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Commentaires sur l’entretien Ahmadinejad-Le Monde
05.02.2008

Dans notre analyse intitulée « Iran–France : fin de semaine mouvementée », nous avions expliqué les techniques de base de la diplomatie des mollahs et la complémentarité d’un enchaînement de répliques apparemment contradictoires. En effet dans un premier temps, les mollahs ont convoqué l’ambassadeur français à Téhéran pour réagir contre la future base navale française dans le Golfe Persique. Et ils avaient enchaîné sur des propos tenus par l’ambassadeur d’Iran à Paris qui avait déclaré que « l’Iran s’attendait à une politique indépendante de la part de la France » et qu’un « changement pourrait permettre aux français de jouer un rôle positif en Iran ».

Nous avions insisté sur le fait que l’inclusion de la création de cette base dans leurs cahiers des doléances avait uniquement pour objectif de donner plus de poids à leurs critiques et encore plus d’impact à leur invitation à une politique moins atlantiste et plus favorable à Téhéran. Une interview d’Ahmadinejad réalisée par les envoyés spéciaux du Monde confirme notre analyse : à aucun moment, Ahmadinejad ne parle de cette base militaire, en revanche il insiste sur la possibilité d’une autre politique moins atlantiste.



Quant aux deux courageux journalistes du Monde, leurs questions restent sur cette ligne voulue par le régime des mollahs : volonté de modérer le débat avec Paris, voire inviter le président français à Téhéran.

Marie-claude Descamps a un talent inouï pour poser la question voulue par les mollahs en lui appliquant un verni d’impertinence afin que l’on pense à une question gênante. Contrairement à ce que prétend cette intervieweuse aguerrie dans son intro (publié par le Monde), tout est combiné pour tendre un micro au représentant du régime afin qu’il s’adresse à une certaine opinion française de gauche comme de droite qui est favorable à une entente nucléaire avec les mollahs.

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Une heure avec le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad

Le Monde : Le président Nicolas Sarkozy a dit à plusieurs reprises son inquiétude quant à la finalité du programme nucléaire iranien.

Qu’est ce que vous en pensez, vous, en tant que Français ? (…) Vous pensez comme moi qu il ne faut pas qu il y ait des armes nucléaires dans le monde… Ne faut il pas que les armes nucléaires, qui ne sont d’aucune utilité dans le monde d’aujourd’hui, soient éliminées ? Nos deux peuples entretiennent de bonnes relations. Entre eux, il n’y a pas de problèmes sérieux. Ce sont deux peuples qui ont des points de vue communs sur beaucoup de questions internationales. Nous croyons que ces propos [ceux de M. Sarkozy sur le nucléaire iranien] n’ont pas leur place aujourd’hui. Nous ne les prenons pas trop au sérieux ; nous avons pensé que c’est le début ce nouveau gouvernement français. Nous attendons que les vraies positions de la France, celles qui auront un effet pratique. Nous n’avons pas d’inquiétudes à ce sujet.

Vous inviteriez M. Sarkozy à Téhéran à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne au printemps ?

Nous croyons que cette présidence française est une bonne opportunité, pour la France et pour l’Europe. Car nous pensons qu’il est temps que l’Europe repense la question de sa présence internationale. Aujourd’hui, sur la scène internationale, l’Europe n’existe pas, je veux dire une Europe qui soit une entité indépendante. Nous ne voyons nulle part dans les équations politiques internationales de ce début de siècle des positions qui seraient celles d’une Europe indépendante. Nous croyons que la présence de la France à la tête de l’Union peut être une occasion pour l’Europe de développer une politique indépendante, surtout dans la région du Moyen-Orient, autour de la Méditerranée. La présidence française devrait être l’occasion de lancer une politique européenne indépendante. Quant à M. Sarkozy, il peut venir en Iran à tout moment, nous l’accueillerons quand il le désirera, cela ne dépend pas de sa présidence de l’Union.

