Iran : la semaine en images n°175 27.06.2011 Cette semaine du 18 au 26 juin a été placée sous le signe du malaise pour les mollahs car il y a deux ans, à la même période, très exactement le 20 juin 2009, leur régime a failli chuter alors que son patron politique Rafsandjani cherchait à organiser une fausse révolution de couleur verte islamique en faveur d’un de ses collègues, l’ultra-islamiste Moussavi, pour donner une nouvelle légitimité au système en place. La journée avait été marquée par la mort tragique de Neda. L’authenticité du récit de sa mort avait d’abord été niée par les Verts, mais par la suite, ces serviteurs du régime avaient récupéré Neda en l’affublant d’un foulard très strict puis en lui attribuant de la sympathie pro-Moussavi. Cette année, le régime et ses faux opposants Verts ont rajouté une couche à cette islamisation post-mortem. Mais comme l’année dernière, aucun des serviteurs du régime n’a appelé le peuple à sortir dans la rue à cette date car à posteriori, le vrai événement du 20 juin 2009 n’était pas l’assassinat de Neda, mais l’incapacité du régime à rétablir l’ordre : un chaos dû au refus des Pasdaran de participer à la répression, ainsi que le refus des Bazaris et les membres du clergé d’organiser des contre-manifestations pour sauver un régime qui mène le pays vers le néant. Le 20 juin 2009 a permis aux mollahs de réaliser l’étendue du rejet qu’ils suscitaient. C’est pourquoi le 20 juin est devenu une date de bilan pour les dirigeants. Ainsi, il y a un an, au premier anniversaire de cette journée, Rafsandjani avait dû céder la direction effective du Conseil de Discernement, le véritable gouvernement du pays, à son jeune rival Ali Larijani car la rupture des Pasdaran, du clergé et des Bazaris était devenue plus sensible. Pour contrer les ruptures et les dissidences internes, Ali Larijani, le nouveau patron du régime, devait changer de cap, mais il a juste multiplié les menaces de pendaison avec l’aide de son frère Sadegh Larijani, chef du pouvoir judiciaire. Ces menaces n’ont pas été dissuasives : les Pasdaran, le clergé et des Bazaris de plus en plus mécontents par des politiques qui exposent le pays à des sanctions très pénalisantes n’ont cessé de boycotter les manifestations officielles. Ils ont réduit le régime aux clans qui le dirigent. Chaque boycott avait provoqué une grande vague de panique financière chez les membres de ces clans, les derniers associés politiques et économiques du régime. A l’heure du bilan du 20 juin, Ali Larijani était en donc difficulté. Larijani a passé la semaine à mettre en scène du mieux qu’il pouvait ce qui reste de la force répressive du régime pour rassurer les derniers associés du régime tout en pourchassant judiciairement (avec l’aide de son frère) les membres du clan de Rafsandjani pour affaiblir ce dernier afin qu’il ne puisse pas profiter pas de sa faiblesse et reprendre la direction si convoitée du Conseil de Discernement. La force répressive du régime étant bien faible et cette guerre interne peu rassurante à l’heure où il faudrait être uni, les médias officiels ont orienté leurs caméras vers des inaugurations extraordinaires évoquant l’unité des dirigeants pour servir le pays. Ces images de propagande ont deux défauts : chaque inauguration a réuni peu de gens qui étaient en plus bien moroses. On peut dire que cette semaine, le régime avait beaucoup de choses à faire et beaucoup à cacher, il n’a pas réussi ce qu’il devait faire et il n’a pas pu cacher sa déprime. En cette semaine délicate, il devait donner l’exemple pour régénérer ses troupes, mais il a manqué de souffle. Chronique en images d’une semaine de ratages. Il y a une semaine, la situation des mollahs n’était pas meilleure : presque tous les Iraniens, les jeunes, les vieux, les retraités, les membres des Pasdaran, les mollahs de base et les Bazaris avaient boudé l’opposition verte qui est censée attirer les gens dans la rue pour donner une légitimité démocratique à la révolution islamique et ainsi rendre toute sanction politiquement incorrecte. Le régime n’avait même pas pu trouver des figurants ou des volontaires dans les services secrets pour simuler des petits rassemblements et tourner ses habituelles vidéos floues ou saccadées censées faire croire que le Mouvement Vert est l’avenir des Iraniens. Cela ne pouvait pas rassurer les derniers 25000 associés du régime, membres des clans au pouvoir : comme d’habitude, ils s’étaient mis à vendre leurs actions pour acheter de l’or et du dollar afin de préparer leur fuite : les activités à la bourse avaient augmenté de 200% et les valeurs avaient baissé d’au moins 20%, le prix du dollar avait en revanche enregistré une hausse de 15% à 20% par jour. Sans une injection quotidienne et massive de dollar sur le marché par la Banque Centrale, le dollar aurait augmenté de 60 à 80% en quelques jours, il aurait même pu doubler. Ce qui aurait intensifié la fuite des associés du régime qui sont surtout riches en rials iraniens. Le scoop de la semaine était que ces gens s’étaient mis à vendre leurs villas du bord de la Mer Caspienne (qui risquent d’être occupées par les habitants de la région ou les miliciens en rupture avec l’Etat) et qu’en l’absence d’acheteurs, ils s’étaient résignés à échanger d’immenses propriétés contre une automobile ! Le régime devait rassurer ses derniers collaborateurs sans lesquels il est fini : il avait annoncé la création d’une nouvelle brigade de police pour malmener les femmes mal voilées : le choix de la cible avait laissé supposer que le régime ne pouvait s’en prendre qu’à des femmes : ce n’était pas une bonne idée. Les images de la brigade ont été également décevantes car le corps était composé de gens plutôt âgés. Enfin, ce corps était resté dans le domaine du bluff car il n’a arrêté personne. Cette semaine, avant le 20 juin ou pendant cette journée qui rappelait sa faiblesse face à un soulèvement, le régime aurait dû hausser le ton pour rassurer les siens. Le dimanche 19 juin, le régime a organisé une conférence de presse du n°2 du pouvoir judiciaire, organe qui annonce surtout les pendaisons. On pensait qu’il allait annoncer des mesures plus fortes : le bonhomme a surtout justifié l’absence d’intervention de la nouvelle brigade en évoquant l’absence d’effraction dans le port du voile !
