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Washington Post | Iran : Les « Larmes de Dieu »
28.09.2005

TEHERAN – S’il pouvait se le permettre, Ali Nariman boirait bien une bière, dit-il. Mais comme la majorité des Iraniens, il est pauvre et donc il se console avec des petites billes d’opium.



Avalant le tout pour un effet maximum, les petites billes mettent moins d’une demi-heure pour irradier son corps d’une chaleur bizarre. Elles apportent un soulagement aux habitants des plateaux perses. Depuis des siècles, l’opium est considéré là-bas comme l’apanage des plus anciens, des vieux, à qui il apporte comme une sorte de médication, un réconfort pour les peines et ennuis accumulés par des années de dur labeur.

Oui mais Ali n’a que 18 ans, et comme des centaines de milliers d’iraniens tombant dans la dépendance dès le plus jeune âge, il considère les drogues comme la seule alternative au travail.

« Il nous faudrait un emploi », dit-il en se tenant dans un grand cimetière de la sortie de Téhéran. Et selon un scénario bien rodé tous les vendredis quand les familles viennent visiter les tombes de leurs proches généralement morts pendant la guerre Iran-Irak, comme d’autres jeunes drogués, il court de tombe en tombe pour tenter de récupérer des dattes ou des biscuits laissés par les pèlerins.

D’après le rapport sur les drogues de l’ONU pour 2005, l’Iran aurait la plus grande proportion d’accrocs à l’opium du monde avec 2,8 % de la population au-dessus de 15 ans. Seuls deux autres pays dépassent la barre des 2%, l’île Maurice et le Kirghizistan. Avec une population de près de 70 millions, certaines organisations gouvernementales estiment à 4 millions le nombre d’usagers réguliers. Un record que l’Iran pourrait bien se passer de remporter.

Lors du tremblement de terre à Bam en 2003, les organisations humanitaires ont été obligées de fournir aux populations de la méthadone, une drogue de synthèse pour héroïnomanes en manque. Il y aurait tant de drogués qu’un influent membre du gouvernement des Mollahs s’est demandé si l’Etat lui-même ne devait pas cultiver du pavot !

Prix cassés !

Si l’usage des narcotiques a des racines dans les anciennes cultures iraniennes, il semble que le prix dérisoire de moins de 5€ le gramme d’héroïne pure à plus de 50 %, et la proximité des champs de pavots afghans soit aussi une des causes de ces phénomènes de dépendance qui ont véritablement explosé comme autant de révélateurs de la faillite économique du système, une marque du désespoir.

« Vous n’avez pas de travail, vous n’avez pas de famille, vous n’avez pas de distraction » raconte Amir Mohamadi qui à 30 ans est déjà depuis plus de dix ans un drogué sévère. « Pour quelques heures au moins on oublie tout ».

Les Iraniens selon un sondage admettent à 80 % qu’un lien existe entre la drogue et le chômage. Dans un pays qui chaque année n’arrive pas à créer le million d’emplois nécessaires pour les jeunes arrivant sur le marché du travail suite au baby boom, la drogue semble avoir remplacé la recherche d’un hypothétique travail.

« Nous n’avons pas encore atteint le maximum », dit quant à lui Roberto Arbitrio, le directeur du bureau des drogues et du crime de l’ONU. Malheureusement il y a encore pire à venir.

Après l’arrivée des Mollahs au pouvoir en 1979, la tolérance zéro sur la drogue fut décrétée et les prisons remplies de drogués. « Le prix à payer fut lourd », dit à ce sujet Ali Hashemi responsable du Bureau du Contrôle des Drogues.
Depuis des sites d’échange des aiguilles et de délivrance de méthadone ont ouvert à Téhéran, Le gouvernement des mollahs a tenté de démanteler les champs de pavots et c’est par dizaines et dizaines que des policiers ont été tués par des contrebandiers du côté des frontières poreuses avec le Pakistan et l’Afghanistan.

Aujourd’hui les drogues sont tellement faciles à se procurer que pour beaucoup d’Iraniens il n’est pas possible que le gouvernement des mollahs n’y soit mêlé. On raconte qu’après les manifestations de 99 à l’université de Téhéran, lorsque les cités universitaires furent fermées avec les étudiants à l’intérieur, seuls les dealers étaient autorisés à pénétrer à l’intérieur.

« Je pense qu’il s’agit de la politique gouvernementale que de rendre tous les jeunes drogues », dit Hamid Motalebi, jeune policier de 22 ans en service dans un parc du sud de Téhéran, alors qu’autour de lui des junkies sont allongé dans l’herbe, « s’ils (les dirigeants) pouvaient créer suffisamment d’emplois ou divertissements pourquoi voudriez vous que ces jeunes se droguent ? »

Azarkhash Mokri, directeur du centre national d’étude des comportements dépandants, estime quant à lui que 20 % des adultes iraniens sont d’une manière ou d’une autre en relation avec des narcotiques, une estimation comprenant le 1⁄2 million de dealers fournissant entre 3 ou 4 personnes… un chiffre d’affaire annuel entre 3 et 5 milliards de dollars.


Aussi longtemps que l’opium était d’accès facile, le problème de l’Iran avec les drogues était stable mais depuis que les Talibans afghans avaient arrêté la production en 2000/2001, le prix de cet opium n’a fait que croître. Et c’est ainsi que beaucoup de drogués se sont tournés vers l’héroïne plus abordable.

A la poursuite de la réalité

L’héroïne avec son effet instantané dès l’injection a pris le dessus chez les plus jeunes qui sont l’immense majorité des 200 000 drogués répertoriés dépendant de ce produit.

« Nous on ne sent pas l’opium, c’est un truc de vieux » dit F.Koucheki 29 ans, « pour nous c’est l’héro et pour les plus jeunes que nous c’est carrément du crack ou du glass ».

Il rajoute encore que l’opium est un médicament ou un « chasseur de peine » mais que l’héroïne les aide à fuir la réalité et que c’est justement leurs buts aux jeunes que de fuir la réalité de l’Iran et son ennui.

Dans un coin du sud de Téhéran nommé Persépolis (aucun rapport avec la cité historique), au milieu de vieux garages et d’échoppes en terre battue, avec d’autres anciens drogués, D. Safdari derrière une meuleuse raconte qu’avant de décrocher il était dealer et qu’il n’avait pas à chercher ses clients, ceux qui avaient besoin de ses services savaient toujours où le trouver.

Avec eux une poignée de femmes racontent leurs vies d’épouses mariées de force, et qui durent vivre avec des accros, un autre explique que sa dose d’héro lui revenait moins cher qu’un sandwich. Puis la discussion dérive sur une nouvelle drogue de synthèse nommée « Larmes de Dieu »…

Tout un programme …


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