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Le Point | Liban : Les calculs de Chirac
28.08.2006

Par Mireille Duteil | Le président français a longtemps hésité sur l’importance du contingent français participant à la force internationale au Sud-Liban. Sa crainte : être pris en otage entre le Hezbollah et Israël.




Le traquenard |
Dans l’affaire libanaise, ces derniers jours, la France s’est soudain sentie prise au piège. Il ne pouvait être question de céder aux pressions internationales, qui la poussaient à s’engager militairement, et massivement, dans la force internationale qui devait se constituer. Mais pouvait-elle abandonner son ami et allié libanais, au risque de voir la région s’enflammer de nouveau ? Après des hésitations, moultes consultations avec Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, qui souhaitait un engagement français plus marqué, et l’annonce italienne d’envoyer autour de 3 000 hommes, Jacques Chirac a tranché. La France n’abandonnerait certes pas le Liban, mais elle ne volerait pas sans garanties au secours de la région, tout en augmentant, semble-t-il, son contigent (plus ou moins que l’Italie ?) sur place.

Car le contexte est explosif, le cessez-le-feu, éminemment fragile. Une semaine après l’arrêt des hostilités, le 14 août, Israël, qui connaît de fortes turbulences en politique intérieure (voir l’article de Danièle Kriegel), menace de repartir pour un second round. L’incursion de Tsahal, le week-end passé, à Baalbek, pour y kidnapper le trésorier du Hezbollah, a un avant-goût amer. Les responsables politiques iraniens, eux, rêvent d’en découdre avec les Etats-Unis et multiplient les provocations. Ils peuvent utiliser le parti de Dieu. La Syrie, avec laquelle la France ne veut pas parler, se sent renforcée par la victoire, au moins apparente, de son allié hezbollahi.

Pour Paris, la situation était éminemment inconfortable. Sur les bords de la Seine, personne ne semblait pressé de jouer les risque-tout et d’avoir à désarmer les combattants du Hezbollah. Jouant petit bras, le ministère de la Défense a envoyé, le 20 août, à Naqoura, siège de la Finul - la Force intérimaire des Nations unies au Liban -, un premier contingent de 50 hommes censé être suivi par cent cinquante autres trois jours plus tard (voir le reportage d’Emilie Sueur). Il s’agissait d’hommes du génie spécialisés dans le déminage, qui venaient renforcer les 1 990 Casques bleus, dont 208 Français, déjà sur place depuis 1978.

Le 21 août, soudain, la presse américaine se déchaîne contre « cette grande puissance qui ne veut prendre aucun risque ». Un argument curieux puisque la grande Amérique n’a pas l’intention d’envoyer un seul soldat dans les montagnes pelées du Sud-Liban.

« Personne, aucun pays ne veut y aller, reconnaît un diplomate européen. La raison, c’est que la situation est dangereuse et volatile. » Pourquoi cette mauvaise humeur outre-Atlantique ? Les Français auraient-ils fait des promesses inconsidérées ? Américains et Israéliens disent avoir compris - ou feignent d’avoir compris - que la France voulait prendre la tête de la nouvelle force internationale - Kofi Annan réclame 15 000 hommes - et donc très logiquement envoyer un nombre relativement important de soldats. On parlait même de 2 000 Français. « Aucun responsable politique n’a jamais avancé de chiffre. Et, si quelques pipelettes ont bavassé en profitant du vide du mois d’août, nous n’y pouvons rien », explose un responsable français.

