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LE MONDE : La seconde vie de l’or noir, par Jean-Michel Bezat
27.05.2006

Vive le pétrole cher ! L’automobiliste français, toujours ronchon, taraudé par le sentiment d’être la vache à lait de l’Etat, n’appréciera pas le propos.



Il ferait volontiers passer son auteur pour un de ces « Khmers verts » ravis de voir le prix du principal moteur de l’économie flamber à mesure que ses réserves déclinent et favoriser ainsi l’entrée dans l’après-pétrole. Sans adhérer aux thèses des partisans de la décroissance économique, ce renchérissement a pourtant bien des vertus tant qu’il n’entraîne pas de récession économique et ne freine pas l’essor des pays émergents. Et d’abord celle de repousser à plus tard l’épuisement de l’or noir.

Certains écologistes se sont enthousiasmés un peu vite de l’envolée des cours. N’allait-elle pas entraîner un recul de la consommation et une réduction de la pollution, la baisse des échanges et la relocalisation des activités, des économies d’énergie et le développement de la biomasse, de l’éolien et du solaire, désormais proches du seuil de rentabilité ? Las, avec le secours de la technologie, cette situation de crise va assurer une seconde vie au pétrole, constate la revue L’Ecologiste dans son numéro de mars-avril. Léger et aisément extractible, le brut n’était qu’une matière première ; lourd et difficile à raffiner, voire dérivé d’autres énergies fossiles, il devient un produit manufacturé.

Les précédents chocs pétroliers avaient déjà rendu les économies occidentales plus sobres. Elles ont besoin de moins d’électricité ou de combustibles fossiles pour produire la même quantité de richesse. Le poste essence et gazole est moins lourd qu’il y a trente ans dans le budget des ménages. La fin de l’indexation des salaires sur les prix et la mondialisation de l’économie ont jugulé les risques de dérapage de l’inflation, qui n’a été que de 1,5 % en 2005 pour une hausse des carburants de 25 %. Et les dix-neuf centrales nucléaires mises en service entre 1977 et 1999 ont permis des dizaines de milliards d’euros d’économies sur la facture énergétique de la France, tombée en vingt-cinq ans de 5 % à 2,26 % du PIB.

L’envolée actuelle des cours, conjuguée à la faiblesse de la croissance, a eu pour premier effet d’entraîner un léger recul (0,9 %) de la consommation de pétrole en France en 2005. Les automobilistes ont moins roulé (baisse de 3 % du kilométrage) et les ventes de carburants se sont repliées de 1 %. D’autres bénéfices apparaissent aujourd’hui. Une partie - sans doute insuffisante - des surplus de recettes des producteurs a été réinjectée dans l’achat de biens manufacturés, soutenant les exportations de certains pays industrialisés vers les monarchies du golfe Persique ou la Russie.

De bons économistes rappellent qu’un pétrole cher améliore la qualité de la production de biens et de services. S’il entraîne une baisse du pouvoir d’achat des ménages et un recul de la consommation de certains produits de base, il génère une augmentation sensible de l’investissement dans de nouvelles techniques d’exploration-production d’or noir et des recherches dans les énergies renouvelables, autant de facteurs de croissance à long terme.

Après vingt ans de prudence liée à des cours du pétrole bas et erratiques, les pétroliers ont relancé leurs investissements. Plus de capitaux, c’est plus de découvertes ou, à tout le moins, plus de moyens pour augmenter le taux de récupération des gisements (30 % aujourd’hui). Une bonne partie de ce surcroît de capitaux est en effet absorbée par des coûts d’exploration-production qui grimpent à mesure que les majors exploitent des champs pétrolifères plus difficiles d’accès ou rachètent les rares réserves disponibles à des prix exorbitants.


PÉTROLES TECHNOLOGIQUES

Au Qatar, en Malaisie et au Nigeria, les majors élaborent un carburant à partir du gaz (gas to liquids). Riches en charbon, Américains et Chinois travaillent activement à sa transformation en pétrole (coal to liquids), reprenant une technique largement exploitée par l’Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale et reprise par l’Afrique du Sud lorsque sa politique d’apartheid la frappait d’embargo sur l’or noir. Avec plus de deux cents ans de réserves au rythme de consommation actuel (contre quarante ans pour le pétrole), « King Coal » a encore de beaux jours devant lui.

Ces huiles miraculeuses sont-elles rentables ? Oui, à moins d’un effondrement du prix du baril comme en 1986 et 1998, répond le Cambridge Energy Research Associates, un centre d’études américain de référence. Les sables bitumineux du Canada ou les pétroles dérivés du gaz et du charbon sont économiquement viables à 40 dollars le baril et les huiles lourdes à 50 dollars. Sans parler des biocarburants, comme l’éthanol américain à base de maïs (à 60 dollars le baril) et le biodiesel (à 80 dollars). Certains prévoient déjà qu’un tiers de la production mondiale proviendra des « pétroles technologiques » en 2015.

Le protocole de Kyoto à peine entré en vigueur (février 2005), cette relance tous azimuts dans le secteur pétrolier pose la question du bilan énergétique et environnemental des huiles extra-lourdes et des carburants de synthèse. Les écologistes n’y voient qu’un avatar supplémentaire de « l’idéologie libérale productiviste », un fol emballement destiné à repousser de quelques années le fameux peak oil, cette échéance incertaine - 2010, 2020, 2030 ? - qui marquera le déclin inexorable de la production pétrolière.

Si les « pétroles technologiques » quadruplent les réserves actuelles de brut dit « conventionnel », leur production se fera à grand renfort d’énergie et accroîtra inévitablement les émissions des gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique. Qu’à cela ne tienne, rétorquent les industriels, ces projets pharaoniques s’accompagneront d’ambitieux programmes de recherche et d’investissements (charbon propre, captage et séquestration du CO 2...) qui donneront du travail aux ingénieurs de Total, de Gaz de France, de Technip, d’Air Liquide ou de l’Institut français du pétrole (IFP).

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) invite les pays consommateurs à suivre les recommandations de son rapport « Dépêchons-nous d’économiser le pétrole » (2005), qui ne jureraient pas dans le programme des Verts. Sans grand écho. Le prix de l’or noir est encore trop bas et le choc trop lent pour déclencher une prise de conscience.

Même si le baril a plus que triplé depuis 2002, il ne vaut que 70 dollars, assez loin de son record de plus de 90 dollars (valeur 2006) en 1981. Patience, conseillent les écologistes, il va vite le dépasser. A 120 dollars le baril, la donne va changer. Et, à 200 dollars, c’est notre mode de vie qui sera totalement bouleversé.

- Jean-Michel Bezat
- Le Monde, Article paru dans l’édition du 24.05.06
- Revue de Presse IRAN-RESIST


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