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Iran : Le cas ambigu de Pascal Boniface
10.02.2008

Animer un site comme Iran-resist est un défi : il faut ne pas céder à l’envie d’une analyse à chaud et il faut souvent attendre au moins 24 heures avant d’analyser une action entreprise par les mollahs. Généralement, il y a un second volet complémentaire qui donne du sens à la première action. Nous l’avons vu dans le cas des récentes protestations iraniennes contre la politique française suivies d’une invitation à adopter une posture moins atlantiste. Ou encore dans le cas de la disqualification médiatisée du petit-fils de Khomeiny qui devait servir de rampe de lancement à Khatami, le challenger non déclaré d’Ahmadinejad. Mais tout n’est pas fait d’attentisme et d’analyses à tête reposée, il nous faut être à l’écoute des experts autoproclamés qui parlent de l’Iran, car ils jouent généralement aux lobbyistes pour le régime des mollahs. Ces lectures nous renseignent sur les préoccupations du régime que nous combattons. Cette semaine la palme du lobbying détourné revient à Pascal Boniface.



Chevalier de l’Ordre national du mérite, chevalier de la Légion d’honneur, Pascal Boniface est le directeur de l’IRIS (institut des relations internationales et stratégiques). Il enseigne à l’Institut d’études européennes de l’Université de Paris 8 et il dirige deux revues géopolitiques. Il est également membre du comité de soutien et de réflexion de l’académie diplomatique africaine. Son opinion compte donc au-delà de la France, c’est pourquoi nous avons jugé utile d’apporter un éclairage sur son discours ambigu à propos de l’Iran.

Dans un long entretien décousu dans la forme, il parle des origines démocratiques de la révolution islamique et du régime des mollahs. Il insiste sur la justification géopolitique d’un programme nucléaire militaire lié à un environnement hostile et insiste sur une volonté permanente de dialogue de la part des mollahs qui sont systématiquement (et donc sans raison apparente) diabolisés par les américains depuis 1979. Pour finir, il laisse entendre que c’est ce refus de dialogue qui a poussé les iraniens à s’isoler et à élire Ahmadinejad : une fine allusion au processus démocratique qui est censé exister en Iran.

Selon Boniface, il faut donc négocier avec les mollahs (donc avec Ahmadinejad) pour encourager les iraniens à voter pour des réformateurs. C’est un peu idiot puisque cette négociation sera une victoire politique pour Ahmadinejad, mais le discours de Boniface n’a jamais été logique (il demandait d’ailleurs la même chose en 2006).

Etrangement, ces demandes répétées de négociations immédiates et sans conditions préalables correspondent à une demande permanente de Téhéran, qui voit dans cette option une reconnaissance internationale et régionale. La filiation entre le discours de Boniface et celui du régime ne se résume pas à cette finalité de négociation. C’est tout au long de l’entretien que cette filiation se manifeste par des transgressions des réalités tant géopolitiques qu’historiques.

Aspect géopolitique | Dans cet entretien, Boniface révèle sa démarche intellectuelle. Il déclare par exemple : « Lorsque l’on regarde la carte du dispositif américain autour de l’Iran, lorsque l’on voit que ce pays est entouré d’autres puissances régionales disposant de l’arme nucléaire comme le Pakistan, l’Inde, Israël, on peut comprendre cette inquiétude et le débat sur les enjeux et l’importance de l’arme nucléaire à l’intérieur de l’Iran. Les Iraniens (il veut dire les mollahs) se posent la question de savoir si leur sécurité ne serait pas mieux garantie par l’arme nucléaire. Si l’Iran veut avoir l’arme nucléaire c’est pour sanctuariser son régime et son territoire » !

Voilà une carte géographique inédite qui attribue des frontières communes indiennes et israéliennes à l’Iran. Une carte imaginaire au service d’un objectif : justifier le programme nucléaire et militaire des mollahs.

Boniface n’analyse même pas l’invraisemblance des déclarations nucléaire iraniennes, il invente une carte imaginaire pour le justifier. Au passage, ce discours a aussi le don de séduire les Etats arabes qui le consultent comme expert ou encore comme conseiller diplomatique : il y est question de la présence américaine en Irak et du danger d’Israël, deux thèmes fédérateurs qui encouragent les arabo-musulmans à prêter oreille à ses discours. Ces deux thèmes sont des appâts qui endorment la vigilance de son public. Et pour contrebalancer le voisinage d’Israël ou la présence impopulaire des américains en Irak, Boniface ajoute à sa liste d’Etats qui menacent l’Iran, l’Inde et le Pakistan.

Il y a déjà de fortes incohérences dans ce discours : le programme nucléaire des mollahs date de 1985, c’est-à-dire 18 ans avant l’invasion de l’Irak ! De plus, aucune des trois puissances nucléaires précitées n’a jamais attaqué l’Iran (ce sont des faits historiques).

