Accueil > Revue de presse > Le Monde : Entretien avec Richard Perle



Le Monde : Entretien avec Richard Perle
12.07.2005

Richard Perle est une grande figure des néoconservateurs américains. Richard Perle était à Aix-en-Provence à l’occasion des Rencontres du cercle des économistes les 9, 10 et 11 juillet, sur le thème de la relation Europe-Etats-Unis. Une question concerne les élections en Iran.



Les attentats comme ceux de Londres sont-ils inévitables ?

Ils vont continuer tant qu’il y aura des cellules de fanatiques dont l’objectif est de détruire la civilisation des "infidèles". On a pu estimer que 20 000 à 40 000 djihadistes se sont entraînés en Afghanistan. Combien en reste- t-il ? Combien le sont devenus depuis ? Je ne sais pas. Je ne sais pas combien de temps cela durera. Ce que je sais, c’est qu’on doit les combattre, les combattre et les combattre jusqu’à ce qu’ils cèdent.

C’est l’Irak qui semble être devenu leur lieu d’entraînement. La guerre menée, là-bas, au nom de la lutte antiterroriste ne l’a- t-elle pas renforcée ?

C’est vrai que le djihad -guerre sainte- s’est transporté en Irak. Mais la vraie question est de savoir combien d’islamistes sont devenus des poseurs de bombes à cause de l’Irak. Ma conviction est que l’Irak est un aimant qui attire les djihadistes mais qui n’en crée pas de nouveaux. Ils seraient devenus terroristes ailleurs, de toute façon. En outre, beaucoup meurent en Irak.

Mille sept cents soldats américains sont morts en Irak et la majorité du pays est hors de contrôle. Aux Etats-Unis, le soutien de l’opinion à la présence militaire reflue. Cela modifie-t-il votre point de vue sur la nécessité de cette guerre ?

La question-clé est l’opinion américaine. Un revirement du soutien des Américains serait catastrophique. Je n’y crois pas. Mais le président Bush devrait mieux expliquer ce qui se passe là-bas et ce qui se passerait si on se retirait. Il devrait dire aussi que sur le terrain les choses se passent mieux que ne le disent les journalistes.

Le système éducatif marche bien, l’immobilier se rebâtit ­ quelle meilleure preuve d’une confiance en l’avenir que le fait de se construire une maison ? ­, le business tourne, les élections ont eu lieu malgré les menaces et les tirs contre les électeurs. Les Irakiens auront une Constitution. Et j’ajoute que, contrairement aux nombreuses prévisions, l’Irak n’a pas plongé dans la guerre civile.

Beaucoup d’Européens pensent que la lutte contre le terrorisme passe d’abord par la résolution du conflit israélo-palestinien et que l’administration américaine n’en fait pas assez sur ce sujet.

Je ne crois pas. Le 11-Septembre est intervenu à un moment de grand optimisme sur le règlement de ce conflit. Oussama Ben Laden n’y a fait référence qu’après. Non. Pour les gouvernements d’Arabie saoudite, de Syrie, d’Egypte ou d’Iran, il ne s’agit que de détourner l’attention et de justifier leur dictature.

La guerre n’entraîne-t-elle pas la montée d’un sentiment anti-américain dans le monde arabe ?

Mais le terrorisme existait avant l’Irak ! Et Saddam Hussein a applaudi les attentats du 11-Septembre ! L’opération en Irak a un but : celui de prévenir les gouvernements du monde de ne pas aider les terroristes, de ne pas franchir la ligne et passer de l’autre côté. Cela a été fait. Ensuite, je reconnais que nous avons fait une erreur en Irak : attendre un an et demi pour rendre le pouvoir aux Irakiens. Pendant les quatre premiers mois, il n’y avait pas d’insurrection. On a attendu par arrogance.

L’élection, en Iran, d’un radical à la tête de l’Etat n’est-elle pas un échec pour votre ambition de démocratiser le Moyen- Orient ?

Non. Rien n’a changé sur le fond. La différence est que le radicalisme est plus visible, c’est tout.

Comment mieux lutter contre le terrorisme ?

Il faut bien voir qu’un jour quelqu’un fera sauter une arme de destruction massive dans l’une de nos villes. Si quelque chose réveille George Bush la nuit, c’est ça : la crainte d’un attentat de ce type. Si cela arrive, les conséquences seront immenses, l’économie mondiale s’écroulera, etc. Alors mieux lutter contre cette menace passe par un meilleur soutien des Européens. Je ne parle pas des services secrets. Là, les choses vont bien. Je parle de l’Irak où, au minimum, on pourrait attendre une neutralité de la France, par exemple.

- Jacques Chirac non seulement ne nous soutient pas, mais il a fait une campagne mondiale contre nous. On ne fait pas cela à ses amis. Les Etats-Unis ont-ils fait la même chose aux Français et aux Britanniques pendant l’affaire de Suez ? Ils n’auraient pas dû. Ce fut une erreur. La France a tort de développer l’idée d’un nécessaire contrepoids face aux Américains. Une conception que je combats parce que ce sont deux démocraties. Elles ne peuvent pas s’opposer. Les Américains attendent donc beaucoup de Nicolas Sarkozy sur ce sujet.

Propos recueillis par Eric Le Boucher et Serge Marti

Article paru dans l’édition du 13.07.05