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Iran : un mollah remet en cause le régime !
10.10.2006

Les journaux du monde entier ont évoqué des troubles religieux en Iran. Certains en sont même allé à se demander si un mollah n’allait pas libérer l’Iran. Les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles ne le semblent vues de l’extérieur et avec des yeux occidentaux de surcroît. Cette affaire Broudjerdi, du nom d’un ayatollah rebelle, a des aspects très intéressants.



Les Faits | Il y a encore 3 jours, vers 8 heures du matin dans la rue Avesta à Téhéran, 7 femmes voilées (à la façon Burqa) et 34 barbus âgés de 23 à 60 ans ont quitté une maison où ils avaient passé la nuit dans la cour, pour veiller sur l’ayatollah (seyed) Hossein Kazemini Boroudjerdi, lui-même 27° enfant de Zeynoebdin, mollah de son état. Ces gardes du corps amateurs avaient veillé toute la nuit afin que la maison de Broudjerdi ne soit pas attaquée par les miliciens du régime. Tous les matins, un groupe d’hommes et femmes quittait la maison de ce mollah atypique, laissant la place à un groupe plus frais. Ainsi depuis le 30 juillet, quelques centaines de « disciples » gardaient Boroudjerdi à tour de rôle. Cette surveillance a été mise en place car sa maison avait été prise d’assaut le 30 juillet et quelques proches et familles du mollah avaient été déportées vers la prison surpeuplée d’Evin. Le 3 Août les forces de sécurité retournèrent chez le jeune mollah pour l’arrêter, mais celui-ci les obligea à battre en retraite, aidé par des disciples équipés d’armes blanches.

Boroudjerdi, né à Téhéran et éduqué dans le sérail de Qom est un clérical réputé dans les milieux islamiques, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le coran. Mais à la différence de la majorité des chiites iraniens, Broudjerdi est un adepte du Chiisme Dja’afari, une forme de chiisme qui professe une séparation temporaire entre le politique et le religieux dans l’attente de la venue du 12° imam !

Il s’agit en réalité d’une nuance de différence et non d’une opposition au régime. Par ailleurs, Boroudjerdi dit qu’il prie plusieurs fois par jour pour accélérer la venue du Mahdi dans le monde des vivants. Car selon lui ce jour-là l’islam régnera sur le monde ! Pas de quoi pavoiser comme certains opposants qui ont cru opportun de voir dans ce jeune mollah un libérateur laïque.

Ce qu’on lui reproche | Boroudjerdi insiste que le Mahdi est le seul homme qui n’a pas de péchés, qu’il est le maître du temps et que lui seul a la légitime compétence pour diriger et juger tous les hommes. C’est ce dernier point qui le met en porte-à-faux avec le régime islamique de Téhéran qui fonctionne selon le Velayet e Faqih qui donne un pouvoir quasi similaire au Guide Suprême. Ainsi selon cette branche du Chiisme, d’abord Khomeiny, puis aujourd’hui Khamenei, seraient des usurpateurs. Pire encore, la théocratie actuelle serait illégitime d’un point de vue théologique. Cependant, cette branche ne défend pas la fin de l’application de la Charia ; Broudjerdi veut un retour à l’islam de base (dont la définition est assez floue).

Décodages | Le régime iranien est en principe un état islamique, mais récemment le débat a pris une tournure politique et le régime lui-même voit d’un bon œil, le retour d’un débat religieux houleux voir violent. Accessoirement, cette agitation religieuse a pour fonction de créer des débats d’idées pour les élections internes du régime qui auront lieu bientôt. Mais plus concrètement, ce genre de rhétorique permet de canaliser les mollahs et de créer des sous-courants très actifs qui donneraient l’illusion d’une société iranienne encore très pieuse qui pourrait être une source d’inspiration pour le monde d’Islam.

Ainsi après avoir inventé les réformateurs politiques avec Khatami, les cerveaux du régime pensent à créer leur propre résistance religieuse afin de faire évoluer l’actuelle république islamique vers une forme nouvelle où le pouvoir religieux serait exercé autrement. Les deux projets de réformes peuvent tout à fait coïncider. Il suffit de lire l’interview donnée par Ganji au Monde. Le régime peut ainsi entreprendre lui-même sa métamorphose : changer de peau, mettre en avant des musulmans non religieux aux postes politiques, éloigner le clergé des affaires et in fine préserver ses réseaux intérieurs et internationaux.

L’arrestation de Broudjerdi | Lors de ces dernières journées, les partisans du Broudjerdi se sont battus armés d’épées contre les miliciens et le saint homme se trouvait parmi les siens, pieds nus, simplement vêtu d’un linceul (à manches courtes). Ceci est trop près des reconstitutions de guerres religieuses chères au Chiisme, représentations théâtrales que l’on appelle Taziyeh.

Mais ceci rappelle aussi aux Iraniens, qui sont par ailleurs très cinéphiles, la fameuse scène d’Indiana Jones, où il fait face à un mercenaire habile de sa lame… on connaît la suite ! On se demande donc ce qui a empêché les miliciens d’abattre les disciples de Broudjerdi et mettre fin rapidement à la petite révolte. Le régime a délibérément laissé faire. Il a laissé 10000 hommes armés d’épées affronter les miliciens et à la dernière minute, il a arrêté tout le monde avec les moyens adéquats (gaz lacrymogène, commandos des forces spéciales…).

Conclusion | Dans toute affaire, il convient de se demander à qui profite le crime : dans ce cas présent, le régime a démontré sa capacité à stopper un mouvement fervent équipé d’armes de fortune. C’est un message à quiconque espérait renverser ce régime par un mouvement populaire. Cependant ces 10000 hommes armés de lames n’avaient pas vocation à renverser le régime, il serait donc hâtif de conclure à un succès médiatique de cette répression très particulière.

Cas similaires | Par ailleurs, chaque fois que le régime est réellement en danger, un mollah surgit de son silence pour tenir des propos similaires à ce Broudjerdi. Nous avons vu le cas avec l’Ayatollah Taheri en juillet 2002 quand le mouvement estudiantin menaçait de manifester contre le régime et faire trembler ses fondations, et puis nous avons assisté à la même mascarade avec le petit-fils de Khomeiny, Hossein, qui avait été expédié par le régime aux Etats-Unis pour démentir la portée du mouvement de contestation de l’été 2003. A chaque époque un mollah dissident appraît. Et les cas ne manquent pas. Régulièrement on nous parle de la laïcité de Montazeri ou d’Eshkeravi, ou de Kadivar et puis ces hommes disparaîssent de la circulation une fois leur mission accomplie et réapparaîssent quand le régime est en danger. D’ailleurs les iraniens ne se sont pas trompés et ont laissé ces mollahs donner leurs représentations de Taziyeh car dans le fond, ce qui les préoccupe, c’est la banqueroute économique de l’Iran et non pas les petites affaires de l’Imam caché.

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