrise du savoir faire nucléaire pacifique.

Dans le présent discours inaugural, El Baradei a encore insisté sur la qualité de cette méthode bancale d’investigation et sur son efficacité qui aurait permis à l’AIEA de clarifier toutes les questions en suspens sauf une (l’existence d’une utilisation militaire du savoir faire nucléaire iranien). Il a cependant affirmé : « Le jugement technique de l’Agence est que ces questions ne sont plus en suspens à cette étape. C’est évidemment encourageant »
 [1].

C’est par cet enchaînement douteux qu’El Baradei a abordé le cas de l’existence d’une utilisation militaire du savoir faire nucléaire iranien en qualifiant les documents présentés par son adjoint Olli Heinonen de « soi-disant allégations » !

Après une longue présentation délibérément confuse, il a conclu ainsi : « l’Agence doit vérifier l’authenticité de ces documents ! Je dois ajouter toutefois que l’Agence n’a détecté aucune utilisation de matière nucléaire en rapport avec ces soi-disant études, encore moins des informations crédibles à ce sujet ! C’est pourquoi j’encourage l’Iran à se montrer plus actif dans le domaine de la coopération sur ce sujet » [2].

La dépêche officielle de l’AFP évoque uniquement la demande d’El Baradei d’une plus grande coopération entre l’Iran et l’AIEA alors que cette demande est en fait une invalidation des documents qui servent à intimider les mollahs afin qu’ils cèdent et abandonnent leurs activités d’enrichissement, activités qui sont des atouts de négociation dans leur bras de fer avec les Etats-Unis.

L’invalidation des documents présentés cette semaine réactualise le rapport américain publié en décembre 2007 qui avait conclu à l’abandon par l’Iran d’éventuelles activités nucléaires militaires pendant la période clandestine de 18 ans, c’est-à-dire les activités passées. C’est sur la base de ce rapport que les mollahs exigent que le Conseil de Sécurité soit dessaisi de leur dossier, d’où l’importance de cette invalidation.

Un autre point remarquable du discours d’El Baradei est qu’il a évoqué à plusieurs reprises que sa coopération estivale avait permis de répondre aux doutes sur le programme nucléaire iranien « passé et présent » alors qu’au départ, cette coopération estivale devait apporter des réponses sur le « programme passé qui avait été mené clandestinement pendant 18 ans » et non sur la nature de l’actuelle activité d’enrichissement.

Avec cette coopération estivale, les mollahs et El Baradei ont réussi à opérer un glissement et désormais on parle invariablement du programme en général (« passé et présent »). On passe du coq à l’âne, on mélange les dates. Cette liberté de présentation a même permis à Baradei de glisser dans les dernières phrases de son intervention qu’on assiste actuellement à un ralentissement du programme d’enrichissement, aussi bien sur le nombre des centrifugeuses que sur l’alimentation des centrifugeuses en gaz UF6. Alors que cette affirmation repose uniquement sur des affirmations iraniennes et n’est corroborée par aucune vérification ou inspection à Natanz.

La présentation d’El Baradei a été un maelstrom délibérément confus qui était censé démontrer l’intensité de la coopération et la nécessité de l’améliorer. Avant de conclure par une incroyable déclaration, El Baradei a poursuivi son exposé en rappelant que seule une adhésion de l’Iran au Protocole Additionnel pourrait permettre une meilleure coopération et la levée de tous les doutes sur ce programme (« passé et présent »), programme d’avance absout par le directeur général ! Or, l’Iran n’accepte une adhésion que si le Conseil de Sécurité est dessaisi.

El Baradei a fini en apothéose et demandé que le Conseil de Sécurité, « conformément à ses propres résolutions (!), propose un accord de coopération dans tous les domaines et des garanties de sécurité régionales » aux mollahs afin que ces derniers acceptent de signer le Protocole Additionnel ! Notre prêcheur du jour a terminé par : « This would be good for Iran, good for the region and good for the world ! » Amen !

On peut qualifier ce discours d’un ensemble de dérapages contrôlés qui a permis à El Baradei de modifier l’ordre du jour qui était la suspension de l’enrichissement par un autre ordre du jour pour d’avance dévaloriser l’adoption attendue d’une nouvelle résolution par le Conseil de Sécurité.

Après ce discours peu coopératif voire destructeur, le Conseil de Sécurité a décidé d’ignorer les vibrants hommages du Prix Nobel de la Paix et de passer à l’action. L’AFP et d’autres agences de presse officielles ont même censuré le discours [3]. C’est une faute puisque cette censure n’élimine pas le problème El Baradei.

Le Directeur Général de l’AIEA, Prix Nobel de la Paix, ne manquera pas de protester contre cette mesure décidée à la hâte qui (selon lui) affaiblira la confiance qu’il aurait établie au cours de cet été, son autorité de responsable et finalement l’expertise de l’AIEA. En résumé, cette nouvelle résolution ne résout rien et relance les mêmes polémiques sur le bien-fondé des accusations qui sont en contradiction avec le rapport américain validé aujourd’hui par El Baradei.

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| Mots Clefs | Enjeux : Sanctions (du Conseil de Sécurité) |

| Mots Clefs | Nucléaire 2 | AIEA : Conseil des Gouverneurs |

| Mots Clefs | Nucléaire 2 : AIEA : El Baradei |

| Mots Clefs | Nucléaire : Protocole Additionnel |

[1...the Agency’s technical judgment is that these issues are no longer outstanding at this stage. This is obviously encouraging. |
Mohammad El Baradei - Texte original |

[2The Agency will follow the required due process in continuing to clarify both the authenticity of the documentation related to the alleged studies, to the extent possible, and the substantive matters concerned.

I should add, however, that the Agency has not detected the use of nuclear material in connection with the alleged studies, nor does it have credible information in this regard. I urge Iran to be as active and as cooperative as possible in working with the Agency to clarify this matter of serious concern. This is necessary to enable the Agency to make a determination about the nature and scope of all of Iran’s past nuclear activities |
Mohammad El Baradei - Texte original |

[3Le discours inaugural de Mohammad El Baradei devant le Conseil des Gouverneurs |
Texte original en anglais :
Implementation of the NPT Safeguards Agreement in the Islamic Republic of Iran |