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Comment la Syrie et l'Iran ont préparé la guerre du Liban
10.08.2006

- New York Times | par Steven Erlanger et Richard A. Oppel Jr. | 7 Août 2006
- Un Hezbollah discipliné qui a étonné Israël avec sa formation, sa tactique et ses armes...



Le 26 Décembre 2003 un très violent tremblement de terre en Iran rayait pratiquement Bam de la carte et faisant plus de 35 000 morts. Les avions acheminant l’aide du monde entier affluèrent sur les lieux y compris depuis la Syrie. Selon les services de renseignements israéliens, les avions repartaient vers la Syrie avec des armes sophistiquées à bord, y compris les fameux missiles à longue portée Zelzal. Des armes que les Syriens ont fait passé au Hezbollah, la milice chiite au Liban.

Alors que l’armée israélienne est dans sa quatrième semaine de lutte pour se défaire du Hezbollah avant un cessez-le-feu, les expéditions donnent une indication sur l’état du Hezbollah. Depuis le retrait unilatéral d’Israël du Sud Liban en 2000, le Hezbollah a amélioré son arsenal et ses stratégies avec l’aide de ses principaux commanditaires, la Syrie et l’Iran.

« Le Hezbollah est une milice entraînée comme une armée et équipée comme une état. Ses combattants n’ont rien à voir avec ceux du Hamas ou les palestiniens » explique un soldat de retour du Liban. « Ils sont formés et entraînés ». Ce soldat affirme avoir vu des combattants munis avec de gilets pare-balles, de lunettes de visée nocturne, de moyens de communication, de munitions et parfois même des uniformes israéliens : « nous avons vraiment été surpris ».

On a beaucoup insisté sur les stocks de missiles iraniens et syriens dont disposait le Hezbollah et dont quelques 3000 ont déjà été lancés sur Israël. Mais l’Iran et la Syrie ont aussi profité de ses six années (l'ère des réfromateurs [1] - ndlr) pour fournir des moyens de communication par satellite et les meilleures armes pour l’infanterie, dont les derniers modèles de missiles anti-chars (russes) et des explosifs comme le Semtex. Les combattants ont aussi reçu la formation adéquate pour manier ses armes.

C’est le bon usage par le Hezbollah de ces armes, en particulier les missiles antichars à guidage laser ou filoguidés avec des ogives à double déclanchement qui ont causé la plupart des dommages aux forces israéliennes. Dans 20% des cas selon un commandant israélien, les missiles antichars russes du Hezbollah conçus pour pénétrer les blindages ont même percés des Merkava, le char israélien le plus moderne.

Le Hezbollah a aussi utilisé les antichars Sagger moins récents pour faire exploser une habitation où étaient abrités des soldats israéliens, la première explosion perçant le mur en béton et la seconde explosant à l’intérieur. « Ils s’en servent comme de l’artillerie pour frapper les maisons », dit le général Yossi Kuperwasser, « ils peuvent s’en servir jusqu’à trois kilomètres, ils passent les murs comme ils passeraient le blindage d’un tank ».

Le Hezbollah utilise également des tunnels pour sortir rapidement du sol, mettre à feu un missile antichar sur l’épaule et disparaître, comme le faisaient les tchétchènes dans Groznyï à partir des égouts pour attaquer les colonnes blindées russes. « Nous savons ce qu’ils possèdent et comment ils travaillent », dit encore Kuperwasser, « mais nous ne savons pas où sont les tunnels et par conséquent, ils peuvent user de la tactique de la surprise ».

Les missiles anti-chars sont la principale crainte des troupes israéliennes (idem une stratégie anti-chars en Irak), raconte David Ben Nun de retour d’une semaine au Liban. Les troupes ne traînent pas longtemps devant les maisons à cause des lanceurs de missiles dissimulés : vous ne pouvez même pas les apercevoir, ajoute-t-il. La réussite du Hezbollah s’explique par une bonne stratégie, de l'entraînement, des armements de pointes et des moyens sophistiqués de communication mais aussi par des réseaux de tunnels, de salles de stockage, de casernes ou de pièges tendus dans un terrain accidenté. Ceci aussi explique la prudence des Israéliens.

Les Israéliens expliquent qu’ils combattent une petite armée, de 2 à 4000 membres, soutenue par un plus grand nombre de travailleurs à temps partiel qui stockent et apportent la logistique et les armes dans des bâtiments civils.

Le Hezbollah fonctionne comme une force révolutionnaire au milieu d’un océan de civils : il est difficile de les combattre sans occuper ou bombarder des secteurs civils. Sur ordre, des combattants sortent de la foule, arment un missile, font feu et se fondent à nouveau dans la masse.

Comparé à l’armée israélienne, leur nombre est petit, mais ressemble étrangement à la taille d’une division syrienne. Les instructeurs des Gardiens de la révolution (Pasdaran - ndlr) ont appris au Hezbollah l’organisation militaire. Le Hezbollah agit comme une armée avec ses unités spéciales pour le renseignement, la guerre antichar, les explosifs, la technologie, les communications ou la mise à feu des fusées.