On pourrait nous rétorquer que la carte imaginaire de Boniface est une carte schématisée, mais si ce géopoliticien était honnête dans sa démarche il aurait cité la Russie comme un Etat nucléaire qui pourrait menacer l’Iran.

En effet contrairement aux trois autres pays précités (Inde, Israël, Pakistan), la Russie a attaqué l’Iran à plusieurs reprises : elle a ainsi occupé le pays pendant une dizaine d’années au début du XXe siècle et à nouveau à la fin de la seconde guerre mondiale. Elle a même fomenté des coups d’état en Iran pour annexer certaines régions stratégiques. Ce discours qui oublie Moscou, mais cite la menace nucléaire indo-pakistano-israélienne ressemble également aux prétextes avancés par Téhéran pour justifier ce programme nucléaire délibérément opaque et anxiogène. Ces arguments sont aussi ceux des mollahs.

Aspect historique | Une autre filiation entre le discours de Boniface et celui des mollahs concerne la nature du régime et son origine. Boniface parle de la révolution islamique et de la république islamique comme d’une revanche contre le renversement d’un gouvernement légitime élu réformateur nationaliste (il fait référence à Mossadegh). C’est encore une revendication des barbus de se dire les dignes héritiers patriotes de Mossadegh, mais ce dernier ne se définissait pas comme un réformateur. Ce mot réformateur appartient au vocabulaire du régime des mollahs. En plaçant ce mot hors contexte, Boniface cherche à utiliser la bonne réputation de Mossadegh hors Iran pour réhabiliter les soi-disant mollahs réformateurs, les seuls jokers du régime.

Ce sont là des tentatives géopolitiques et historiques (basées sur une carte et des faits factices) pour réhabiliter un régime terroriste, discriminatoire et assassin. A aucun moment, Boniface ne parle du régime et de son action ni en Iran ni dans la région. Il n’y a aucune trace du rôle néfaste des mollahs pour attiser les querelles entre chiites et sunnites, il n’est jamais question de leur rôle occulte dans le conflit israélo-palestinien, il n’y a rien sur les lois inhumaines imposées par ce régime à une population éduquée et instruite et à tout moment, il y a une volonté de créer un amalgame entre le pouvoir islamique et cette population qui lui est hostile. C’est une autre filiation avec les méthodes de communication du régime. Cet entretien est le cadeau de Boniface pour le 29e anniversaire de la naissance de la république islamique.

Mais ce discours de lobbyiste ne se résume pas à un recyclage des slogans anti-israéliens plaisants pour la rue arabe et des manipulations historiques ou dissimulation des réalités quotidiennes déplaisantes pour le peuple iranien. En cherchant à réhabiliter les mollahs, Boniface est entraîné à évoquer la compatibilité entre la démocratie et l’Islam politique. Ce lien n’est possible à établir que si on a auparavant manipulé les faits historiques sur la révolution islamique en Iran. Il nous est paru utile de dénoncer la démarche de Boniface et de rappeler des faits qu’il a oubliés.

Les oublis de Boniface : l’islam et les américains ! | Pour réhabiliter les mollahs, Boniface en fait des héritiers de Mossadegh, communément connu comme un anti-américain. Cependant, cette version café de commerce est historiquement fausse car les deux entités, Mossadegh et les mollahs avaient au départ le soutien de Washington qui comptait sur eux pour mobiliser la foule par leur maîtrise de l’art oratoire pour chasser le Chah, soupçonné de vouloir poursuivre le programme de modernisation laïque de son père, programme totalement déconnecté des attentes régionales des américains.

C’est pourtant une évidence que l’islam politique comme facteur anti-communiste et anti-modernisation a toujours fait partie des attentes américaines au Moyen-Orient et en Asie Centrale. La preuve est le soutien sans faille des américains à l’Arabie Saoudite, au Pakistan (1ere république islamique au monde) et il y a eu plus tard la création des talibans et l’instauration d’une république respectueuse de l’islam en Irak après le renversement d’un laïque. Il y a également le soutien des américains aux frères musulmans syriens.

De plus, l’islam en tant qu’entité supranationale incompatible avec le nationalisme du sol, a toujours servi les intérêts des colonialistes britanniques. Les américains appliquent cette même stratégie britannique conçue dès 1830 et fondée sur un soutien discriminatoire aux chiites pour encourager une confrontation interne qui occuperait les populations locales dans des querelles sans fins et laissant les mains libres aux colonisateurs pour agir en toute liberté. En Iran, ce plan directeur a été stoppé avec l’accession au pouvoir du premier roi Pahlavi qui décida de laïciser la vie politique pour rompre avec ce cercle infernal. Il fut chassé du pouvoir par les anglo-américains et remplacé par son fils, roi d’un pays occupé, mais décidé à poursuivre l’œuvre de son père.

