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Iran : de Khatami à Ahmadinejad</HTML>
23.10.2006

Mohammad-Reza Djalili, Professeur à l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, auteur de Géopolitique de l’Iran (Bruxelles, Éditions Complexe, 2005) a publié le 21 octobre 2006 un excellent article dans les pages Débats du Figaro. | Lecture & Décodages |



Khatami et Ahmadinejad, deux Iraniens chez le Grand Satan
- par Mohammad-Reza Djalili

Ces dernières semaines, la République islamique d’Iran a eu l’occasion de présenter au public américain, et à travers lui au monde entier, deux images contrastées de ses dirigeants. Mohammad Khatami, l’ancien président de la République islamique, a fait une visite privée de deux semaines aux États-Unis. Cette visite, destinée à promouvoir le dialogue des civilisations, thème cher à Khatami, a permis à celui-ci d’intervenir dans des enceintes religieuses et universitaires sur ce sujet et surtout de participer à plusieurs entretiens télévisés. Cette visite, qui s’est déroulée dans le contexte d’une période de tensions américano-iraniennes, a sans doute une signification politique. Peut-être que l’Administration américaine a autorisé cette visite pour faire comprendre qu’elle ne ferme pas la porte au dialogue, tandis que, du côté iranien, la visite avait probablement pour but de détourner l’attention américaine du problème nucléaire.

La visite de Khatami a été suivie de celle de Mahmoud Ahmadinejad, le nouveau président, qui est venu à New York pour assister à l’Assemblé générale des Nations unies. Profitant de son passage aux États-Unis, ce dernier a participé à plusieurs réunions et conférences de presse afin de défendre ses thèses favorites : le droit inaliénable de l’Iran au nucléaire civil, la légitimité de son discours antisioniste et négationniste, la diabolisation des États-Unis, etc. tout en réservant quelques amabilités circonstancielles en direction du peuple américain et du peuple juif. En d’autres termes, il a lui aussi, à sa manière, tenté une offensive de charme en direction de l’opinion publique américaine et internationale.

La présence presque simultanée de ces deux présidents successifs de la République islamique sur le sol américain a permis, une fois de plus, de constater l’existence de multiples tendances au sein du système politique iranien où des sensibilités différentes se côtoient, où les prises de position ne vont pas toujours dans le même sens. Cette différence se retrouve aussi dans les apparences. Ainsi, face à un mollah comme Khatami, posé, élégant, souriant, on trouve un Ahmadinejad qui se donne des allures de combattant islamiste, sortant précipitamment des tranchées de la guerre Iran-Irak et dont le look négligé reflète la proximité affichée avec le petit peuple des quartiers pauvres de Téhéran. Les différences apparentes et réelles entre ces deux personnalités confirment le caractère fragmenté du régime iranien.

Généralement, un pouvoir de ce type est considéré comme au mieux instable et au pire exposé au risque d’éclatement. Il règne souvent à l’intérieur de ce genre de système une sorte de guerre froide permanente entre les groupes rivaux dont l’issue peut lui être fatale. En ce qui concerne le régime islamique d’Iran, le factionnalisme présente certes un certain nombre d’inconvénients, mais ces difficultés n’ont, jusqu’à présent du moins, pas réellement fragilisé le système. En fait, par un certain partage des rôles, la non-exclusion totale de la faction perdante du sérail et l’existence d’un Guide supposé au-dessus de la mêlée, en réalité jouant les factions les unes contre les autres, le système pratique un rééquilibrage constant qui contribue à sa pérennisation. Au contraire, le jour où une faction parviendra à monopoliser l’ensemble des pouvoirs, alors l’avenir du système sera menacé par la coalition des exclus qui, si ­nécessaire, essayeront même d’avoir le soutien de l’opposition laïque, aujourd’hui totalement interdite.

Mais ce qui pour le moment est remarquable, c’est que la République islamique, au lieu de s’atteler à la correction des inconvénients de son système éclaté, est parvenue à faire de celui-ci un véritable atout du pouvoir.

Comme dans une épicerie bien approvisionnée, on trouve de tout sur les rayons de la boutique islamique. Vous voulez un gouvernement pragmatique et réaliste ? Aucun problème, voici M. Rafsandjani et son équipe. Vous préférez un pouvoir modéré et réformateur ? Qu’à cela ne tienne, on vous propose M. Khatami et ses amis. Vous avez une préférence pour une équipe populiste qui sache manier la fibre nationaliste ? Vous pouvez disposer de M. Ahmadinejad et de ses gardiens de la révolution.