On retombe, plus prosaïquement, sur l’éternelle querelle franco-américaine. Lorsque les bombes israéliennes tombaient sur la banlieue chiite de Beyrouth et le sud du pays, renvoyant vingt-cinq ans en arrière une économie libanaise qui se remettait difficilement des conflits passés, Paris avait pris la tête des pays qui tentaient d’obtenir la fin des hostilités. La diplomatie française y est parvenue, non sans mal, alors que les Américains refusaient d’imposer aux Israéliens l’arrêt des bombardements. Le triptyque français était clair : cessez-le-feu, accord politique puis envoi d’une force internationale. Les Etats-Unis et Israël exigeaient d’abord l’envoi d’une force pour désarmer le Hezbollah. Un accord politique ultérieur serait suivi d’un cessez-le-feu. Les calendriers étaient aux antipodes. Paris l’a emporté. Les Français ont-ils alors laissé entendre, pour rallier Washington, qu’ils enverraient des militaires en quantité significative ? Ou les Américains tentent-ils d’imposer aujourd’hui ce qu’ils ont abandonné il y a dix jours en signant la résolution 1701 qui a permis l’arrêt des combats ? C’est la thèse défendue sur les bords de la Seine.

« Il n’y a pas de solution militaire à ce conflit. Il faut une adhésion politique à une installation de la paix dans cette région. Qui va obliger le Hezbollah à désarmer et Israël à respecter les frontières du Liban ? », s’interroge-t-on à l’Elysée. Telle est la teneur du discours que Dominique de Villepin et Philippe Douste-Blazy, le chef de la diplomatie française, doivent tenir à Tzipi Livni, la ministre des Affaires étrangères israélienne, lors de son prochain passage à Paris.

La diplomatie française avait deux autres exigences pour envoyer des troupes dans la Finul. La première, réglée au début de la semaine à l’Onu, portait sur les règles d’engagement et la chaîne de commandement. « Il n’est pas question que la Finul soit une force fantôme », explique-t-on. Les militaires français connaissent le Liban, ils savent que ce terrain n’est pas facile. Ils ont de mauvais souvenirs de l’opération Drakkar, en 1983, qui s’était soldée par la mort de 58 soldats dans un attentat attribué au Hezbollah. Jacques Chirac se souvient aussi de la Bosnie et des 80 hommes que la France avait perdus en agissant sous un mandat qui excluait l’usage de la force. La résolution 1701 exclut - car le gouvernement libanais s’y oppose - l’utilisation du chapitre 7 de la chartre de l’Onu, qui permet l’usage de la force. Paris semble avoir obtenu que le chapitre 6, officiellement plus restrictif, permette aux militaires d’assurer leur défense et le commandement de la force sa pleine liberté de manoeuvre.

Seconde exigence française : que la Finul rassemble des soldats européens et des ressortissants de pays musulmans. C’est presque fait. Un nouveau match franco-italien par Finul interposée s’est déroulé entre Rome et Paris. Poussé par les Israéliens et soucieux de redonner à l’Italie un rôle diplomatique au Proche-Orient, qu’elle connaît bien, Romano Prodi, le président du Conseil italien, a pris l’avantage sur Jacques Chirac. Samedi, au téléphone, il lui annonçait qu’il avait décidé d’envoyer des hommes au Liban. Il ne précisait pas le nombre. Depuis, Rome a avancé le chiffre d’environ 3 000 soldats. Mais l’Italie ne devrait pas prendre le commandement de la force. Celle-ci restera entre les mains du général français Alain Pellegrini jusqu’en février 2007. L’Espagne devrait envoyer aussi entre 800 et 1 000 hommes. La Belgique suivra probablement. La Malaisie a été le premier des pays musulmans à fournir un contingent ferme, Israël faisant savoir qu’il ne voulait pas de soldats de pays qui n’entretiennent pas de relations diplomatiques avec lui.

Au-delà des réticences de certains militaires français à retourner dans ce Liban qui fut autrefois un bourbier, la diplomatie française fait valoir plusieurs raisons à sa décision de garder un profil relativement bas.

Paris est convaincu, à juste titre, que le conflit entre le Hezbollah et Israël va bien au-delà d’une querelle de voisinage. Plus que le parti de Dieu et Israël, ce sont l’Iran et les Etats-Unis qui se font la guerre par alliés interposés, et plus généralement il s’agit d’un conflit où certains - l’Iran - voudraient mettre aux prises le monde musulman et l’Occident. C’est la raison pour laquelle Jacques Chirac insiste pour impliquer des pays musulmans dans la force internationale en constitution. Pas question pour Paris d’apparaître comme le fourrier des Etats-Unis faisant la guerre au monde islamique.