Le Conseil de sécurité de l’Onu prépare une nouvelle résolution sommant l’Iran d’arrêter son programme d’enrichissement de l’uranium sauf à subir un durcissement des sanctions économiques déjà prises contre votre pays.

La question nucléaire est très importante pour notre peuple. Nous voulons que tous les pays - à commencer par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité - permettent à l’organisation légalement en charge de cette question, l’AIEA [l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui dépend de l’ONU et est chargée de faire respecter le Traité de non prolifération] d’agir conformément à sa mission. Les problèmes ont commencé quand certains pays membres - les cinq permanents - ont voulu s’arroger des droits qui dépassent ceux des autres pays membres de l’AIEA. Les problèmes commencent lorsque ceux - là se dotent d’un droit d’intervention qui outrepasse les règles de l’AIEA. L’Iran agit en collaboration avec l’AIEA, respecte ses engagements et ses devoirs à l’égard de l’agence. Malheureusement, l’Iran est privé de certains de ses droits, en particulièrement de disposer de l’assistance des autres membres de l’AIEA en ce qui concerne le combustible nucléaire - on ne nous a pas aidés, comme nous y avions droit. Mais nous croyons que nous devons tous continuer à travailler avec l’AIEA et accepter ses avis.

Et pourtant, Américains, Chinois, Britanniques, Français et Russes envisagent bel et bien de voter une troisième vague de sanctions contre l’Iran.

Ecoutez, ces résolutions ne sont pas notre problème, c’est le leur. Quand sur la base d’informations erronées, un groupe de pays agit avec entêtement de façon erronée, alors c’est lui, c’est ce groupe qui a un problème…Mais nous n’avons pas d’inquiétude. Notre peuple est un grand peuple - quand il s’agit de défendre nos droits, nous sommes sérieux.

Où en est votre proposition de permettre la création en Iran d’une société mixte, d’un consortium international pour enrichir l’uranium dont vous avez besoin ? (Note Iran-Resist | question importante, sur mesure, qui offre aux mollahs une occasion unique pour se faire passer pour des victimes !)

Cette proposition, je l’ai faite, il y a deux ans aux Nations Unies. Malheureusement, les Européens et les Américains ne l’ont pas accueillie favorablement. Ils ont considéré que nous ne la formulions que parce que nous aurions été en position de faiblesse. Aujourd’hui, cette proposition n’est plus sur la table. Mais si d’autres en venaient à la reformuler à nouveau, nous l’étudierons. À une condition : que le droit du peuple iranien à l’enrichissement de l’uranium soit préservé.

Vous approuvez M. Sarkozy quand, du Maghreb au golfe, il propose d’aider de nombreux pays à accéder au nucléaire civil ? (Note Iran-Resist | et ça continue !)

Nous ne considérons pas que c’est une mauvaise chose. En cette matière, nous n’entendons pas fixer des limites aux autres. Nous croyons que tous les pays devraient pouvoir jouir de l’énergie nucléaire. Nous croyons que c’est opprimer une partie de l’humanité que d’assimiler l’énergie nucléaire à la bombe nucléaire. C’est une énergie pure, dont tous les peuples doivent pouvoir profiter.

Note Iran-Resist | La suite de l’entretien concerne le rôle régional des mollahs et donne à ces derniers l’occasion de parler comme une superpuissance régionale. Et à aucun moment, les journalistes du Monde ne prennent Ahmadinejad à défaut. Ils posent des questions et lui, il déroule le discours officiel du régime avec des slogans pro-palestiniens sans trop de gravité. Autres absents de cette seconde partie : les questions sur l’application de la charia et des peines barbares, les violations des droits de l’homme ou encore d’éventuelles représailles contre les intérêts français en Iran ! Aucun sujet qui fâche...

L’Iran est parfois accusé de ne pas faciliter les choses chez son voisin afghan, notamment en aidant les talibans qui affrontent les forces de la coalition international déployée dans ce pays.

