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7 jours en Iran : 2-Le banni et la fiancée infortunée 24.03.2006 Vincent Hugeux, l’envoyé spécial de l’Express en Iran, a eu l’idée de raconter la vie en Iran sous la forme de lettres écrites au cours de son périple. Lettre n°2 : Tranches de vie... Outre l’éternel traquenard des apparences, divers écueils guettent le reporter sur le chemin de l’Iran. D’abord, l’obtention du visa d’une semaine, soumise à d’indéchiffrables aléas. Ensuite, l’accès aux décideurs, souvent hors de portée. Pour le reste, et dès lors qu’il active son réseau de contacts et s’abstient de bafouer les règles du jeu, l’envoyé spécial jouit ici d’une indéniable liberté de mouvement. J’ai eu le privilège - car c’en est un - de séjourner une douzaine de fois dans ce pays depuis 1994. Chacun de ces voyages m’a offert l’occasion de rencontres inattendues, riches et stimulantes. Tant les Iraniens, et les Iraniennes, se montrent friands de dialogue. Du Grand ayatollah de la ville sainte de Qom à l’opiomane des faubourgs sud de Téhéran, de l’avocate obstinée des droits de l’homme au journaliste embastillé plus souvent qu’à son tour, tous recherchent l’échange, voire la controverse. Deux personnages sont venus ce mercredi matin enrichir ma galerie de personnages. Le premier, Saïd Laylaz, anime une société produisant camions et autobus. Plus pour très longtemps : dimanche, à la veille du Nouvel An persan, il quittera son sobre bureau. Débarqué en douceur. Incompétence ? Pas vraiment. On lui reproche la tonalité incisive de ses tribunes dans la presse. Mais il y a pis. Sous le réformiste Mohammad Khatami, Laylaz officia un temps comme vice-ministre de l’Intérieur. Et évinça à ce titre un certain Mahmoud Ahmadinejad, élu président en juin 2005, de son fauteuil de gouverneur d’Ardabil. L’heure de la revanche a sonné. Tant pis : le disgracié tâchera de finir sa thèse d’histoire, consacrée aux années 1920, quand régnait sur l’ancien empire perse le père du Chah. Le second acteur du jour est une actrice. Elle se prénomme Farzaneh et porte le hidjab réglementaire, d’où s’échappent des mèches aile de corbeau. Mi-journaliste, mi-poétesse, cette femme de 28 ans a fondé un blog, l’un des 58 000 journaux électroniques diffusés en Iran via internet. Un blog, ou plutôt deux : le premier a été neutralisé par les censeurs de la République islamique. Intitulée « Travail domestique », la nouvelle version n’a disparu des écrans que durant 48 heures. Sans raison apparente. Aujourd’hui, « la fiancée infortunée » - ainsi Farzaneh se désigne-t-elle - s’aventure moins dans l’arène politique. « Une forme d’autocensure douce », admet-elle. Voilà toute l’ambiguïté de cette floraison de journaux intimes : ils reflètent autant un insatiable appétit de liberté qu’une tendance au repli sur la sphère privée d’une jeunesse déboussolée par les promesses avortées de l’ère Khatami. WWW.IRAN-RESIST.ORG
En décembre 2005, Vincent Hugeux (grand reporter au service Monde et président de la Société des rédacteurs de L'Express) a reçu le trophée Presse écrite du 12e Prix Bayeux des Correspondants de guerre. Hugeux a été distingué pour son reportage « Ouganda, l'enfance massacrée ». Le Prix Bayeux vise à rendre hommage aux reporters qui exercent leur métier dans des conditions parfois périlleuses pour assurer une information libre et démocratique.
Bonne lecture et à très bientôt. |