Iran : Émergence d’une nouvelle crise interne autour du dollar 09.06.2011 Les amis du régime affirment sans cesse que les sanctions n’ont pas d’effets sur les mollahs ou sur le peuple et que par ailleurs ce dernier ne cherche pas un changement de régime. Les Etats partenaires des mollahs diffusent largement ses avis et oublient de diffuser les vrais chiffres du régime ou encore les décisions inquiétantes comme celle qui a été prise ce lundi : la république des mollahs a rationné la vente de dollars ! Le régime est en difficulté. Une occasion de faire un bilan de sa santé économique (le contexte historique & le contexte actuel) pour expliquer cette décision désespérée qui évoque un régime agonisant. Bilan de santé historique | Avant la révolution islamique, l’Iran était un pays émergent qui utilisait ses revenus entre autres pétroliers pour développer le secteurs agricole, industriel et tertiaire, former des ingénieurs ou encore acquérir des biens industriels ou financiers en Occident. Sa situation allait s’améliorer car le Shah avait annoncé qu’en 1979, l’Iran ne reconduirait pas le contrat exclusif d’extraction et achat du Consortium pétrolier formé en 1954 par les grandes compagnies américaines, BP, Shell et la compagnie française du pétrole. D’autre part que le pays allait extraire le pétrole par sa compagnie nationale de pétrole (la NIOC) pour vendre non pas du brut mais des produits raffinés à Abadan. L’Iran avait le projet d’entrer dans le club des grands. Mais en 1979, l’année de l’émancipation annoncée du pays, le Shah a été renversé par des islamistes hostiles à tous ces projets et à la poursuite de l’occidentalisation du pays. Le nouveau régime a annulé tous les contrats d’achats industriels et a annoncé sa volonté d’utiliser l’argent du pétrole pour exporter la révolution islamique. Les Etats-Unis ont été le premier Etat à reconnaître immédiatement ce nouveau régime. Il est par la suite apparu que Washington finançait, depuis plus de 20 ans, les membres du gouvernement provisoire, tous issus du parti islamo-fédéraliste de Nehzat Azadi. Washington saluait le départ du Shah qui gênait ses intérêts pétroliers, mais aussi l’arrivée d’une équipe formatée pour découper le pays au nom du fédéralisme pour créer des zones d’instabilité aux frontières iraniennes pour agiter les Etats voisins dont l’Asie Centrale Soviétique pour chasser les Russes et prendre leur place afin de ravir le leadership du marché pétrolier aux Britanniques. Mais les pions de Washington ont été chassés du pouvoir les mollahs pro-britanniques qui étaient plus nombreux, plus populaires, plus manipulateurs et mieux organisés. Washington s’est mis à sanctionner ces mollahs qui lui avaient volé sa révolution pour les forcer à restituer le pouvoir à ses pions. Si les pions de Washington étaient restés au pouvoir, l’Iran aurait été balkanisé, on n’aurait pas à parler de son économie. Leur chute a sauvé l’Iran d’une balkanisation certaine. Les successeurs des pions américains, les mollahs, n’ont cependant pas agi dans le sens d’une unité patriotique, mais dans le sens de la volonté britannique de neutraliser le projet américain pour la domination de l’Asie Centrale. La preuve est qu’ils ont renoncé à l’extraction directe qui permet la vente très lucrative de produits raffinés pour se contenter de vendre des droits d’exploitation qui par nature doivent être bien inférieurs aux bénéfices visés par les compagnies signataires. Cela faisait partie de leur devoir vis-à-vis de leurs protecteurs britanniques. Les mollahs ont dû accorder le même genre d’avantages à d’autres pays occidentaux capables de les ennuyer à propos de la violation des droits de l’homme. Ils y ont trouvé leurs intérêts en touchant des commissions pour s’enrichir personnellement. En fait, tout le monde y a gagné sauf l’Iran qui a été privé des bénéfices dus à la hausse du baril et des produits raffinés comme l’essence ! C’est pourquoi tout au long de ces années, malgré la hausse du baril, l’Iran n’a pas pu payer ses dettes comme d’autres pays. Dans ces conditions, pour que le régime ne s’effondre pas, ses clients et partenaires lui restituaient 30% de la production de leurs compagnies pour sa consommation interne (pour produire de l’essence pour les transports et du kérosène pour alimenter les centrales électriques) et le régime vendait l’essence et l’électricité à bas prix pour que le peuple ruiné reste tranquille. Par la suite, le régime a maintenu le