L’attitude de certains pays occidentaux est contradictoire. Le langage qui est le leur date d’il y a cent ans. Quelle est la situation ? Des dizaines de milliers de troupes étrangères ont été déployées dans notre voisinage. Nous savons que certains de ces pays occidentaux qui nous critiquent collaborent sur place avec les gens dont vous parlez. Et par le passé ont collaboré et même soutenu, armé, financé ces groupes extrémistes en Afghanistan. Nous savons très bien ce qui se passe chez notre voisin. Nous avons de vieilles relations avec l’Afghanistan, culturelles, historiques. Tout ce qui là-bas provoque de l’insécurité est un problème de sécurité pour nous. Nous voulons que le peuple afghan recouvre son intégrité. Nous aidons à établir un dialogue entre les différentes factions et tribus afghanes. Notre expérience historique nous a appris que chaque fois que les Américains, les Européens sont entrés dans notre région, il y a eu des litiges. Regardez l’Irak. Est-ce qu’on peut assurer la sécurité d’un pays de façon artificielle, avec l’aide de forces étrangères ? Jusqu’à quand ?

Au Liban, vous n’appuyez, militairement, économiquement, politiquement, qu’un seul parti, le Hezbollah.

Nous aiderons tous ceux qui agissent en conformité avec des principes justes. Nous croyons que le Liban est un pays indépendant. C’est la population libanaise qui doit être maître de son destin. Chaque démarche qui facilite l’unité et la souveraineté du Liban, pour son indépendance, nous la soutiendrons.

Mais vous ne soutenez qu’un seul parti là-bas ?

Le peuple libanais a le droit de vivre, de s’exprimer. Nous sommes contre une ingérence dans les affaires du Liban. Avec la plupart des partis libanais, nous avons de très bonnes relations. Avec les chiites, les druzes, les chrétiens, les sunnites.

Vous n’aidez pas à la création d’un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza ; vous n’appuyez pas les efforts de l’ONU, des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la Russie en ce sens. Vous y êtes opposés, vous ne soutenez qu’un parti palestinien, le Hamas.

Qu’est ce que vous voulez dire ? Actuellement, n’y a-t-il pas le gouvernement du Hamas [à Gaza] ? Un gouvernement qui a été établi par le peuple [le Hamas a remporté les élections législatives dans les territoires palestiniens en janvier 2006 puis s’est emparé par la force de l’administration de la bande de Gaza le 15 juin 2007] Qui s’oppose à ce gouvernement ? Ce sont les Européens, les Etats-Unis qui sont contre ce gouvernement du Hamas. Nous sommes actuellement le seul pays qui soutient le gouvernement légal de la Palestine. Alors, qui réprime ce peuple, qui lui impose des sanctions économiques ? Je suis désolé de dire que ce sont les gouvernements des pays européens qui collaborent avec les sionistes dans cette affaire. Mais la question de la Palestine va au-delà de votre question. Il faut en revenir à un événement intervenu il y a 60 ans [la création de l’Etat d’Israël par une résolution des Nations Unies en 1948] , un événement qui a déplacé des millions de personnes, tué des centaines de milliers d’autres [selon l’ONU, quelque 700,000 Palestiniens ont été déplacés pendant ou à l’issue de la guerre israélo-arabe qui a suivi la création d’Israël, qui a fait quelques dizaines de milliers de morts]. Ce ne sont pas les initiatives européennes ou américaines qui vont régler le problème. Il faut aller à la source, à l’origine du conflit, à sa racine si nous voulons régler cette question, sinon la crise se poursuivra. A la longue, ceux qui perdront sont ceux qui sont responsables de l’occupation.

