Accueil > Revue de presse > Les USA proposent à l’Iran le même marché qu’à Kadhafi



Les USA proposent à l’Iran le même marché qu’à Kadhafi
18.05.2006

Le dirigeant libyen a assuré sa survie en renonçant à ses armes secrètes. La République islamique, qui a beaucoup d’amis, n’est pas dans le même état d’isolement.



New York, Mercredi 17 mai 2006, Le Temps, Alain Campiotti.

Mouammar Kadhafi est un jongleur. Il y a trente-six ans que ça dure, et avec des rides en plus autour de ses yeux malins, il n’y a pas de raison que ça change. Un jour après la décision, annoncée en fanfare à Washington et à Tripoli, d’effacer l’ardoise américano-libyenne et de renouer de pleines relations, le colonel, frère et guide a reçu mardi Hugo Chavez. Le Vénézuélien arrivait de Londres, ayant ajouté quelques strophes à son florilège d’insultes contre les Etats-Unis, qui viennent de décider un embargo sur les armes à destination de Caracas : nouvel « abus » de cet « empire impotent », s’est exclamé l’homme au béret rouge, dirigé par un « assassin génocidaire » qui mérite de finir devant un tribunal international.

La secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, qui chantait la veille les nouvelles louanges de Muammar Kadhafi, n’a pas commenté ce coup de pied au derrière.

La promotion de la démocratie s’arrête au large de Syrte. Les embrassades de la Libye et de l’Amérique sont marquées par un réalisme si cru qu’il doit faire saliver Henry Kissinger. Les millions de dollars versés par Tripoli aux familles des victimes n’ont pas fait oublier aux Etats-Unis que les services libyens ont organisé l’attentat contre un Boeing de la PanAm au-dessus de Lockerbie (1988, 270 morts) (l’auteur se trompe : Lockerbie est l’œuvre du régime des mollahs – voir lien ci-dessous). Kadhafi n’a pas oublié le bombardement américain de 1986 (en réponse à un attentat à Berlin) qui a tué une cinquantaine de personnes en Libye et blessé sa femme.

L’hostilité entre les deux pays était telle que leur rapprochement, il y a trois ans, était le moins prévisible. Il est la conséquence de l’instinct de survie du Libyen, et du besoin haletant des Etats-Unis d’avoir un ancrage dans le monde arabe, si possible enduit de pétrole.

Les négociations secrètes, emmanchées par les Britanniques, avaient commencé sous l'administration Clinton. Judith Miller, reporter saquée du New York Times pour trop de connivence avec l’administration Bush, a entrepris de raconter (dans le Wall Street Journal !), le roman obscur de ces pourparlers tortueux. Ils ont abouti pour trois raisons sans doute.

Kadhafi, d'abord, a réalisé que l’isolement dans lequel son comportement de chien fou l’avait enfermé devenait mortel pour son régime autoritaire ; et au moment de l’assaut contre l’Irak (même si la guerre n’a pas joué un aussi grand rôle que ne le disent les Américains), le Libyen a compris comment pourrait venir la fin.

L'outil diplomatique

Le second élément, c’est la réussite assez extraordinaire des services de renseignement britanniques et américains, qui ont pu présenter à Kadhafi les preuves matérielles de sa recherche frénétique d’armes chimiques, biologiques, et nucléaires avec le concours de la mafia atomique du Pakistanais A.Q. Khan.

La troisième composante, c’est la décision de Washington et de Londres d’arriver à leurs fins en n’empruntant que la voie diplomatique. La Libye a renoncé à ses armes non conventionnelles, l’embargo qui la frappait a été levé, les pétroliers (au moins six compagnies américaines) sont revenus exploiter sous le sable les 8es réserves du monde.

La diplomatie, c’est aussi l’outil qu’utilisent jusqu’à nouvel ordre les Etats-Unis à l’égard de la Corée du Nord et de l’Iran, pour tenter de les amener à renoncer au nucléaire militaire. Condi Rice l’a dit lundi : la Libye est un exemple à suivre ; 2006 pourrait être une année charnière, si Téhéran et Pyongyang le veulent.

Est-ce une offre de négociation, et sous quelle forme?

Les Européens, qui discutent avec les Iraniens et viennent de leur offrir la carotte d’une centrale nucléaire clés en main, savent bien ce qu’attendent leurs interlocuteurs : un engagement direct des Américains, et des garanties de sécurité.

Entre la Libye et l'Iran, il y a pourtant des différences majeures. La République islamique maintient qu’elle n’a pas d’ambition nucléaire. Kadhafi, lui, n’a pas cherché à nier. Et puis, comme dit le président Ahmadinejad aux Américains : « Regardez la carte ! » L’Iran, c’est un plus gros morceau, et il ne craint pas l’isolement. La Chine et la Russie sont bienveillantes : l’Iranien vient d’être invité à un sommet avec eux à Shanghai (là aussi notre confrère du Temps se trompe) .

© WWW.IRAN-RESIST.ORG

- Le correspondant permanent du Temps à Téhéran n’est autre que Delphine Minoui.

Pour en savoir + sur Lockerbie :
- Lockerbie : Où l’on reparle d’une implication de l’Iran ?
- 30.04.2005

Pour en savoir + sur l’invitation au Sommet de Shanghaï :
- La Chine ne ménage pas l’Iran
- 16.05.2006

| Mots Clefs | Auteurs & Textes : Delphine Minoui |

| Mots Clefs | Décideurs : Hommes Politiques Arabes |