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Le Monde : Vers une Pax Energetica de Vladimir Poutine ?
08.07.2006

Négocier avec la Russie et Gazprom suppose la création d’un grand groupe énergétique français. par Dominique Fache, ancien vice-président de Schlumberger, est vice-président du Club de Nice-Energie et géopolitique



Une Europe de l'énergie équitable

Aujourd’hui, tout le monde comprend que ce qui est bon pour Gazprom est bon pour la Russie et vice versa, de même chacun sait que le patron de Gazprom n’est que l’exécutant de décisions prises plus haut. Le budget de la Russie dépendant à plus de 50 % des revenus de l’activité « oil & gas », le secteur est hautement stratégique, convoité et mis sous tutelle. Et ce sans avoir vraiment perdu ses mauvaises habitudes despotiques et corrompues, entretenues par la complaisance et l’hypocrisie de certains établissements financiers européens.

L’hiver a donné un avant-goût de la géopolitique de l’énergie vue par les occupants du Kremlin, le prochain n’annonce rien de réjouissant pour les consommateurs européens. Pour parodier la phrase célèbre de François Mitterrand devant le Bundestag : « Les consommateurs sont à l’Ouest, les gazoducs à l’Est ! »

Tandis qu’en Ukraine l’on se prépare au bras de fer avec la Russie, en jouant sur l’absence d’alternative au transit par son territoire, à Moscou, le protectionnisme cocardier triomphe - une loi limitant l’accès des compagnies étrangères aux gisements « stratégiques » va d’ailleurs être soumise à la Douma prochainement. Les regards du pouvoir russe se tournent également vers l’Est, comme pour bien signifier aux Occidentaux que les arbitrages que la Russie sera amenée à faire ne seront pas nécessairement en leur faveur.

La Chine, la Corée et le Japon ont besoin de nourrir leur croissance d’énergie. Les projets vers l’Iran, l’Inde et le Pakistan sont d’ores et déjà réactivés. Il faut faire face à la demande, et compte tenu que la production de Gazprom vient à 70 % de champs (Urengoï, Medvejie et Iambourg) proches de la déplétion, l’apport du gaz en provenance d’Asie centrale, en particulier du Turkménistan, se révèle crucial. Les Russes redécouvrent également l’Algérie et son gaz naturel liquéfié (GNL) : les offres de coopération se font insistantes ; on efface les vieilles dettes et on signe des contrats de livraison d’armes. Mais là aussi, opacité et corruption font bon ménage.

Dans le même temps, l’intensité énergétique de l’économie russe continue à battre des records : ce pays consomme ainsi plus de gaz que le Japon, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et la France réunis pour un PIB treize fois inférieur. Et si l’Ukraine avait une intensité énergétique comparable à l’Autriche toute proche, elle n’aurait pas besoin d’importer de gaz russe ! La menace que constitue une économie dépendante de la manne énergétique est donc bien réelle. Nombreux sont les pays à la merci d’un renversement du marché.

Dans ce contexte, on doit à regret constater que la réponse de la France n’est pas adaptée. Et notre programme nucléaire ne nous dispense pas de nous préparer à cette nouvelle donne. Il faut aussi constater l’insigne faiblesse, pour ne pas dire l’absence, de la politique européenne intégrée sur ce sujet. Chacun défend ses intérêts en fonction de ses priorités, l’Allemagne en premier où l’ancien chancelier Gerhard Schröder s’est transformé en VRP du gazoduc sous la Baltique dont le consortium est dirigé par un banquier ayant fait ses classes dans la Stasi.

« Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable », dit le vieil adage de la diplomatie soviétique. « Qu’on me laisse opérer sur le marché européen et acheter qui bon me semble », réclame Gazprom au nom d’un libéralisme qui fonctionnerait chez les autres mais pas chez soi.

Est-ce par angélisme ou négligence que Gazprom s’est vu accorder par le ministère de l’industrie l’autorisation de vendre du gaz sur le marché français, par arrêté du 14 novembre 2005, sans contrepartie négociée, alors que nos compagnies se voient refuser l’accès aux licences d’exploration et de mise en valeur ? Devons-nous souscrire aux conditions de la Pax energetica de Vladimir Poutine ?

Notre civilisation est vulnérable, un danger de troisième guerre mondiale se profilerait-il derrière la lutte pour l’accès aux ressources énergétiques ? Sur ce sujet, on entend peu nos hommes - et femmes ! - politiques. Pourtant, c’est tout l’enjeu du prochain sommet du G8, présidé par la Russie pour la première fois, et qui va se tenir en juillet dans la ville natale du président, Saint-Pétersbourg.

Allons-nous nous aligner sur la position américaine qui, ayant sécurisé ses arrières sur le front énergétique, joue délibérément la politique du pire et l’échec lors de ce sommet ? Ou allons-nous nous engager dans un dialogue constructif mais ferme avec la Russie et Gazprom ? Bien sûr, il faut pour cela avoir des billes », comme on dit : le projet de créer, à côté de Total, un second champion français de l’énergie, en facilitant le regroupement des capacités et du savoir-faire de Suez et GDF, ne paraît donc pas inutile.

On pourra alors aller au G8 avec des propositions constructives et négocier en position de partenaires sur des sujets comme :

- la mise en place d’un consortium européen, qui serait proposé à l’Ukraine, pour gérer le transit et les réservoirs ouverts à Gazprom ;

- l’élaboration d’un programme de réduction de l’intensité énergétique en Russie et en Ukraine ;

- un lifting de la charte de l’énergie tenant compte de l’évolution de la sécurité énergétique avec une instance de résolution des conflits ;

- des règles réciproques pour les participations croisées dans les sociétés énergétiques permettant de solidariser les approvisionnements et les fournitures ;

- un pacte anticorruption (dans l’esprit du Sabarnes-Oxley Act) permettant d’assainir, en particulier à l’occasion d’introductions en Bourse, certaines pratiques peu compatibles avec l’éthique des affaires et la défense du consommateur.

Pour incarner cette volonté de coopération, pourquoi ne pas proposer aussi la création d’une maison européenne de l’énergie, lieu d’enseignement, de recherche et de coopération scientifiques, dédiée à l’énergie où la Russie et Gazprom pourraient trouver un lieu de collaboration, digne pendant d’ITER ?

Lénine affirmait que le capitalisme vendrait la corde pour le pendre. Pour que l’énergie ne soit pas la corde d’un nouveau servage, il nous faut bâtir ensemble avec la Russie une Europe de l’énergie équitable, respectueuse des intérêts de chacun et tournée vers les défis technologiques et économiques de demain.

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