En définitive, pourquoi chercher dehors ce que vous avez sur place au moindre coût et sans risque de tomber sur des produits inconnus. À la limite, même si vous voulez faire de l’opposition, mieux vaut le faire à l’intérieur du système, vous serez plus efficace et risquerez moins d’ennuis.

Conséquence de tout cela : tant que ce régime survivra, les Iraniens vivront dans une démocratie en trompe-l’oeil et les élections auxquelles ils participeront aboutiront à des fausses alternances. Mis à part les apparences, le style et le ton des discours, rien de fondamental ne distingue les chefs de file des différents gouvernements islamiques les uns des autres. Il en va ainsi du programme nucléaire relancé par Rafsandjani, poursuivi par Khatami et accéléré par Ahmadinejad. Comme le dit joliment un proverbe persan, ils sont « le haut et le bas d’un même morceau de toile » (sar o tây-é yek karbas).

Il s’agit d’un excellent article, il contient pourtant des messages subliminaux de Mohammad-Reza Djalili. | Décodages |

Mais en premier lieu, il est nécessaire de saluer son initiative de l’avoir écrit car si même le très prudent Professeur Djalili écrit ce que nous disons depuis des années, c’est que le régime des mollahs est vraiment mal en point.

Et les signes se multiplient, signes auxquels sont sensibles les partisans du régime : l’an dernier pour la Journée de Qods (libération de Jérusalem), le régime avait réussi à mettre environ 30,000 de ses partisans sur le pavé de Téhéran et cette année, ce nombre a chuté à 4000. Les usines ferment en Iran, les grandes sociétés européennes plient bagages, les Japonais ont préféré tourner la page et oublier un important contrat gazier et les Russes se donnent les moyens de laisser couler les mollahs. Et le pire vient d’arriver, la journée de Qods a été un échec : le bazar a boudé cet événement fondateur de la politique extérieure du régime et les bassidjis lui ont tourné le dos ! Le régime dans sa totalité a répondu présent et a montré qu’il ne pouvait mobiliser qu’un tout petit nombre.

Ce qui est dit par l’imminent Professeur Djalili dans son article n’est pas de sa part une découverte de la dernière minute. Le professeur le savait, mais ses intérêts exigeaient qu’il continue de travestir la vérité. Il en reste d’ailleurs des traces et il continue de qualifier les gros bonnets du régime par leurs appellations « Quai d’Orsay ».

Ainsi « Akhound » [1] Rafsandjani est affublé de réaliste ou pragmatique : le mot poli pour dire fasciste, assassin, corrompu. Khatami est reconfirmé dans son rôle de modéré et le milicien Ahmadinejad est qualifié de nationaliste alors qu’il se dit lui-même un intégriste musulman, fervent partisan de Khomeiny. Sans doute pour Djalili, Khomeiny était aussi un nationaliste.

C’est le défaut des hommes prudents qui essaient de se ménager des sorties de secours gagnant gagnant. Si les mollahs tombent, Djalili sortira fièrement cet article, tardive allégeance aux opposants des premières heures qui ont combattu les mollahs pendant que Monsieur et Madame Djalili restaient dans le domaine d’apolitiquement correct pour préserver des postes administratifs ou des propriétés.

Ils sont nombreux ceux qui savaient mais se taisaient et tentent aujourd’hui de rattraper les autres, et même de les doubler. Cependant, il reste toujours des traces des années de complaisance avec les mollahs ; le professeur a écrit : « Il en va ainsi du programme nucléaire relancé par Rafsandjani, poursuivi par Khatami et accéléré par Ahmadinejad ».

Une manière de dire que le programme nucléaire iranien était militaire dès le départ et fut « relancé » par Rafsandjani. Cette contre-vérité historique est aussi bien défendue par les mollahs que par le Quai d’Orsay, chacun pour des raisons différentes. Les mollahs font référence au Shah parce que ce dernier est populaire en Iran, s’il était honni par le peuple, il n’aurait pas sans cesse communiqué sur cet axe. Quant au Quai d’Orsay, il y voit une manière d’aller dans le sens des mollahs et de ne pas les contrarier. Mais, cette référence lui donne le moyen logique de justifier une éventuelle reprise du contrat Eurodif, toujours en vigueur à l’issue des attentats que Rafsandjani organisa à Paris et à Beyrouth.

Cette contre-vérité historique est un élément essentiel du texte de Djalili et permet à ce dernier de se replacer sur deux tableaux inédits de sa carrière (après des années d’allégeance envers les mollahs).