L’autre raison tient à l’Histoire |
« Compte tenu de notre histoire d’ancienne puissance mandataire du Liban et de notre rôle dans la résolution 1559, qui a entraîné le retrait syrien de ce pays, je me demande si la France est le mieux placée pour jouer un rôle militaire important au pays du Cèdre », s’interrogeait, la semaine passée, un responsable français.

En fait, Paris a un point faible et un atout dans cette région du monde. Le point faible : son refus de parler avec la Syrie. « On ne peut pas parler qu’avec ses copains », rappelait mardi Hubert Védrine interviewé par RFI. Jacques Chirac, persuadé de la responsabilité de la Syrie dans l’assassinat de son ami, Rafic Hariri, le Premier ministre libanais, en 2005, fâché des promesses non tenues de Bachar el-Assad, le président syrien, à son égard, a décidé de faire l’impasse sur ce pays. Certes, la Syrie est un pays affaibli, mais elle joue encore les intermédiaires entre l’Iran et le Hezbollah, lui fournit des armes. Des ministres israéliens, fort judicieusement, demandent à reprendre langue avec Damas et à renouer des négociations sur le Golan occupé. L’objectif est de rompre l’alliance irano-syrienne. Si le contentieux entre Damas et Tel-Aviv se réglait, la Syrie pourrait lâcher le Hezbollah, estime-t-on en Israël. Or assurer le calme sur sa frontière Nord est le seul souci de l’Etat hébreu.


Le point fort de Paris : garder des relations, même chaotiques, avec l'Iran. Jacques Chirac est convaincu que seul un retour de l’Iran au sein de la communauté internationale pourra diminuer la tension régionale.

Sur ce point, Paris est en désaccord total avec Washington. C’est pour montrer que l’Iran n’est pas ostracisé et qu’il pourrait jouer un rôle de puissance régionale stabilisatrice que Philippe Douste-Blazy avait rencontré au mois de juillet le ministre des Affaires étrangères iranien à Beyrouth.

Il y a cependant là un problème de taille. Téhéran n’acceptera jamais de jouer ce rôle s’il ne se voit pas reconnaître le droit de maîtriser la technologie nucléaire. Or les Etats-Unis ne feront jamais confiance au régime des mollahs pour estimer qu’il n’en profitera pas pour se doter de l’arme atomique. Et mettre en danger Israël.

Remettre l’Iran au sein de la communauté internationale va être difficile avec l’équipe au pouvoir à Téhéran. Une partie des responsables politiques iraniens actuels (Mireille Duteil sous-entend qu'il faut plébisciter le retour d'un pragmatique.. devinez qui !), soutenus par le clergé conservateur et les pasdaran - les gardiens de la Révolution -, estiment que l’avenir du régime ne pourra être assuré que par une politique de confrontation avec les grandes puissances, et notamment les Etats-Unis. Ils estiment ainsi que si Saddam Hussein avait eu l’arme atomique les Etats-Unis n’auraient jamais osé le renverser. Ils n’entendent donc pas céder sur le nucléaire.

Ces derniers jours, comme par le passé, certains responsables multiplient les provocations verbales à l’égard de la communauté internationale, les autres, en particulier Ali Larijani, négociateur en chef du nucléaire, annoncent être prêts à rouvrir les négociations cette semaine. Ce qui ne veut pas dire suspendre l’enrichissement de l’uranium. Un refus qui pourrait entraîner le Conseil de sécurité de l’Onu, le 31 août, à leur imposer des sanctions à l’Iran. Téhéran compte une nouvelle fois sur l’opposition de Pékin et de Moscou. De surenchère en surenchère, la situation de la région devient chaque jour plus dangereuse.

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© le point 24/08/06 - N°1771 - Page 30 - 1736 mots