Il y a un an, le 12 juin, apparaissait le Mouvement Vert partisan de Moussavi, candidat présidentiel en faveur d’un retour aux valeurs fondamentales de la révolution islamique, c’est-à-dire le refus de dialogue avec les Etats-Unis. L’idée était de donner un parfum de plébiscite démocratique au refus de dialogue afin de délégitimer le recours aux sanctions pour punir son rejet de tout compromis sur le nucléaire. La réussite du stratagème dépendait d’une forte mobilisation autour de Moussavi. Pour obtenir ce résultat, le régime a autorisé les manifestations en demandant à ses faux opposants basés à l’étranger d’appeler le peuple à bouger. Du 15 au 25 juin, des millions d’Iraniens étaient dans les rues, mais ils ne criaient pas vive Moussavi, ils étaient silencieux, ils chantaient l’hymne national d’avant la révolution, ils criaient mort à la république islamique ou appelaient à la grève générale. Le régime a eu très peur, Moussavi a pris la parole dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien Réplique Islamique (qu’il avait jadis dirigé) pour qualifier le soulèvement de vandalisme contre-révolutionnaire et pour demander au Guide de se montrer impitoyable pour casser cette émeute. Il y a eu des centaines de mort dont le Mouvement Vert ne parle jamais.

Après ces trahisons, le Mouvement Vert a eu encore moins de succès. Les Iraniens ont toujours ignoré ses appels aux rassemblements. Il est cependant le seul moyen pacifique et durable du régime pour refuser le dialogue, mais aussi prétendre à l’illégitimité des sanctions, c’est pourquoi le régime et son Mouvement Vert cherchent sans cesse des solutions pour mobiliser le peuple récalcitrant.

Un des axes permanents de l’effort de mobilisation a été la mise au point de slogans révolutionnaires, mais pas hostiles au régime : c’est ainsi que l’on avait entendu « mort au dictateur » qui évoque une dérive non démocratique d’Ahmadinejad au sein du très formidable régime démocratique qu’est la république islamique ! Cela n’a pas convaincu les Iraniens. Le régime a alors parlé d’une dérive non démocratique de Khamenei avant de proposer le slogan « mort à Khamenei », slogan qui vise l’homme, mais pas sa fonction. Cela n’a pas non plus réussi à mobiliser les Iraniens. La troisième ruse a été la bonne : le Mouvement Vert a appelé à une manifestation le 9 juillet, date anniversaire de la révolte estudiantine de 1999, un événement perçu comme hostile au régime alors qu’il ne l’était pas vraiment car les fameux étudiants en révolte étaient comme les animateurs du Mouvement Vert en faveur d’un retour aux principes fondateurs de la révolution islamique. Cependant en raison de la bonne image de cet événement dans l’inconscient collectif, il y a eu une forte mobilisation silencieuse, signe d’une désapprobation des slogans proposés. Mais au retour chez eux, en regardant CNN, les Iraniens ont découvert que le régime avait ajouté des slogans pro-Moussavi sur les images de leurs rassemblements. Par la suite, Il y eut plus d’une dizaine d’appels aux rassemblements lancés par le Mouvement Vert à des dates célébrant la révolution islamique ou ses principes fondateurs, mais il n’y a eu aucune mobilisation. Pendant cette période, l’opposition hostile au régime a lancé un appel au rassemblement en mémoire des victimes du soulèvement et le peuple s’est fortement mobilisé.

Ce boycott massif a poussé le régime vers des solutions radicales. Dernièrement, son approche a été de pendre des vrais opposants à quelques jours d’un appel au rassemblement du Mouvement Vert pour exploiter un possible mouvement de colère. Cela n’a pas marché. Il y a une semaine à peine, nous écrivions que la dernière solution du régime serait de mitrailler la foule pour attirer les gens dans la rue afin de pouvoir tourner des images qui deviendraient pro-Moussavi grâce à un bon trucage de la bande son. On s’approche de cette solution radicale avec ce qui est arrivé ce mercredi au Bazar.

