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Canard du 29 juin : In the Mahmoud for love
14.07.2005

Surgi des urnes alors que personne ne l"attendait, Mahmoud Ahmadinejad a le cœur qui balance entre deux tendances : populisme pur et intégrisme dur.



Il faut reconnaître un vrai talent au trop dénigré nouveau président iranien, l’avenant Mahmoud Ahmadinejad, 49 ans. C’est sa capacité perceptible aussi chez de vibrionnants personnages d’autres latitudes - à faire tous les jours l’actualité sur son nom. Un soir, ce sont d’anciens otages de l’ambassade américaine qui jurent reconnaître en lui l’un de leurs gardiens en chef ; le lendemain, le ministre de l’Intérieur autrichien assure détenir les preuves de son implication dans l’assassinat, à Vienne en juillet 1989, d’un dirigeant kurde et de deux de ses amis. Et il est possible que d’autres révélations suivent.

Avec Mahmoud, que personne n’a vu venir, tout baigne depuis son élection. À peu près comme si le trotskiste de l’OCI Daniel Gluckstein avait remporté la présidentielle française de 2002. Pendant la campagne, dans une unanimité admirable, la presse occidentale n’avait d’yeux que pour le plus retors des vieux chevaux de retour, Hachemi Rafsandjani, 70 ans, prototype du politicien roublard qui promettait cette fois-ci la libéralisation du régime à l’intérieur, et pour les affaires étrangères l’apaisement (sous conditions) avec Washington, et peut-être même la reconnaissance d’Israël. Des engagements qu’il convenait sans doute de nuancer.Vieux compagnon de Khomeyni, le Requin, c’est son surnom, a couvert, pendant son mandat présidentiel (1988-1997), davantage d’atteintes aux droits de l’homme que trois rapports annuels d’Amnesty International ne pourraient contenir.

Il y a plus. Dans un pays travaillé, Bush et Condi aidant, par le nationalisme et à forte fracture sociale, Rafsandjani, qui a fait fortune dans la pistache, mais ne possède officiellement qu’« un lopin de terre », tenait du repoussoir. Au fil des années, du pétrole au métro de Téhéran, son clan (enfants, beaux-frères, etc.) a fondu sur tout ce qui passait à proximité de sa convoitise. En face, Mahmoud, lui, a mis une complaisance certaine à laisser filmer sa modeste maison, où ses proches se contentent de déposer un coussin de plus par terre quand se pointe un visiteur inattendu. « Avec moi, il y aura 70 millions de ministres », a proclamé notre populiste. 70 millions dont bien peu ont tout de même son curriculum.

Ahmadinejad est une sorte d’enfant modèle de la révolution islamique. Si rien ne prouvait qu’il ait lui-même mis la main à des opérations sanglantes, bien des détails amènent ses opposants à penser qu’il n’a jamais été très loin des grands exploits du régime. « Je vais balayer les rues de la nation », ce qui fait plus grand que La Courneuve, avait également lancé Mahmoud pendant la campagne. Cette activité confine chez lui à la vocation. Fils de forgeron, il ne fut peut-être pas des premiers « étudiants » qui sautèrent le mur de l’ambassade US, mais il était apparemment du petit comité qui décida de l’opération, et de ses suites. À commencer par l’emprisonnement des Iraniens dont les noms furent, retrouvés sur place, dans les listings américains.

Autre conviction de l’opposition iranienne : si, après quelques « missions spéciales » en Irak, notre ami s’est retrouvé préfet de régions frontalières, c’est, de la traque d’opposants passés en Azerbaïdjan. Le cas de Vienne est plus complexe : jusqu’à plus ample informé, ce sont les empreintes du frère de Mahmoud, très agité pendant la campagne, que la police autrichienne assurait à l’époque avoir retrouvées dans l’appartement du crime. En tout cas, lorsque, en 2003, le nouveau président se retrouve conseiller municipal de Téhéran (12 % des électeurs ont participé au scrutin), le ministre « réformateur » du Renseignement (ça existe là-bas) fait savoir qu’au vu du palmarès de l’intéressé, il s’oppose à son élection au rang de maire. Simple velléité qu’anéantit dans la seconde le véritable chef de l’Etat, le guide de la révolution l’ayatollah Ali Khamenei. Ahmadinejad, qui renonce exemplairement à ses indemnités de fonction au profit de son seul salaire d’ingénieur, peut donner libre cours à ses fantaisies intégristes ; il se déguise en éboueur, tient à l’œil les centres culturels, hurle à la moindre mèche qui dépasse des voiles, etc. Un président iranien a à peu près le pouvoir d’un Premier ministre dans une démocratie à l’occidentale, lit-on ici et là. C’est encore moins que ça. Sans même parler de sa haute main sur les organisations de « combattants » qui encadrent la population, le guide suprême supervise directement l’armée, la justice et les médias audiovisuels. « Caligula avait fait nommer son cheval sénateur ; avec de l’argent et quelques fraudes, Khamenei a fait élire Ahmadinejad président », ironise un opposant en exil, qui redoute de voir son pays tourner à la Corée du Nord de l’Asie centrale, arsenal nucléaire inclus. Parce qu’ils « se soucient de leur bien-être », les femmes de Téhéran, mais aussi « de nombreux employés de ministères fréquentent de plus en plus les salles de sport » de la capitale, nous détaillait l’autre semaine Le Figaro. C’est qu’ils « tiennent à garder la ligne ». Ça tombe bien : c’est exactement le programme de leur délicieux nouveau président.