Tableau 1 : l’opposition iranienne | Djalili essaie de recoller au convoi des opposants et l’article veut effacer les souvenirs de précédents articles ou interviews où il comparait Rafsandjani au Shah d’Iran [2]. Il comparait un mollah poseur de bombes, complice d’assassinats, rétrograde, misogyne et antisémite à un homme laïque, pacifique et progressiste qui par ailleurs est aujourd’hui réhabilité par l’histoire et vénéré en Iran. Cette comparaison était censée salir l’image du Shah car Rafsandjani est cordialement détesté par l’ensemble des Iraniens qui voient en lui l’incarnation de la perfidie du régime. Le régime lui-même encourage ce genre de littérature pour salir la monarchie et prévenir une restauration envisagée par la population. Or, dans son dernier article, Djalili dénonce ce genre de comparaison ! Est-il devenu fou ?

En réalité Djalili, tout en restant très prudent au cours de son existence, il n’a jamais cessé de faire des clins d’œil au pouvoir des mollahs. Par exemple le 24 Avril 2006 [3], il écrivait un excellent article sur les alliances diplomatiques de Téhéran et on y voyait guère de référence à l’uniformité du régime. Or, en avril 2006, le régime semblait viable et aujourd’hui il est donné comme fini, abandonné par sa base, désavoué par son plus important client le Japon, boudé par la Chine et soutenu par la seule Russie qui joue là un jeu fort dangereux.

Djalili est certes un brillant professeur et un fin connaisseur de relations internationales, mais comme tous les opportunistes, il est également doté de capteurs sensoriels surdéveloppés. Actuellement le régime est largué, Djalili l’a senti, il se replace en écrivant le seul article susceptible d’achever le régime ou du moins l’affaiblir.

Un article susceptible de ruiner l’essentiel des efforts du régime qui tente actuellement de persuader les occidentaux qu’il existe en son propre sein des clans favorables au dialogue. Il est vrai que comme le dit joliment Djalili, les mollahs sont « le haut et le bas d’un même morceau de toile » (sar o tây-é yek karbas).

Mais notre cher Professeur continue de nous donner ses informations au compte goutte et selon ses convenances et ses propres intérêts, ce qui fait de lui le contraire d’un expert à même de conseiller convenablement ses interlocuteurs.

Tableau 2 : l’expertise | Par ailleurs, Djalili entend se placer comme l’expert géopolitique du problème iranien et pour y parvenir il a adopté les points de vue de la diplomatie française, d’où la référence à la continuité du programme iranien qui sous-entend la nécessité pour l’Iran de continuer avec la France, son premier fournisseur du nucléaire. Il est question d’une reprise d’Eurodif.

Il est important de rappeler que le contrat Eurodif est un bon contrat pour l’Iran mais ce qui est révoltant et condamnable est cette attitude mercenaire d’un homme brillant qui connaît la vérité, mais préfère l’adapter aux besoins de ses interlocuteurs et ainsi se préparer une confortable retraite, en distribuant ses connaissances selon la demande. Nous pensons que le Quai d’Orsay fait une erreur en prêtant l’oreille à des iraniens affairistes et qu’il ferait mieux d’écouter les patriotes qui privilégieront sans doute le maintien des relations nucléaires avec la France parce qu’ils y voient l’intérêt suprême de leur pays et rien d’autre.

[1Akhound = Mollah | Il faut savoir que ce qu’en France on appelle Mollah est dit Akhound en iranien et Akhound est un mot fort péjoratif synonyme d’ignorance, de passéisme, de vice moral (lié à la vie en internat – viol sur mineurs) : Akhound est un abuseur sexuel mais aussi abuseur des esprits et plus encore abuseur économique. Il ne travaille pas et vit des rentes ou de l’aumône. (extrait de : Une révolution culturelle préventive !) |

[2Djalili essaie de recoller au convoi des opposants et l’article veut effacer les souvenirs de précédents articles ou interviews où il comparait Rafsandjani au Shah d’Iran....

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Iran va Jahan | Djalili | 4 Juillet 2003

[3Le 24 Avril 2006, Djalili écrivait un excellent article sur les alliances diplomatiques de Téhéran et on y voyait guère de référence à l’uniformité du régime... il y a 6 mois, Djalili parlait de Rafsandjani comme un véritable pragmatique et de Khatami comme d’un réformateur : en avril 2006, le régime semblait viable et aujourd’hui il est donné comme fini. Djalili s’adapte.

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Caucaz.com | Djalili | 24 Avril 2006