Depuis 3 jours, le Bazar de Téhéran était en grève en raison de l’annonce de l’entrée en vigueur imminente d’une nouvelle taxe commerciale qui se calcule non pas sur les bénéfices, mais sur le chiffre d’affaires. Cet impôt baptisé TVA a été décidé en 2008 au moment des premières difficultés financières du régime. La TVA des mollahs avait provoqué la colère des marchands d’or qui ont d’importants chiffres d’affaires, mais peu de marges. Ces derniers avaient alors baissé les rideaux en menaçant le régime de faire une grève générale insinuant qu’ils pouvaient paralyser l’économie nationale comme ils l’avaient fait sous le Chah pour contribuer à sa chute. Le régime avait alors envoyé des gros bras pour intimider les commerçants et avait évoqué la possibilité de confisquer les avoirs des mauvais payeurs, mais il avait fini par reculer en renvoyant l’application de la taxe à une date inconnue.

Par la suite, ils avaient ponctionné les Bazaris en vidant leurs comptes de devises pour compenser ses manques de capitaux étrangers. Quand les Bazaris ont découvert ce larcin, le régime a annoncé des poursuites contre les personnes souhaitant fermer leurs comptes et certaines sections turbulentes du Bazar ont brûlé ! Les premières victimes étaient les marchands d’or, puis une semaine plus tard ce fut le tour des marchands de textile qui avaient été les principaux artisans de la révolution islamique.

Cette semaine, lundi, ces deux sections frappées par le régime, mais aussi toutes les autres, ont baissé les rideaux à l’annonce de la réactivation d’une version plus musclée de la TVA abandonnée en 2008. Mardi, le bazar était presque entièrement fermé comme pendant la révolution islamique. Du jamais vu. Le régime a alors engagé des négociations avec le représentant des marchands de tissu qui semblent avoir été à l’origine de cette grève générale, mais sans évoquer l’existence d’une grève générale. Une vidéo (ci-dessous) de cette journée a été réalisée par l’agence INA qui est affiliée au Mouvement Vert, mais elle n’a été diffusée que le lendemain (plus loin, nous verrons pourquoi). On y voit des rideaux baissés et des couloirs calmes, mais aucun milicien. C’est ce que l’on peut qualifier d’occasion en or car le Mouvement Vert a souvent parlé d’une solidarité entre le peuple et les Bazaris. Mais bien qu’informé, il a omis de lancer un appel à la solidarité car le but du Mouvement Vert est de préserver le régime et non contribuer à sa chute avec une grève durable.
© WWW.IRAN-RESIST.ORG

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Mercredi, l’agence INA a tourné une seconde vidéo, très similaire à la première : les boutiques étaient fermées, signe d’un échec des négociations et d’une possible reconduction de la grève générale. Le régime a alors pris les choses en main pour gérer la crise. Des sites affiliés au Mouvement Vert ont commencé à diffuser un récit abracadabrant dans lequel une grève partielle dans la section textile était sur le point de se généraliser dans cette section et de s’étendre dans d’autres sections à la suite de l’agression mortelle dans sa boutique de la section textile d’un marchand âgé et respecté par des bassidjis. Peu de temps après, l’INA a diffusé ses deux vidéos en appui de ce récit et dans la foulée, les Etudiants du Mouvement Vert ont fait part de leur solidarité avec les Bazaris : ils ont cautionné la grève générale et ont appelé à une manifestation populaire ce jeudi aux abords du Bazar.

Passons le mensonge de la grève localisée qui ne concorde pas avec les images tournées par l’agence du Mouvement Vert… Si un marchand respecté du Bazar avait effectivement été poignardé par des bassidjis, il y aurait eu une bagarre générale et des morts du côté des bassidjis, puis une procession mortuaire suivie d’une petite émeute et non un appel à la grève générale dans la section et l’annonce d’un ralliement de la section or à partir de dimanche. Le régime est en train de profiter de l’occasion pour aider son Mouvement Vert en lui attribuant la grève générale qui existe déjà depuis 3 jours tout en minimisant la portée de cette action sociale qui évoque un affaiblissement interne.

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Pour en savoir + sur :
 Iran : C’est le bazar au Bazar !
 (16 janvier 2010)