Larijani avait un large choix car Rafsandjani est devenu le maître absolu du pays pendant 20 ans en ayant sous la main des pions extrémistes comme Ahmadinejad pour attaquer ses adversaires ou les Occidentaux et des pions modérés comme Khatami pour apaiser ses adversaires en cas d’échec des offensives. L’objectif du système étant d’attaquer par Ahmadinejad pour négocier de meilleurs accords, Larijani devait mitrailler Ahmadinejad pour déstabiliser Rafsandjani. Toute attaque contre Ahmadinejad par un tiers n’appartenant pas au clan Rafsandjani étant vue par ce dernier comme une déclaration de guerre, Larijani devait aller très vite pour ne laisser aucune chance de riposte à son rival. Il a commencé les hostilités au Parlement qu’il préside comme une entreprise, en utilisant les députés comme de simples pions pour remettre en cause le nouveau ministre des sports d’Ahmadinejad, ce dernier s’est même fait huer. Larijani était hilare !
Mais Larijani n’était pas le seul à vouloir détourner l’attention et faire oublier le soulèvement du 20 juin : le clan de Rafsandjani qui avait orchestré la révolution verte avant d’être dépassé par les événements a préféré garder le silence : il n’a demandé aucun rassemblement pour célébrer cette journée de révolte. Ce lundi 20 juin, es deux clans, qui se disputent le pouvoir en Iran, ont constaté avec joie que leur envie de faire oublier le soulèvement du peuple était partagé car l’Europe qui voit la chute du régime comme la fin de ses contrats n’a rien publié pendant ce jour sur l’Iran. Washington qui ne veut pas la fin du régime, mais son affaiblissement afin que les mollahs cèdent le pouvoir à ses pions a même été plus actif en donnant la parole à une femme se prétendant être la mère de Neda et demandant à chacun de ne jamais plus manifester en mémoire de cette dernière !
Si la vraie mère de Neda a été doublée, le père de Neda a été censuré par les producteurs américains du documentaire car il avait donné des interviews en 2010 pour affirmer que sa fille et sa famille n’étaient pas partisanes du Mouvement Vert, mais partisanes de la liberté pour corriger l’erreur que fut la révolution de 1979.
Le mardi 21 juin (fête de la musique), Washington est allé encore plus loin en expédiant en Iran un de ses pions régionaux, le ministre irakien des affaires étrangères Zibari, avec des promesses de contrats pour susurrer un deal à l’oreille de Larijani. Ironie du sort, le protocole a voulu que l’envoyé de Washington soit reçu par Salehi, un des ministres issus du clan Rafsandjani et ciblé par Larijani ! On comprend le malaise de l’envoyé américain et le bonheur du ministre iranien d’être au courant du deal avant l’actuel patron du régime Larijani !
Le meilleur des mondes - épisode 1 | Larijani a commencé ce délire dès le mardi 21 juin avec la tenue d’un rassemblement pour la distribution des prix d’excellence aux professeurs miliciens. Mais les invités n’avaient pas envie de rire.
Le soir même, un premier homme du clan de Rafsandjani a été arrêté, le bureau de Rafsandjani au Conseil de discernement a brûlé ! Son homme de confiance qui dormait sur place pour veiller à ses affaires a été gravement blessé ! Ce jeudi, loin du monde parfait de la propagande du régime, un petit village touristique de Klar-dasht dans le nord pays a été dévasté par une crue qui a détruit 150 maisons. Ce vendredi, aucun représentant des deux clans n’a consacré son temps libre pour visiter les sinistrés : les deux clans ont montré leur désintérêt pour le peuple et aussi leur peur d’aller à la rencontre du pays qui les rejette.
Il s’agit en fait d’une photo d’archive car le siège à droite de Rafsandjani qui est réservé au chef du pouvoir judiciaire est occupé par l’ancien chef de judicaire, l’ayatollah Hachtroudi, alors qu’il devrait être occupé par Sadegh Larijani, l’actuel chef du pouvoir judiciaire qui est le frère cadet d’Ali Larijani. Le recours à une image d’archive faisant état d’une bonne ambiance laisse supposer qu’au contraire, l’ambiance n’était pas franchement à la rigolade. Les faits confirment cette hypothèse car le clan des Larijani a annoncé l’arrestation d’un quatrième proche du clan adverse. La guerre continue donc. Les Larijani mènent aux points. Mais contrairement à l’image d’archive diffusée par la presse, leur chef Ali a perdu son sourire du début de la semaine : il n’a pu décrocher un seul sourire lors d’une réunion des associations islamiques d’ingénieurs qu’il préside. La victoire ne lui semble pas acquise. Cela promet des passes d’armes plus toniques et en conséquence, de nouvelles paniques internes suivies de nouvelles ruptures. Youpi !
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