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Iran, Corée du Nord, Poutine et le droit international
12.10.2006

Vladimir Poutine a invité la communauté internationale à faire preuve d’un respect unanime vis-à-vis des droits internationaux de la RDCN [1] et de l’Iran. La proposition de Moscou propose d’ouvrir une nouvelle forme de dialogue avec les états à qui l’on reproche justement d’avoir violé les droits internationaux. Mais il convient de se pencher sur cette proposition car elle laisse voir le rôle joué par Moscou dans cette crise.



« L’essentiel est d’agir unanimement aussi bien sur le volet nord-coréen que sur le problème nucléaire iranien… Il faut passer du langage des ultimatums et des sanctions à l’application du droit international dans les affaires internationales, pour que chaque pays, petit ou grand, fort ou faible, se sente protégé par ces normes obligatoires pour tous les Etats…Tant qu’ils auront le sentiment d’être lésés et ne se sentiront pas en sécurité, ils continueront à se conduire comme ils le font », a fait remarquer Vladimir Poutine.

Comme nous l’avions précisé dans notre analyse au lendemain de cet essai : Il y a désormais une Gestion Commune de Crise par l’axe Téhéran-Moscou-Pyongyang, et les retombées de gestion pourront satisfaire le Trio. Les événements nous donnent raison : Pékin s’est désolidarisé de Pyongyang et Moscou distribue les cartes.

C’est Moscou qui a confirmé la magnitude séisme (alors qu’il existe encore de sérieux doutes au sujet de la véracité de l’essai). C’est encore Moscou qui a annoncé que la Corée du Nord était désormais la 9e puissance nucléaire et finalement, après tant d’effort et si peu de réaction, Poutine a dû abattre son jeu et demander à voix haute ce qui aurait dû s’imposer logiquement comme une solution unanime et égalitaire à « tous les problèmes de ce type ».

Or, il n’existe pour l’heure que 2 cas de « problèmes de ce type », deux cas qui diffèrent sur de nombreux critères essentiels aussi bien d’un point de vue géopolitique que du point de vue du droit international qui semble être devenu un souci pour le Président Russe.

Le souci de Poutine d’apporter une réponse unitaire à « tous les problèmes de ce type », c’est-à-dire à la Corée du Nord comme à l’Iran, démontre que la Russie entend nier les réalités géopolitiques régionales du cas iranien et sortir la nucléarisation de ce pays du contexte terroriste dans lequel il se trouve en raison de son système politique. La Russie entend séparer le problème du Hezbollah du problème de la nucléarisation militaire du régime politique qui a inventé le terrorisme islamique et le Hezbollah pour assurer l’exportation de son modèle politique.

La Russie s’approche en ce sens de la diplomatie Française qui professe la même doctrine : l’Iran et le Liban sont deux problèmes séparés du moins quand le président Jacques Chirac ne fait pas de confidence hors antenne. C’est d’ailleurs étonnant d’entendre parler du rôle central de la France sur la scène internationale quand ce pays crie à tort et à travers qu’il n’existe aucune scène internationale mais des problèmes séparés sans aucun rapport les uns avec les autres. Cette amusante théorie est d’ailleurs reprise par les journalistes proches du Quai d’Orsay et les experts internationaux.

Cette approche « française » de la diplomatie Russie rencontrera certainement des échos positifs en Europe qui aimerait ne pas imposer de sanctions à l’Iran. L’Europe est le premier partenaire commercial de l’Iran et les sanctions lui seront préjudiciables.

Mais si les Russes et les Européens ont un même souci d’éviter les sanctions à l’encontre de l’Iran, leurs objectifs sont différents. La Russie comme l’Iran est un producteur d’hydrocarbures et l’Europe n’est pas un conglomérat d’états producteurs de pétrole mais un ensemble incohérent de pays consommateurs du gaz et du pétrole Russe ou Iranien. Un rapprochement entre l’Iran et la Russie pèsera lourd sur l’avenir de l’approvisionnement énergétique de l’Europe.

Le souci de Poutine de séparer le problème du Hezbollah et celui du nucléaire iranien est compréhensible : il entend aider le régime des mollahs car nul doute que ce lien existe et qu’il est au centre des négociations nucléaires avec l’Iran. Le régime des mollahs sait qu’il peut jouer des Garanties de Sécurité concernant le Hezbollah en échange d’un gel hypothétique de ses activités nucléaire. Mais il espère garder les clauses de cette entente secrète, ce qui nous ramène à l’utilité de la séparation des deux problèmes.

Le maintien du Hezbollah sera une aubaine pour la Russie qui est le principal fournisseur de missiles de l’Iran qui les redistribue au Hezbollah. L’obstination des Européens en général et de Jacques Chirac en particulier à ménager le Hezbollah est motivée par les menaces de représailles économiques à l’encontre de la France et des menaces terroristes des mollahs en France, mais la Russie a d’autres motivations en aidant les mollahs à préserver la suprématie du Hezbollah au Liban.

La Russie a besoin que la région entre l’Iran et le Liban, c’est-à-dire l’Irak, reste en état de guerre civile permanente. La Russie a besoin du pouvoir de nuisance terroriste du régime des mollahs servi par les capacités extraordinaires du territoire iranien qui a des frontières communes avec l’ensemble des pays dont la sécurité est vitale pour l’approvisionnement énergétique de l’Europe, du Japon et des Etats-Unis.