Mossadegh et les américains | En 1951, les américains ont décidé de soutenir le très populiste et populaire Mossadegh afin de rompre avec la tradition des Pahlavi et qu’il applique la constitution iranienne adoptée en 1906 avec l’appui des britanniques. Cette constitution inféode le roi à l’application de la charia à 100% et place le pays sous la tutelle de l’imam caché !

Mais d’un point de vue historique, le très populiste Mossadegh qui n’avait pas de parti pour le soutenir a dévié du schéma théorique (des américains) d’alliance avec le clergé, et pour élargir sa base, il a conclu une coalition avec des communistes inféodés à Moscou. Les américains sont intervenus en encourageant les mollahs à lui retirer leur soutien afin d’empêcher la balkanisation prosoviétique de l’Iran.

Dans ses mémoires, Jalal Matini, un proche collaborateur de Mossadegh, évoque l’opposition du Chah à un coup contre Mossadegh. Nous préparons actuellement un article sur ce sujet délicat sur la base des révélations inédites de docteur Matini. Une fois Mossadegh renversé, les américains ont dû se contenter du Chah en étant certains qu’ils pourraient le renverser le moment venu. Ils ont dès lors commencé à renforcer leur présence physique en Iran pour y tisser des réseaux soi-disant culturels et universitaires afin de recruter les pions qui allaient leur servir pour ramener l’Iran à son modèle optimal de régime constitutionnellement islamique.

Khomeiny et les américains | En 1979, les américains avaient cette fois imaginé un plan plus imparable incluant des pseudo-gauchistes comme les Moudjahiddines du peuple, mais aussi les communistes iraniens, à qui ils avaient promis le pouvoir. Dans ce plan, les mollahs devaient être utilisés comme des mobilisateurs qui devaient transmettre le pouvoir à des islamo-gauchistes et des fédéralistes proches de Washington, issus de leurs réseaux universitaires. Mais une fois au pouvoir, les mollahs ont refusé de céder leur place.

Cependant malgré le fait que les mollahs ont rompu les relations avec Etats-Unis, leur accession au pouvoir a pleinement satisfait les Etats-Unis : les mollahs, agitateurs chiites, ont détruit la stabilité régionale garantie par l’Accord irano-irakien d’Alger et provoqué une guerre avec l’Irak.

Dans cette guerre, la totalité des infrastructures des deux pays (musulmans laïques, l’un sunnite et l’autre chiite) les plus industrialisés de la région a été détruite ou endommagée, les forces de travail ont péri à la guerre et les deux pays ont dû puiser dans leurs réserves ou s’endetter pour s’armer et s’entretuer (selon le schéma britannique). Les mollahs ont même contribué à faire durer la guerre 6 ans supplémentaires pour s’enrichir dans le commerce des armes. Cette guerre artificiellement prolongée a été une bénédiction pour les Etats-Unis et autres fabricants ou trafiquants d’armes et l’Iran en est sorti diminué et son industrie pétrolière, résultat de 25 années d’efforts du Chah (de 1954 à 1979), fut détruite.

Les mollahs ont également commencé à jouer un rôle très particulier au sein de l’OPEP où ils exigent de manière permanente une limitation des taux de production de cette organisation concurrente des grandes compagnies anglo-américaines. Le pétrole rare reste cher à la grande satisfaction des américains et des compagnies pétrolières notamment les 4 premières qui sont British Petroleum, Shell, Exxon et Chevron. Parallèlement, les mollahs vendent leur pétrole ou gaz en buy-back (à un prix négocié très bas) et imposent ainsi une baisse effective et secrète des prix de pétrole aux autres pays producteurs.

Contrairement à ce que prétend Boniface dans son analyse où il n’aborde jamais le problématique du pétrole, les américains n’ont jamais cherché à renverser ces alliés utiles que sont les mollahs. Ils cherchent uniquement à obtenir leur adhésion à leur projet de domination régionale par l’intermédiaire d’alliés démocratiquement et durablement ré-islamisés (comme la Turquie, l’Irak, le futur Pakistan démocratique, le futur Egypte démocratique...).

D’ailleurs le projet d’un grand Moyen-Orient démocratique de Bush se résume à l’organisation d’élections démocratiques dans des pays où les islamistes ont une base électorale comme au Maroc.

De son côté, Boniface fait semblant de vilipender les Etats-Unis pour plaire aux arabo-musulmans afin de se faire entendre, mais il professe secrètement des idées très conformes aux attentes des américains pour l’avenir du Maghreb, du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Soit il le fait sciemment et il mérite le boycott de ces pays, de leurs journalistes et dirigeants ; soit il le fait inconsciemment et dans ce cas, il mérite un bonnet d’âne en plus du boycott.

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