Ils ont aussi enseigné au Hezbollah comment viser avec les fusées, user de dispositifs explosifs improvisés avec les effets que connaissent les troupes américaines en Irak. Ils leur ont même appris à se servir des C-802, sol-mer, dont Israël ignorait que le Hezbollah en possédait.

Selon un officier des renseignements de Washington, les officiers iraniens de l’armée de l’air se sont rendus à maintes reprises au Liban pour former le Hezbollah à la mise à feu des missiles de moyenne portée comme les Fajr 3 et Fajr 5. Selon la même source, il reste encore un certain nombre de ces « iraniens » à Beyrouth mais les services américains n’ont pas les preuves que ce sont eux qui dirigent les opérations.

Toutefois les Israéliens disent que pour l’instant les Iraniens n’ont pas permis au Hezbollah de tirer les fusées Zelzal. L’ancien président syrien Hafez El Assad faisait bien attention à limiter l’approvisionnement en armes du Hezbollah mais son fils Bachar qui lui a succéder en 2000, l’année où Israël quittait le Liban, leur a ouvert ses entrepôts. La Syrie a fourni le Hezbollah en missiles de 220 et 302 mm, tous deux équipés de charges antipersonnelles.

La Syrie a également fourni le Hezbollah en armes antichars les plus sophistiquées, des armes vendues par la Russie à la Syrie. Cela comprend aussi des Metis et des RPG 29, précise le général Kuperwasser. Le RPG 29 possède à la fois une charge antichar pour pénétrer le blindage et une charge antipersonnelle. Le Metis, plus moderne, est filoguidé avec une vitesse élevée.

Certains israéliens pensent que la Syrie a fourni le Hezbollah en missiles Kornet (russe), à guidage laser d’un rayon de trois miles et que le Hezbollah peut l’utiliser contre leurs lignes d’approvisionnement israéliennes si le Tsahal s’engageait plus profondément au Liban. Malgré les plaintes israéliennes envers Moscou, la Russie a décidé de fermer les yeux selon un haut responsable israélien.

A ses débuts, le Hezbollah s’était spécialisé dans le kidnapping et les commandos-suicide. Les USA les condamnèrent après les attaques contre l’ambassade américaine et le camp des marines en 1983. La popularité du groupe se fit parmi les chiites du sud Liban où il installa son petit état tout en se réservant un quartier sud de Beyrouth connu sous le nom de Security Square.

Jusqu’en 2003 Timur Goksel était conseiller de la FINUL, il dit bien connaître le Hezbollah et parle avec admiration de son organisation. Après 18 ans de combat avec les israéliens, « ils n’ont plus peur de l’armée israélienne », dit-il dans une interview téléphonique depuis Beyrouth. La capacité du Hezbollah à harceler les israéliens et étudier leurs failles comme les patrouilles régulières et les convois de troupes à la veille du Shabbat a donné confiance au Hezbollah que l’armée israélienne était une « armée normale avec des vulnérabilités et des errements », ajoute-t-il.

Le Hezbollah a des armes biens plus efficaces qu’avant. Goskel décrit le Hezbollah comme le font beaucoup d’israéliens : soigneux, patient, adapté à recueillir des renseignements, disciple de la guérilla révolutionnaire Maoïste ou Vietcong, conscient de la puissance de feu israélienne et de sa mobilité. Le Hezbollah a étudié la « guerre asymétrique » et ils ont l’avantage de combattre sur leur terrain, parmi les leurs où ils se sont préparés pour ce que fait justement l’armée israélienne.

Ils font un travail personnel et de la planification à long terme, ce que ne font pas les palestiniens. Ils observent pendant deux mois s’il le faut pour noter tous les détails sur leur ennemi. Ils font un débriefing de leurs propres opérations, « ce qu’ils ont mal exécuté », comment l’armée Israélienne a répliqué. Ils ont une tactique très souple sans une grande chaîne de commandement. Cela les rend très différents des armées arabes entraînées par les soviétiques que les israéliens ont battu en 1967 et 1973 qui avaient une structure de commandement rigide et très hiérarchisée.

Lorsqu’en 1992 le cheikh Nasrallah [2] a pris les commandes du Hezbollah, il l’a réorganisé en trois commandement régionaux avec l’autonomie militaire. Beyrouth et le conseil du Hezbollah font la politique sans essayer de faire la guerre. Nasrallah dit avoir été conseillé par le très secret Imad Mughniyeh (recherché par les USA pour terrorisme) qui a développé la sécurité du Hezbollah en limitant ses communications.

Le Hezbollah a installé des unités séparées et très largement autonomes au milieu des civils avec des forces de réserve qui fournissent appui logistique et approvisionnement. Les commandements du Hezbollah voyage dans de vielles voitures sans escorte et sans signe pour maintenir leurs identités secrètes, dit encore Goskel.