taux du dollar artificiellement bas à 1/7 de sa valeur pour satisfaire ses nantis. Cette mesure lui a assuré une sympathie totale des importateurs, mais le dollar bon marché a rendu les produits iraniens trop chers et a détruit les PME et des emplois, augmentant la masse des assistés. Le régime s’est ainsi retrouvé dans un engrenage infernal de clientélisme et de dépenses : finalement debout, mais fragile. En 1996, Washington a interdit la signature de nouveaux contrats, privant de facto le régime de ses seuls revenus pétroliers, pour secouer ce système fragile et contraindre les mollahs de céder enfin le pouvoir à ses pions. Mais conscient de la fragilité de ce système et aussi de l’impopularité du régime islamique qu’il veut préserver et transmettre à ses pions, Washington a décidé d’accorder une dernière chance aux mollahs en leur laissant le droit de signer des contrats capables de les porter pendant quelques années. Les mollahs n’ont pas cédé. D’autres Etats ont profité de la dérogation accordée par Washington aux mollahs pour signer des protocoles d’accords avec ces derniers pour leur verser en fait des aides pour retarder leur chute. D’autres ont signé des accords de production pour des automobiles qui n’ont jamais été produites. Washington s’est fâché : en mars 2000, il a parlé de la « menace nucléaire iranienne », avant d’annoncer des frappes préventives pour forcer ces Etats à accepter le transfert du dossier au Conseil de Sécurité où leurs propres résolutions votées à l’unanimité les a forcés à s’engager à ne plus aider les mollahs ! Ainsi dès janvier 2007, Washington a retrouvé la possibilité de faire pression sur les mollahs. Il s’est immédiatement mis à adopter des sanctions pour limiter les transferts d’argent vers l’Iran. Six mois plus tard, en novembre 2007, il a rédigé le rapport NIE 2007 affirmant que les mollahs n’avaient pas la capacité de produire une bombe avant 3 à 8 ans se donnant un long délai pour les épuiser doucement à petit feu . En août 2008, le régime a manqué de devises. Au même moment, l’Iran a connu ses premières pannes de courant : le régime venait de vendre une partie du pétrole destiné à la production de kérosène normalement affecté à alimenter ses centrales électriques. Dans le même temps, le régime a émis des millions de grosses coupures pour calmer ses nantis avides de dollars avec des montagnes de rials sans valeur. Puis il a accordé des prêts à taux zéro aux personnes démunies. Mais ces largesses ont provoqué une importante inflation qui dévalorisait l’argent distribué. Le régime devait se montrer réaliste : il a arrêté ses largesses et commencé à diminuer ses dépenses en cessant la distribution gratuite des produits alimentaires principalement achetés à l’étranger. Il a limité ses dépenses en dollars. Ce choix a pénalisé les gens démunis. Leurs enfants engagés dans la milice anti-émeute se sont sentis trahis car dans le même temps les mollahs ont augmenté le salaires de leurs députés. Les jeunes miliciens ont pris leur distance avec le régime en boudant les manifestations officielles. Le régime n’a pas seulement visé les pauvres qui consommaient des produits gratuits, il a aussi tenté d’imposer lourdement les Bazaris provoquant une importante grève dans ce secteur qui emploie près de la moitié des Iraniens. Il a contribué à son impopularité. Le régime a tenté de vendre ses différents secteurs économiques à des investisseurs étrangers pour récupérer des dollars, mais il n’y est pas parvenu. Le manque de revenus l’a poussé à licencier massivement des ouvriers. Le régime s’est senti menacé par le haut et par le bas, afin de ne pas sombrer dans une révolution, il a inventé le Mouvement Vert pour organiser une fausse révolution de couleur et entraîner le peuple à plébisciter des réformes au lieu d’une révolution. L’opération lui a échappé et s’est transformée en un soulèvement anti-régime avec le refus des bassidjis de réprimer le peuple. L’armée (contrôlée par les Pasdaran) est restée passive. Le régime a restauré l’ordre avec l’aide des gens des services secrets qui n’ont aucune chance de salut dans un autre régime. Washington n’a pas aidé le peuple et il a décidé de renoncer à de nouvelles sanctions pour éviter la chute du régime islamique qu’il veut transmettre à ses pions. Il a aussi commencé à aider les mollahs en laissant certains de ses partenaires les financer en leur achetant du pétrole ou des produits raffinés. Conscient que Washington pourrait