A Washington & à Bonn : La crise iranienne, enjeu de politique intérieure (nos commentaires)
16.08.2005
La réponse sans équivoque de Gerhard Schröder à George Bush rappelle aux Allemands un épisode de l’histoire récente. Il y a trois ans, le chancelier allemand s’était fortement opposé à la guerre américaine en Irak et avait utilisé pratiquement les mêmes mots pour refuser par avance toute implication de son pays dans une solution militaire.
[Pierre Prier- Le Figaro - 15 août 2005]
La comparaison ne s’arrête pas là. Il y a trois ans, Gerhard Schröder se trouvait en fort mauvaise position électorale. On était en campagne pour les législatives, et son parti, le SPD, traînait dans les sondages. Sa position vis-à-vis de l’Irak, jouant sur les sentiments pacifistes d’une bonne partie de l’opinion, avait contribué à sa victoire.
Aujourd’hui, le chancelier risque de nouveau de devoir céder son siège à sa concurrente de la CDU, Angela Merkel, à l’issue des législatives anticipées de septembre, déclenchées après la défaite du SPD aux dernières élections régionales.
Il n’en faut pas plus aux observateurs de la politique allemande pour penser que Schröder tente de renouveler le « coup » qui lui avait si bien réussi la première fois.
Dans les milieux européens, on n’est pas loin de penser que George Bush a pu avoir le même souci de son opinion publique. Le président américain aurait voulu redresser la barre, ses dernières déclarations sur l’Iran ayant été critiquées dans les milieux conservateurs. Bush y réaffirmait son soutien à la doctrine américaine face au nucléaire iranien : soutien aux pays de l’« UE 3 », la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, chargés d’amener l’Iran à renoncer à son programme par la négociation. Faute de quoi le cas serait transmis au Conseil de sécurité de l’ONU.
Hier, en fin d’après-midi, les gouvernements français et britanniques semblaient vouloir s’en tenir à cette analyse de la crise germano-américaine, sur laquelle ils restaient discrets.
Gerhard Schröder a pourtant remis tacitement en cause l’alliance entre Washington et la troïka, en affirmant que les Européens et les Américains étaient « jusqu’à maintenant » d’accord sur les moyens de parvenir à leurs fins.
Cette remarque préfigure-t-elle de futures dissensions ?
Les partenaires ont d’ores et déjà du mal à cacher leurs différences de vues. Les Américains estiment sans le dire officiellement que le recours au Conseil de sécurité est inévitable, tandis que les Européens veulent encore croire à une solution négociée, malgré les dernières provocations iraniennes.
La décision de saisir le Conseil de sécurité reviendra au Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’organe onusien de vérification, qui devrait se réunir le 3 septembre.
L’affrontement pourrait alors se dérouler entre les cinq membres détenteurs du droit de veto au Conseil de sécurité.
- La Russie, qui construit une centrale nucléaire en Iran, ne l’utiliserait sans doute pas : Moscou a fermement critiqué la décision iranienne de poursuivre ses activités nucléaires.
- La Chine, en revanche, est un gros acheteur de pétrole et de gaz iranien, et son attitude est incertaine. En tout état de cause, le Conseil voterait d’abord des sanctions. Le recours à la force resterait une option éloignée. George Bush, au fond, n’a fait que rappeler une règle fondamentale : il n’y a pas de diplomatie forte qui ne s’appuie sur la puissance militaire.
- La France : l’arbitre inattendu d’un vote décisif.
- La France réalise avec l’Iran son 12e excédent commercial. La France est, avec 8,5 % de parts de marché, le 3e fournisseur de l’Iran, lequel est son 27e client (son 3e client au Moyen-Orient). Le secteur automobile concentre 55 % des exportations françaises. Les entreprises françaises sont également très actives dans le secteur des hydrocarbures (contrats de buy-back, fourniture d’équipements), les transports ferroviaires et maritimes, et le secteur financier.
- Les contrats de Total en Iran. Dès 1995, Total, associé à Gazprom (Russie) et à Petronas - Malaisie, pays non-alignés et actuel président du Conseil des Gouverneurs de l’AIEA -, a présenté une offre et obtenu le contrat pour la mise en valeur du champ d’huile de Sirri. En 1997, le groupe a signé, malgré la menace des sanctions américaines liées à la loi d’Amato, un contrat pour le développement d’une partie du champ gazier de South Pars, ce qui a suscité une vive réaction de la part des autorités américaines.
- Gaz de France coopère depuis 1990 avec la NIGC (National Iranian Gas Company), avec laquelle il a constitué un accord d’association. Dans le cadre d’un consortium avec Shell, British Gas et Petronas, Gaz de France a proposé de développer une phase de South Pars et de financer les investissements dans le réseau iranien pour transporter le gaz jusqu’à la frontière turque, dans le cadre d’un projet d’exportation de gaz vers la Turquie. Le groupe participe également, avec huit autres sociétés pétrogazières, à l’étude sur l’utilisation du gaz de South Pars commandée par la NIOC.
- Le sénat Français estime que l’avenir des contrats de buy-back est primordial pour le renforcement des partenariats franco-iraniens.
- En Avril 2004 : L’Iran a décidé d’attribuer à Total le développement de la phase 11 de l’immense champ gazier de Pars du Sud, situé dans les eaux du Golfe. Un contrat d’environ 1,2 milliard de dollars renforçant encore l’engagement du pétrolier français en Iran. Total, le britannique BP, l’italien Eni et le norvégien Statoil s’étaient portés candidats. Le groupe français bénéficiait de l’avantage d’être fortement impliqué en Iran, en particulier dans le gaz naturel liquéfié (GNL) que l’Iran souhaite exporter vers l’étranger.
- Le stock global de l’investissement français en Iran est (selon les sources françaises) de 35 Milliards de dollars hors contrats de Buy-Back signés dans le secteur pétrolier et gazier par Total.
- L’Allemagne occupe la première place avec 11,4% et la France la seconde avec 8,5% du marché iranien. Dans l’ensemble 51,8 % des importations proviennent de l’UE. C’est pourquoi l’UE fait son possible afin que la République Islamique échappe à une Saisine par le Conseil de Sécurité de l’ONU.
- Ils savent que seules des sanctions diplomatiques et économiques affaibliront les finances du régime et handicaperont sa lourde machine de répression. Les Iraniens savent que c’est là une condition nécessaire et unique. Sanctionnés, les mollahs seront dans l’impossibilité de rémunérer leurs 2 Millions de mercenaires anti-émeutes (les Bassidjis), derniers remparts du régime.
- Le comportement de la France au Conseil de Sécurité de l’ONU inquiète les Iraniens.
- Informations complémentaires sur le Buy-Back
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