Le Hezbollah a commencé par installer des explosifs reliés par câble au système de mise à feu aux bord des routes. Toutes les routes sont piégées et finalement les israéliens apprirent à démanteler ces systèmes avec des arrache-câbles à leurs véhicules. Alors le Hezbollah a usé de détonateurs radio commandés que les israéliens ont su détruire, puis les détonateurs furent reliés à des téléphones mobiles, puis à un double système de téléphone etc. Aujourd’hui le Hezbollah utilise des détonateurs à pression cachés sous la route alors que les israéliens soudent des plaques métalliques sous leurs tanks.

Goskel explique que la tactique du Hezbollah est claire, ils veulent que les israéliens s’enfoncent plus en avant au Liban car ils ne peuvent combattre les israéliens lors de batailles ouvertes alors ils veulent les attirer sur des terrains préparés pour cela comme à Aita Al Shaab. Selon lui, les hezbollahistes savent que les israéliens sont trop dépendant des blindés. Ces derniers sont devenus leur cible principale, ils veulent que les lignes d’approvisionnement des israéliens soient rallongées pour mieux les couper.

Des chars israéliens ont heurté de très grosses bombes plantées sur les routes à leur attention sur la ligne frontalière raconta Ahod qui ne donnera que son prénom. Au moins deux soldats de son unité ont été blessés par des snipers. Pour lui les combattants du Hezbollah ne sont pas de simples fermiers à qui l’on a donné des armes mais des personnes entraînées et endurantes.

Un autre commandant d’une compagnie de chars, Edan explique que 20% des missiles qui ont frappé les chars israéliens ont pénétré le blindage des Merkava ou causé d’autres dommages. Le colonel Mordechai Kahane, commandant la brigade Egoz du Golan en première ligne pour combattre le Hezbollah, a parlé au journal Yediot Aharonot de l’une de ses pires journées quand son unité est entré dans Marun Al Ras et a perdu un de ses officiers supérieurs.

Le Hezbollah nous a endormi, multipliant les fortifications, raconte t-il, nous n’avions aucune certitude de ce que nous allions trouver. Nous pensions à une cave ici, une caserne là-bas, mais la sophistication nous a étonné. Une cache du Hezbollah n’est pas une simple grotte, mais aussi un puits en bétons avec des échelles, des issues de secours... nous ne les savions pas si bien organisés.

Le général Kuperwasser aussi admire les capacités du Hezbollah à bien préparer les champs de bataille, mais il rajoute que eux aussi accomplissent des progrès et en tuent de plus en plus, car de plus en plus de combattant du Hezbollah montent au front et sont fait prisonniers.

Les techniques mises en oeuvre par le Hezbollah au Liban ressemblent trait pour trait à celles mises en applications par les forces de la république islamique lors de la guerre Iran-Irak. Les forces iraniennes ont tiré les leçons de cette guerre de tranchées semblable à la première guerre mondiale dans ses méthodes. Partant de là, l’ingéniosité iranienne a conceptualisé les expériences et amélioré les batailles de positions, les caches etc... L’Iran n’a fait que transposer sur le sol libanais ce qu’elle avait expérimenté quelques années auparavant (quand les pays démocratiques s’enrichissaient en l’encourageant de continuer la très lucrative guerre Iran-Irak). Qui sème le vent…

NB. Les 15000 soldats libanais que prévoit d’envoyer Fouad Siniora au Sud Liban en cas de cessez-le-feu pour désarmer le Hezbollah ne pourront rien y faire : les soldats libanais sont eux-mêmes en partie en issus des rangs des milices chiites. En supposant, qu’ils outrepassent les liens de cet ordre, ils n’ont ni les capacités militaires et encore moins les moyens des troupes israéliennes. Le désarmement du Hezbollah sera un obstacle insurmontable, à moins que la force internationale dont on parle ne prenne la suite de l’offensive israélienne. Sinon le Hezbollah continuera à protéger ces réseaux de tunnels et fera simplement semblant de rendre les armes.

WWW.IRAN-RESIST.ORG

Ne pas oublier :
- Le conflit au Liban est un modèle réduit
- (26.07.2006)

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- Source : A Disciplined Hezbollah Surprises Israel With Its Training, Tactics and Weapons

[2Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah est un ami du nouveau président de la République Islamique, Ahmadinejad. Ils se connaissent depuis 1987. Ils se sont rencontrés pour la première fois en Corée du Nord, alors qu'ils suivaient tous les deux une formation auprès des Services de Renseignement de KIM IL SUNG. Dix ans plus tard, alors que Hassan Nasrallah était à la tête du Hezbollah depuis 1992, Mahmoud Ahmadinejad a été le représentant au Liban de la Fondation des Martyrs, l'un des principaux bailleurs de fonds du mouvement chiite.