Il y a deux jours, vous avez encore annoncé que « l’entité sioniste tombera tôt ou tard »…

Pourquoi le peuple palestinien doit-il accepter l’occupation ? Pourquoi doit-il accepter d’être amputé d’une partie de son territoire ? Ce n’est pas parce que les Nations Unies ont reconnu [Israël] que cela confère une légitimité à cette reconnaissance. Un peuple falsifié, inventé [le peuple israélien] ne va pas durer, il doit sortir de ce territoire. Ce n’est pas parce que tout le monde dit quelque chose de faux que cela devient juste.

L’an prochain, il y aura un nouveau président américain. Est-ce que c’est important pour vous qu’il soit démocrate ou républicain ?

S’il y avait des élections libres aux Etats-Unis, si le peuple américain avait différents choix, s’il n’avait pas seulement deux options, nous croyons que le peuple américain se prononcerait pour une autre politique que celle que mènent les Etats-Unis. Il essayerait d’orienter différemment la politique étrangère des Etats-Unis. Le peuple américain aimerait avoir des relations d’amitié et de collaboration avec les autres peuples. Il n’aime pas qu’il y ait dans le monde des massacres perpétrés en son nom, et des territoires occupés. Nous espérons que ceux qui sont candidats reçoivent le message du peuple américain, qui souhaite le changement.

Il y a trois ans, vous avez annoncé que vous serez le président qui allait prioritairement s’attaquer aux difficultés économiques et sociales de l’Iran ?

Ou n’y a t il pas des problèmes économiques. Il n’y a pas de problèmes économiques en France ? Les progrès économiques de l’Iran sont bien connus, l’Iran progresse dans différents domaines. Evidemment, nous rencontrons des difficultés - c’est naturel. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de problèmes ? Les difficultés des Etats-Unis sont plus nombreuses que celles de l’Iran. L’économie des Etats-Unis est en voie de régression. Dans l’ensemble de l’Europe, il y a beaucoup de problèmes.

Qu’est ce qui vous motive ? Le sentiment national iranien ? Vos convictions religieuses ?

A votre avis, qu’est ce que demande le peuple iranien ?

Plus de démocratie.
(Note Iran-Resist | et ça continue ! Marie-Claude Decamps laisse entendre qu’il y a un début de démocratie chez mollahs !)

Vous ne vous trompez pas. Mais ce que demande le peuple iranien ne se résume pas à la démocratie, c’est plus que cela. C’est quelque chose de plus haut que cela, c’est la dignité humaine. C’est une certaine place de l’homme dans l’univers. C’est la justice. C’est la pureté. C’est le refus de la domination. Et tout cela n’est possible qu’avec la croyance en Dieu. Et tout cela est plus haut que la démocratie. La démocratie n’est qu’une petite partie des acquis du peuple iranien. Le peuple iranien a ses racines dans l’histoire. L’Iran a été le foyer de grandes civilisations mondiales. Ce n’est pas un peuple qui craint les tempêtes, le vent. Vous avez vu que huit ans de guerre [la guerre irano-irakienne de 1980 à 1988] ont rendu notre peuple encore plus avisé. Et le genre de boycottage, de sanctions, le genre de menaces dont nous faisons l’objet nous donne encore plus de maturité. Sans aucun doute, l’Iran est actuellement une puissance mondiale. Il ne tire pas sa force de ses armes, mais de la vigueur de son influence culturelle.

Propos recueillis par Alain Frachon et Marie-Claude Decamps

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<HTML>Marie-Claude Decamps et Khatami (modèle de base pour l’interview avec Ahmadinejad) :
- Iran : Le Monde relu et expliqué
- (30.09.2006)

<HTML>un autre exemple des interviews de Marie-Claude Decamps :
- Dans le Monde, Akbar Ganji révèle une vérité enfouie
- (25.06.2006)

| Mots Clefs | Auteurs & Textes : Marie-Claude Decamps |

| Mots Clefs | Auteurs & Textes : Journalistes et média Français |

| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : France |

| Mots Clefs | Institutions : Diplomatie (des mollahs) |

| Mots Clefs | Mollahs & co : Ahmadinejad |