revenir sur cette décision et le mettre en situation de faillite et de pénuries pour le forcer à le forcer à céder par peur d’une émeute provoquée par la faim, le régime a décidé de supprimer graduellement toutes les subventions qui maintiennent les prix bas pour affamer graduellement les Iraniens et les habituer à la pénurie pour éviter des émeutes qu’il redoute. Craignant cependant une révolte, il a repoussé la décision en assurant ses dépenses en vidant les comptes en devises des Bazaris avant d’annoncer la faillite des banques concernées. Le Bazar s’est mis en grève. Les Pasdaran sont restés passifs. Un mois plus tard, les Pasdaran ont montré leur rupture en boycottant massivement la journée d’unité de la milice anti-émeute avec le régime. Dans le même temps, Washington n’a pas renouvelé ses aides indirectes aux mollahs. Pris de court, le 24 décembre 2010, les mollahs ont décidé d’appliquer le plan de suppression des subventions. En moins d’un mois, vers le 25 janvier 2011, cette mesure avait plongé toute la société iranienne sous le seuil de pauvreté ! Deux semaine plus tard, en février 2011, les Pasdaran ont réaffirmé leur rupture en boycottant l’anniversaire de la révolution islamique. Le peuple pouvait espérer. Le régime s’est senti menacé, il a fait appel à son opposition officielle (le Mouvement Vert) conçue pour promouvoir les réformes au lieu d’une révolution. Ce « mouvement » a appelé à une action en sa faveur. Mais le peuple a boycotté ses manifestations. En revanche, il a montré sa préférence en manifestant le 15 mars à l’occasion de deux évènements honnis par le régime et son opposition officielle : la fête anti-islamique du Feu et l’anniversaire du père de la laïcité iranienne, Reza Shah (le grand-père du prince Reza Pahlavi). Les Pasdaran ne sont pas intervenus pour disperser les foules. Ils exprimaient aussi leur préférence pour la fin du régime islamique : une nouvelle révolution devenait possible. Les nantis du régime avaient alors paniqué et s’étaient mis à acheter de l’or, puis des devises en particulier des dollars, provoquant des hausses très significatives du prix de l’or et du taux local du dollar. Depuis cette date, les Pasdaran ont boycotté plusieurs manifestations officielles : à chaque fois, on a assisté à la même ruée vers l’or et le dollar. La flambée de l’or et du dollar est devenue l’indice de la gravité des boycotts et aussi l’indice de la faiblesse du régime. © WWW.IRAN-RESIST.ORG une dernière crise exemplaire | Les précédentes fois, le régime avait subi les crises et avait été incapable de calmer la situation même en menaçant de pendre les acheteurs de l’or. Cette fois, avant de se retrouver avec une demande impossible à satisfaire et basculer de la crise économique à une crise politique, le régime a annoncé dès le lendemain le rationnement du dollar par certaines réductions de l’enveloppe de 2000 dollars accordés depuis toujours à chaque voyageur sur la présentation de son billet et son passeport. Le régime a divisé par deux et réduit à 1000 dollars le quota pour les voyageurs qui se déplacent par voies terrestres. Mais il n’a pas touché au quota de 2000 dollars pour ceux qui prennent l’avion. Il a également réduit l’enveloppe accordée aux accompagnateurs (femmes et enfants) à 1000 dollars pour tout le groupe au lieu de 1000 dollars par personnes. Le régime a également supprimé la vente de dollar aux voyageurs en direction de l’Irak. . La vente de dollars aux pèlerins (donc des gens souhaitant se rendre en Arabie Saoudite) a été retirée aux agents de change et confiée aux banques (c’est-à-dire à l’Etat). Le régime a en fait épargné ses collaborateurs, les rares hommes d’affaires qui voyagent par avion et sont pris en charge par ses ambassades. Il a visé la grande majorité qui voyage souvent en famille soit par avion vers les Etats-Unis, soit par bus vers la Turquie pour rendre visite à des proches exilés ou pour des vacances. En tenant compte de ces critères, il ne s’agit pas d’un petit rationnement, mais d’une mesure pour empêcher tous les projets de voyages. Téhéran n’a pas diminué ses dépenses en dollars, il a ainsi restreint la distribution quasi gratuite de dollars durement gagnés vers des gens normaux qui ne lui sont d’aucune utilité commerciale. Par ailleurs dans la même directive, le régime précise que tous les agents de change doivent vérifier les informations fournies par les voyageurs pour respecter ces mesures sinon ils se verraient