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Analyse : Pourquoi l’Iran a-t-il interdit le haut débit ?
20.10.2006

Selon la version officielle, hélas reprise et répétée sans aucune analyse, le régime des mollahs aurait interdit l’Internet haut débit pour combattre l’influence de la culture occidentale. Quiconque a déjà mangé au restaurant iranien Jet-Set à Paris sait que le régime des mollahs possède une chaîne musicale (TAPESH) qui n’a rien à envier à MTV. On y voit de belles femmes peu vêtues damer le pion à Beyonce, Madonna, Shakira et leurs innombrables clones siliconées.



Les iraniens qui résident aux Etats-Unis n’ont pas besoin de cette offre car l’accès aux loisirs n’est pas interdit comme en Iran, le marché des iraniens de l’Europe est également insignifiant et on nepeut pas imaginer que le régime ait dépensé tant de budget, acquis tant de droit de diffusion par satellite pour n’abreuver que la clientèle des restaurants iraniens comme le Jet-Set. Les programmes de ces chaînes sont en persan et de ce fait impropres à une diffusion internationale (le seul autre pays qui pourrait être intéressé est l’Afghanistan.) Ces chaînes commerciales s’adressent uniquement à l’Iran et sa population frustrée par les lois islamiques. Si les mollahs ne voulaient pas encourager les contenus occidentalisés, ils n’auraient jamais financé ces chaînes qui drainent un flot d’images souvent osées et très marquées par le mode de vie occidental.

Comme toujours dans le régime des mollahs : il y a le mariage de l’utile à l’agréable. L’utilité de ces chaînes est de divertir les iraniens et de les détourner des chaînes politiques anti-régime qui sont au nombre de 6 et qui furent les premières à diffuser vers l’Iran. L’agréable, comme toujours avec les mollahs, est l’apport financier de ces chaînes autorisées et financées par le régime : elles encouragent à consommer étranger. Les produits vus à la télé sont vendus sur le marché noir et apportent d’importants revenus aux Pasdaran et aux mollahs.

Par ailleurs, cette offre commerciale permet au régime de vendre sur le marché noir des paraboles. Régulièrement, ces paraboles sont ramassées et de nouveaux modèles font leur apparition sur le marché à un prix plus élevé. C’est la taxe audio-visuelle version Pasdaran. Car ce sont les Pasdaran qui détiennent le marché des paraboles.

Mais cette vente lucrative a son revers : les iraniens sont plus attirés par ces 6 chaînes politisées que par les chaînes musicales d’un niveau navrant. Bref, abreuvés par les JT propagandistes des chaînes nationales, privés d’infos à contenu [1], les iraniens suivent assidûment les programmes de ces chaînes rebelles qui tournent avec peu de moyens mais des trésors de savoir faire journalistiques, d’analyses inédites et de documents historiques d’archives. Depuis peu, on retrouve des archives de ces émissions en format flash sur you-tube et des sites iraniens créés par des bénévoles qui proposent ainsi à leurs compatriotes dépourvus d’équipements tels que la parabole la possibilité de visionner ces documents ou les émissions remarquables de certains journalistes très populaires en Iran pour leur prise de position. La popularité de l’un d’eux est telle que le journal Keyhan [2] lui consacre des articles, évidemment pour le railler mais l’événement mérite d’être souligné.

L’interdiction du haut débit n’est pas liée à l’Internet commercial mais à ces programmes jugés nocifs car appelant le commun des mortels à saboter les activités du régime là où il travaille. Ce ne sont les minijupes qui effraient les mollahs mais les nouvelles de l’extérieur. Pour empêcher les chaînes politisées d’atteindre leur public, le régime a recours à de puissants générateurs de parasites mis au point par la firme suédoise Ericsson. Ajoutons que ces parasites sont également à l’origine de nouveaux cas de cancer des testicules sur les opérateurs qui les font fonctionner mais aussi sur les habitants des localités proches de la source de l’émission.

L’effet des parasites est de hacher l’image et le son et rendre inaudible les propos diffusés. Cependant, les mêmes chaînes parasitées sont diffusées sur le net en direct en qualité streamline (wmp ou realplayer) et sur ce support l’on ne peut les bombarder de parasites. Il fallait donc réduire la vitesse pour décourager les internautes qui veulent les suivre en direct comme ceux qui sont intéressés par les archives des émissions des émissions diffusées.

Les documentaires les plus populaires en ce moment concernent les complices de Khomeiny, mais aussi tous ceux qui se rapportent à l’Iran d’avant la révolution, ses dirigeants d’alors, leurs projets pour la modernisation de l’Iran, la libéralisation des femmes. Contrairement aux idées reçues en France, la célébration du 2500e anniversaire de l’empire perse à Persépolis est très populaire. Il en va de même pour les propos du chanteur assassiné par les mollahs Farrokhzad qui critiquait l’indifférence de certains iraniens à propos des crimes commis par les mollahs, il y a aussi un regain d’intérêt pour ses propos très politisés d’avant la révolution où il avait essayer d’innover dans son show télévisé avec le parler vrai. Ces documents contiennent des messages pour les iraniens car nos compatriotes qui ont le choix entre le désespoir ou la drogue, découvrent un autre Iran. Les images en basse qualité de You Tube leur apprennent qu’un autre Iran, occidentalisé et émancipé, existait et qu’il est encore possible de le restaurer.