En se basant sur l’offre Russe, les Européens renforceront le régime des mollahs qui peut non seulement menacer leur approvisionnement mais aussi la paix sociale en Europe car ce même régime finance des mosquées intégristes et des chaînes islamistes qui sont captées en Europe et agissent sur le comportement des citoyens et résidents européens de culte musulman (on a vu un exemple de ce comportement dans l’affaire de l’Opéra de Berlin).

L’offre de Poutine est proche des objectifs à très court terme de l’Europe. Mais dans un délai de quelques années, les conséquences des décisions que prendra l’Europe d’aujourd’hui permettront à la Russie aidée par l’Iran de contrôler la stabilité de ses voisins (Irak & Afghanistan), et ainsi de contrôler les routes de transit du pétrole ou le gaz vers l’occident.

On constate également dans les propos de Poutine un souci de respect des droits de chacun : de fil en aiguille, la Russie essaie d’introduire son concept des Garanties de sécurité et d’un droit limité aux recherches nucléaires pour les petits pays. Dans le cas de l’Iran, les Garanties de sécurité concernent le Hezbollah et prépareront les conditions d’un contrôle des routes du pétrole.

Mais le plus pernicieux reste ce concept du droit à l’enrichissement pour le nucléaire civil qui débouchera sur une jurisprudence permettant à de nombreux pays, tous alliés de Moscou, de se lancer dans l’aventure nucléaire. Il n’existe aucune frontière entre l’enrichissement civil et l’enrichissement militaire et la reconnaissance du droit à l’enrichissement civil équivaut à la reconnaissance du droit au savoir faire nucléaire militaire, c’est pourquoi cette jurisprudence est la plus pernicieuse des deux propositions de Vladimir Poutine. L’offre est en fait composée de 2 volets : l’un immédiat serait d’accorder des Garanties de Sécurité l’Iran+Hezbollah et l’autre stratégie pour la modification de la dissuasion à 5.

L’offre de Poutine est d’apparence pacifiste, mais en dehors de son déni des réalités géopolitiques et du savoir faire nucléaire, elle a des défauts qui la handicapent sérieusement et justifient qu’on l’écarte. Le Président Poutine fait référence au droit international : la Corée du Nord n’est pas signataire du TNP, mais l’Iran l’est malgré lui. On ne peut donc pas les traiter de la même manière. Par ailleurs l’Iran ne ratifie pas le Protocole additionnel et il a handicapé les inspections en exerçant des pressions sur les inspecteurs de l’AIEA. Ces deux faits nourrissent les doutes quant à l’ampleur de ses équipements et la nature de ses travaux. Étant par ailleurs signataire du TNP, l’Iran n’a pas le droit de posséder de technologie à l’eau lourde : ce qui fait un troisième point de violation du droit international.

- Évidemment, la Russie connaît également ces violations et défauts du programme nucléaire iranien, mais néanmoins elle insiste sur le droit international. Pourquoi ?

Il y a deux raisons très importantes : dans l’immédiat le droit international protège la Corée du Nord car ce pays n’est pas signataire du TNP. La 2e raison est que si l’Iran décidait de quitter l’armada des alliés de la Russie, ce dernier ferait valoir le droit international et les violations du TNP.

Hypothèse Bis | C’est un point de doute que nous soulevons. Il se pourrait bien que l’essai nucléaire Nord Coréen n’ait pas été orchestré avec le consentement des mollahs mais bien contre leur gré. Actuellement les mollahs font des pieds et des mains pour arriver à un accord avec les Américains pour se libérer de l’étreinte d’un allié contraignant comme la Russie car l’Iran et la Russie demeurent des concurrents en matière de pétrole et de gaz.

De ce fait le plan conçu par la Russie pour contrôler les routes du pétrole n’est effectivement réalisable que grâce à une totale soumission iranienne aux exigences de cette stratégie. Ceci rend l’Iran totalement dépendant du bon vouloir de la Russie et les mollahs ne désespèrent pas d’arriver à un accord de Garantie sur le Hezbollah avec les USA et l’UE.

Actuellement Khatami bat le pavé pour trouver des oreilles attentives aux offres des mollahs et il compte un allié de poids aux Etats-Unis en la personne du N°2 de la diplomatie américaine. L’essai nucléaire Nord Coréen est tombé à point nommé pour générer une crise internationale susceptible de ruiner les efforts des mollahs et leurs amis en occident. La réaction gênée des mollahs et leur déclaration sur « un monde sans arme » trouvent une autre explication car le régime des mollahs a toujours privilégié de travailler sur l’opinion publique des états Européens pour faire valoir son droit à l’enrichissement. Et là soudainement l’opinion prend conscience de la fragilité de la paix si les mollahs viennent un jour à posséder l’arme nucléaire avec l’aide de Corée du Nord.

Les conséquences | Moscou a sans doute donné un grand coup de pied dans la fourmilière pour ruiner définitivement les efforts des mollahs pour arriver à une entente avec ses adversaires et surtout sans elle.

In fine, cette crise ne nuit pas réellement aux mollahs dans le sens où elle contribue à amplifier la crise mais elle diminue le poids diplomatique de leurs alliés Américains (N. Burns, James Baker…) ou Européens (Solana, Chirac…). Cette crise souligne le danger du dialogue avec des états sans scrupule. Après son coup d’éclat pour neutraliser le dialogue sans la Russie… Poutine nous rappelle l’importance du dialogue (selon ses propres règles) !

[1RDCN | République Démocratique de la Corée du Nord