retirer leur licence. Or, les voyageurs qui sont des gens plutôt démunis n’achètent pas des dollars sur le marché libre mais au tarif officiel dans les banques. Les clients des agents de change sont les investisseurs. Téhéran se donne les moyens de fermer des points de vente destinés aux investisseurs qui avaient droit non pas à 2000 dollars par an, mais à 5000 dollars par jour ! On est face à une mesure retors et forte pour éliminer de manière drastique les dépenses en dollars du régime ! Cette partie est le cœur de la mesure. Elle permet non seulement de diminuer fortement l’offre de dollar, mais aussi d’éliminer des intermédiaires qui ont participé aux diverses crises provoquées par le boycott des Pasdaran afin d’éviter au régime de se retrouver à nouveau dans une situation délicate. Les agents de changes semblent vraiment dans le collimateur du régime car ce dernier a dans la même directive fixé leur marge à 0,2% des échanges, un taux qui les conduirait à la faillite car il est 15 fois inférieur à l’impôt nouvellement fixé pour ces commerçants. Ainsi ceux qui ne seront pas éliminés pour faute professionnelle seront ruinés. Le régime vient de créer en douce un dispositif anti-dérapage, mais aussi un dispositif pour régler ses comptes ! Pour résumer, après une sérieuse secousse, le régime n’a pas annoncé une petite mesure de rationnement partiel et ponctuel faisant état d’une approche réaliste et responsable, mais grâce au talent incomparable des mollahs, il a mis en place une mesure massue (de criminalisation de l’achat du dollar) avec une présentation anodine et invisible pour le peuple, mais bien explicite pour ceux qui le défient. Par sa puissance, la mesure est la reconnaissance d’un grand problème économique insurmontable, et par sa discrétion, elle est la reconnaissance d’un malaise à laisser apparaître ce problème car c’est le signe de l’isolement maximal du régime. résultats | Cette mesure forte ainsi camouflée était sans doute nécessaire, mais elle a bien déçu le régime. Après un jour de réflexion, hier (mercredi), les agents de change ont trouvé une réponse assez géniale. Tout au long de la journée, ils ont refoulé les clients venus acheter des devises pour voyager en annonçant qu’ils n’avaient pas de dollar, s’évitant des poursuites pour ventes illicites aux voyageurs menteurs.
Actuellement, nous n’avons plus de dollar !
En réaction à ce geste de désobéissance civique, le régime aurait dû tenir ses promesses en punissant les contrevenants, mais il n’y a aucune arrestation. On a compris qu’il ne le pouvait pas. Pour ne pas perdre la face, il a alors aligné ses prix sur les prix du marché libre au prétexte fallacieux d’aider les PME alors qu’il faut une hausse de 1000% pour éliminer la concurrence déloyale du dollar bon marché. Les investisseurs et les agents de change ont compris qu’ils avaient vaincu le régime. Galvanisés par cette victoire, ils ont continué les transactions discrètes et confidentielles :le dollar a continué à monter ! Pour ne pas perdre davantage la face, le régime a promis de poursuivre son alignement et même prendre d’autres mesures si la hausse atteignait les 20%. Très vite, la hausse a dépassé les 20%, et même les 25% en début d’après-midi, au point que les médias du régime ont même parlé d’une hausse minute par minute ! Mais le régime n’a pas tenu sa promesse car il n’a ni les troupes nécessaires pour punir ni un dollar bon marché pour rassurer ses fidèles. Cette affaire a montré les limites du régime à pouvoir entrer dans un long bras de fer avec les investisseurs dissidents. En conclusion, le régime qui ne cesse de s’affaiblir, croyait avoir trouvé un moyen discret pour empêcher de nouvelles crises. Ses adversaires l’ont défié. Il a perdu ses repères et a été obligé de prendre une direction contraire à sa politique, avant de proférer des menaces (en l’air) qu’il voulait éviter (pour camoufler sa faiblesse). En définitive, au lieu de surmonter ses problèmes, il n’a réussi qu’à se dévaloriser. A présent, il doit punir ses adversaires pour ne pas couler. Mais s’il menace ses propres qui investissent, il révélera l’apparition d’un nouveau conflit interne et l’élargissement du socle de l’opposition. La suite s’annonce rock & roll.
les réformes du Shah d’Iran :
| Mots Clefs | Instituions : Politique Economique des mollahs | | Mots Clefs | Résistance : Menace contre le régime |
| Mots Clefs | Histoire : Mohammad-Reza Shah (le Chah) |
© WWW.IRAN-RESIST.ORG
|