Ainsi tous les fournisseurs privés d’accès ont été obligés de restreindre leurs débits de connexion à 128 Ko/s. Les foyers et les cybercafés sont tous concernés. Entre autre, mises à part les archives de l’Iran des années 70, il s’agit pour le régime de limiter l’accès l’information alors que l’Iran est au centre de toutes les attentions des grandes chaînes d’actualité européennes et surtout américaines (CNN et Fox). Ainsi, le régime peut contrôler l’opinion en lui donnant des renseignements tronqués qui lui conviennent comme par exemple faire courir la rumeur d’une attaque militaire contre l’Iran.

Au risque d’être ennuyeux, nous vous rappelons que le régime a axé sa communication sur l’option militaire afin de susciter le patriotisme des iraniens. Evidemment, les iraniens ne sont pas dupes et par défaut, ils interprètent souvent les affirmations des mollahs à l’envers mais sans références à l’extérieur, l’interprétation devient confuse et toutes les manipulations sont possibles.

La réduction du débit interdit vient succéder à la mise en place des filtrages qui avaient pour mission d’empêcher l’accès aux sites interdits. A titre d’exemple, début septembre, le directeur technique de la censure du net (le poste existe) se targuait de bloquer plus de 10 millions de sites : sont ainsi particulièrement visés les sites traitant de démocratie, les sites traitant du statut de la femme ou les sites traitant de la nécessaire réforme de l’islam. Cet état de fait avait d’ailleurs fait l’objet d’un signalement par Reporter Sans Frontières, pourtant parfois complice du régime et ses faux opposants. Dans ce cas aussi, RSF ne voyait dans ce filtrage massif qu’une mesure de moralité et de décence islamique et cet organisme omettait d’insister sur le caractère politique de cette censure car pour RSF l’opposition des exilés est sans valeur. C’est ainsi que cet organisme n’a jamais condamné l’élimination des journalistes exilés égorgés en occident par les collègues d’Akbar Ganji.

Le filtrage a cependant été très inefficace car de nombreux sites comme le nôtre proposent une liste de sites d’anonymisation qui permettent à nos compatriotes de contourner ces filtres. Pour mémoire, le document concerné est l’un des plus visités de notre site. Mais si le régime des mollahs entend limiter l’accès à l’info libre, lui-même utilise pleinement les blogs pour drainer des informations pro-régime. A ce titre, il est nécessaire de rappeler qu ‘un grand nombre de blogs iraniens sont créés par le régime avec un contenu illicite pour attirer et reconnaître les esprits rebelles. Généralement, les sites hébergés en Iran avec un contenu anti-régime sont très suspects : il s’agit d’un leurre ou d’un site de faux opposants, faux étudiants faussement persécutés. Ainsi, l’Iran fabrique annuellement de nouveaux héros de la lutte estudiantine qu’il débarque aux Etats-Unis pour infiltrer les milieux d’opposition. Le cas le plus célèbre reste celui de Fakhr-avar. Nous avons récemment reçu des photos de ce jeune homme en train de faire une conférence sur la nécessité pour l’Iran d’intégrer l’OMC, à une date où il prétendait être en fuite. Il avait même déclaré sur une des 6 chaînes politisées que le régime avait donné ordre à ses miliciens de l’abattre à bout portant. C’est aussi ça la magie de l’Internet.

On constate actuellement une avalanche de ce genre de blogs (principalement hébergés en Iran ou au Canada) en persan mais aussi en anglais, suédois, allemand, français, arabe, russe ou même chinois qui déferlent sur la toile. Souvent ces blogs distillent quelques informations véridiques noyées dans un amas de propos d’une banalité affligeante, mais qui drainent quelques messages subliminaux sur le régime des mollahs.

Si les faux opposants diffusent 80% d’informations sur le régime et ses dirigeants et 20% de désinformations (méthode 80/20), dans le cas des blogs, la technique est de faire 2% d’info, 88% de banalités et 10% de désinformation pure à la gloire du régime de Téhéran, d’une économie en plein renouveau, des progrès techniques ou des quelques libertés insoupçonnées des femmes iraniennes depuis la révolution islamique. Ces blogs qui pourraient sembler innocents deviennent en fait une vitrine du régime car régulièrement leurs articles sont repris par les plus grands et les plus sérieux médias sans aucune vérification. C’est ainsi que l’on se retrouve avec de faux opposants et véritables agents du régime dans toutes les capitales du monde. Nous avons déjà cité Fakhr-Avar qui est apparu dans le documentaire un Œil sur la planète malgré nos mises en garde, mais il y a aussi le cas d’Amir-Farshad Ebrahimi et également Omid Memarian qui n’est plus blogger anti-mollahs mais le responsable de la rédaction d’un site pro-mollahs à Washington.

Il est donc important de préciser qu’à part les faux blogs, il existe de nombreux sites iraniens hébergés aux USA qui font de la publicité pour le régime des mollahs ou du moins évitent de faire état de ses violations des droits de l’homme. Peut-être serait-il judicieux que les médias occidentaux décident juste de vérifier leurs sources afin de ne pas devenir les porte-paroles du régime qu’ils dénoncent.

[1Liberté d’expression à l’iranienne | Même les livres sont censurés ou simplement plagiés : à l’arrivée, ils n’ont que le titre en commun avec la version originale de l’ouvrage |

[2Censure des mollahs | Surnommé le journal des tortionnaires, est dirigé par un certain Hossein Shariat-Madari, dit Hossein Jénaghi ou Hossein, casseur de nez. Il tient ce surnom de son activité préférée : casser le nez des prisonniers d’un coup de tête pour leur souhaiter la bienvenue. Activité charitable et islamique qu’il exerçait quand il était magistrat à la Prison d’Evine.